- Coupe du monde 2014
- Groupe A
- Mexique
On l’appelle El Piojo
Insultes, blagues, colères XXL, fille insolente et 3-5-2. Le sélectionneur du Mexique, Miguel Herrera, est un homme avec qui il est difficile de s'ennuyer. Découverte de celui qu'on appelle El Piojo.
Imagine-t-on Vicente del Bosque participer à un programme télé bas de gamme et y deviser avec un clown ? Imagine-t-on Didier Deschamps fêter un but de match de préparation comme si la France venait de gagner une nouvelle Coupe du monde ? Ou imaginerait-on que la fille de José Pékerman vienne poser une question à son père lors d’une conférence de presse ? Ce qui semble improbable, insensé, ou hors-sujet pour la plupart des sélectionneurs, ne l’est pas pour Miguel Herrera, un homme qui assure, avec conviction, que le Mexique se rend au Brésil pour « ramener la Coupe du monde. »
« C’est une cochonnerie »
Nommé le 18 octobre, à la veille des barrages face à la Nouvelle-Zélande, Miguel Herrera, dit « El Piojo » (le poux), est un entraîneur estimé au Mexique, champion du Clausura 2014 avec l’América, disciple de Ricardo La Volpe, mais dont le comportement n’a jamais fait l’unanimité. En cause : un défaut de maîtrise de ses nerfs, et des dérapages verbaux à répétition. Herrera avait pourtant juré de se tenir à carreau une fois nommé sélectionneur, mais le bouillant entraîneur a rechuté lourdement le 3 juin, au terme d’une défaite en amical face à la Bosnie de Safet Sušić (0-1). « Des cochons » , voilà comment Miguel Herrera a qualifié le staff adverse. Le sélectionneur d’El Tri n’avait toujours pas avalé que Safet Sušić ait effectué plusieurs changements dans son onze de départ sans en avertir son adversaire du soir. Lors de la conférence de presse d’après-match, Herrera, loin de laisser échapper une insulte, la martela. Extraits porcins : « Ce qu’ils ont fait, c’est un cochonnerie, une porcherie, je ne vais pas les comparer à la Croatie, une équipe décente, qui ne ferait pas ces cochonneries. » De l’or en barre pour les médias, après un amical où El Tri n’avait rien montré de probant. Le lendemain, une tête de cochon figurait à la une de Record, le grand quotidien sportif mexicain.
Pioja et chasse à l’arbitre
« Je suis quelqu’un de frontal, je dis ce que je pense en face » , assure Herrera. Il ne ment pas. El Piojo goûte notamment particulièrement de dire ce qu’il pense aux arbitres. En décembre dernier, au terme de l’avant-dernière finale du championnat mexicain, où Herrera était encore l’entraîneur de l’América tout en portant déjà la casquette de sélectionneur, El Piojo alla ainsi chercher l’homme en noir sur le terrain avant de l’incendier en conférence de presse. Pour le bouillant coach, l’arbitre était le grand responsable de la défaite des siens face au Léon de Rafa Márquez, dont le sélectionneur a fait son indiscutable capitaine. Une analyse pas franchement partagée par la presse, et surtout pas par Andrés Fassi, vice-président du groupe Pachuca, propriétaire du Club León. « Penser que cet entraîneur va nous représenter au Mondial me rend vraiment triste, déclara alors Fassi, il existait tellement de grandes personnalités dans le monde du football pour occuper cette fonction, je ressens de la honte pour le manque d’humilité de ce monsieur. » Aujourd’hui, Herrera n’en démord pas : « Je suis sorti de mes gonds à cause de toutes les injustices dont on a été victimes. Mais je sais bien qu’en tant que sélectionneur, je ne peux pas me permettre de ne pas me contrôler, car le Mondial est une compétition courte. »
Pioja, sa fille
Miguel Herrera doit diriger 23 joueurs, mais il doit aussi tenter de maîtriser un élément perturbateur : sa fille. Hyperactive sur Twitter, Michelle Herrera, 18 ans, s’est notamment signalée lors d’une conférence de presse d’avant-match en prenant le micro et en posant une question à son père à propos du jeune attaquant Raúl Jiménez, son ami, devant le regard médusé des journalistes. Le daron répond alors comme si de rien n’était avant de réprimander sa progéniture une fois à la maison. Mais comme son père, Michelle est plutôt du genre récidiviste. Le jour du fameux amical face à la Bosnie, la Pioja, son surnom, finit par exploser devant le nombre de messages questionnant le travail de son père. « Attendez, bande d’abrutis, c’est le premier match qu’on perd en sept mois, et c’est un amical » , tweeta-t-elle, fautes d’orthographe à la clé. Le hashtag choisi par la Pioja : « Idiots. »
Aguirre : « Miguel est toujours à l’aise »
Des sélectionneurs du Mondial, le Mexicain est sans doute le plus disponible pour échanger avec la presse, face à laquelle il ne se dérobe jamais, même quand il est questionné à propos de l’activité de sa fille sur les réseaux sociaux : « Il faut qu’elle apprenne à encaisser, (…) mais j’aimerais me trouver en face de ceux qui l’insultent en se cachant derrière un réseau social. » Presse nationale, régionale, ou étrangère, Herrera fixe rendez-vous sur son portable, et s’y tient, répondant sans avarice aux questions, d’un ton affable. « Il ne lui reste plus qu’à être interviewé par le bulletin paroissial » , ironisa un journaliste mexicain sur Twitter. Ou de participer à des émissions de divertissement… Ce qu’il fit début avril. L’émission se nomme Sabadazo. Un programme bas de gamme et criard du samedi matin. El Piojo raconte : « À la base, ça devait être une courte interview, mais ils m’ont fait une belle surprise en invitant ma famille à un moment où je ne les voyais quasiment plus à cause du travail. J’ai passé un bon moment. » « C’est atypique, rigole Javier Aguirre, sélectionneur du Mexique en 2002 et 2010, mais je ne vois pas le problème. Miguel est comme ça, toujours à l’aise dans n’importe quel environnement et les gens l’aiment. C’est très important quand tu es sélectionneur. Les gens sentent qu’il est proche d’eux. »
Physique et langage fleuri de vendeur de tacos, Miguel Herrera, en bon Mexicain, se définit « comme un homme de famille » . Lors des séances photos, il n’hésite ainsi jamais à exposer sa femme et ses deux filles. « Je fais tout pour être un bon père, un bon fils, un bon frère » , dit-il. Lors de ses années tendres, ce fils d’une employée du gouvernement fédéral a multiplié les petits boulots pour aider sa famille : « Par exemple, dans les supermarchés, j’empaquetais les courses des clients » , explique-t-il. Herrera, c’est un peu Cuauhtémoc Blanco qui fait entraîneur. Un type incapable de dissimuler ses gros défauts, mais auquel le Mexicain moyen s’identifie. Sa nomination a donné de l’air à une sélection qui se trouvait alors au bord de l’asphyxie après une phase éliminatoire où le Mexique dut son accession pour le barrage à un but des États-unis. « Mais eux nous doivent beaucoup plus, avait assuré Herrera lors d’une conférence de presse, l’œil rieur, ils nous doivent la Californie. » Bingo auprès de l’opinion publique mexicaine.
Émôticônes, audace et petit pois
Franco de port, nature diront certains, ou tout du moins transparent, Herrera n’a jamais pensé que l’autorité était incompatible avec une bonne blague. Usager de Twitter, comme sa fille, El Piojo peut y annoncer ses onze de départ comme y amuser la galerie. Quand il poste une photo où il pose aux côtés de Tom Brady, star du football américain et époux de Gisele Bündchen, il la légende ainsi : « Il m’a demandé une photo, je ne sais pas qui c’est, mais ça lui a fait sa journée. » Un tweet évidemment suivi de quelques émoticônes farceurs. En pleine conférence de presse, Herrera peut aussi lancer à un journaliste à la taille plus proche de Tyrion Lannister que de Jan Kohler : « Lève-toi s’il te plaît. » Roulement de tambour et rires dans l’assistance.
La personnalité directe de Miguel Herrera est une fabrique à polémiques, mais elle lui permet surtout de créer une relation étroite et de confiance avec ses joueurs. « Je m’adresse aux joueurs, sans prendre de détours, sans mentir » , assure-t-il. « Miguel est quelqu’un qui se distingue par sa capacité à transmettre sa confiance en lui, en son travail, loue Javier Aguirre. Il est audacieux, courageux, et travaille très bien ses équipes sur le terrain. » Car malgré ses airs bonhommes, Herrera n’a rien d’un dilettante. C’est un boulimique de travail, qui a pour mission de faire fonctionner son cher 5-3-2, qui est surtout un 3-5-2, en n’ayant disposé que d’un gros mois de préparation. Il pourrait s’abriter derrière ce délai restreint pour déjà ouvrir le parapluie à excuses, il préfère annoncer que le Mexique passera enfin les huitièmes de finale, le stade où échoue El Tri depuis 1994. Il peut aussi prendre des décisions courageuses, comme d’avoir écarté Chicharito, la star nationale et favori des sponsors, du onze titulaire. « Pour moi, il n’est plus la grande personnalité du Mexique, même s’il joue dans un grand club et un grand championnat. »
Son ennemi Baron
Avant d’être sélectionneur et entraîneur, Herrera fut un joueur. « C’était un guerrier, un joueur rapide, courageux, solidaire, rafraîchit Aguirre, il a débuté comme attaquant et a terminé sa carrière comme latéral. » International mexicain, son grand trauma est de ne pas avoir été retenu pour le Mondial 94 alors qu’il avait disputé toute la phase éliminatoire. Herrera entretient depuis des relations exécrables avec le sélectionneur de l’époque, Miguel Mejía Baron. Taquiné régulièrement par Baron dans les chroniques qu’il écrit pour Record, Herrera a fini par déraper sérieusement en février 2013. « Je dois être de son goût, déclara-t-il à El Universal, sans doute à cause de ses déviances sexuelles. » Allusion à la prétendue homosexualité de l’ex-sélectionneur. Après avoir été sermonné par sa direction, Herrera finira par s’excuser publiquement. Un exercice qu’il pourrait répéter si le Mexique venait à ne pas passer le premier tour.
Par Thomas Goubin