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- Interview Gilles Rampillon
« On gagne 4-3, Bob Marley marque deux buts »
Meneur de jeu moustachu, Gilles Rampillon régalait le stade Marcel-Saupin des années 70 et 80. Étudiant brillant, technicien du ballon, l'ancien international a notamment rencontré Bob Marley le temps d'un match de légende avant d’entraîner Zidane à l'AS Cannes.
Bonjour Gilles. Que faites-vous aujourd’hui ?Je suis attaché territorial. Je travaille à la mairie de Nantes. J’accueille des délégations internationales.
Qu’est-ce que le football vous a appris et qui vous sert encore aujourd’hui ?Le travail collectif, l’esprit d’équipe est primordial. Je ne reçois pas les délégations seul. C’est comme dans le jeu, l’adaptation, la réactivité. Il faut savoir s’adapter aux attentes des personnes qu’on reçoit pour donner la meilleure image possible de Nantes. L’humilité, par rapport à tout ce que j’ai vécu en tant que joueur à Nantes ou en équipe de France. Le respect de l’adversaire. Respecter les autres me sert beaucoup pour accomplir au mieux les missions qui me sont confiées. Le désir de toujours progresser. Tout au long de ma carrière, j’ai toujours voulu mieux faire et je continue à l’appliquer aujourd’hui. Je suis perfectionniste. J’ai appris à l’être, car le football se joue sur des détails.
Quel différence entre votre football des années 70-80 et celui d’aujourd’hui ?Il y a des points communs. À 17 ans, je regarde le Brésil pendant la Coupe du monde au Mexique. Je suis ébloui par la qualité de jeu, le collectif et les individualités. J’ai toujours l’impression que ce jeu est d’actualité. Les anciens joueurs, je me mets peut-être dedans, se seraient adaptés au football actuel, même si on considère que ça va plus vite et que c’est plus physique. J’ai toujours considéré que la technique individuelle et collective, ainsi que l’intelligence de jeu sont primordiales et ce n’est pas tributaire d’une époque. Aujourd’hui, on est dans un autre monde sur le plan médiatique, ce qui influe sur la mentalité, voire la formation des jeunes joueurs. Quand on voit Anthony Martial, je n’ai pas souvenir d’un transfert aussi précoce. Mais je reste positif concernant le football actuel dans sa dimension populaire notamment.
Quel style de joueur étiez-vous ?J’étais un numéro 10 classique. Meneur de jeu, animateur offensif, stratège, en soutien des attaquants. Je fais 1m72, plutôt vif, très technique. Si vous voyez mon but en équipe de France, ça résume mon style de jeu : dribbles courts, vitesse d’exécution, qualité de frappe. Mes entraîneurs ont souvent dit que je savais mettre en valeur mes partenaires. J’aimais percevoir leur jeu pour mieux les comprendre et les servir. J’avais un football simple, dépouillé et j’aimais jouer à une touche de balle. C’est peut-être pour ça que José Arribas m’a fait confiance très tôt. J’ai pu rapidement m’insérer dans le style de jeu qu’il préconisait. Après, tout en étant meneur de jeu, j’ai marqué beaucoup de buts.
Justement. Quand on vous regarde balle au pied, on voit un 10 à l’ancienne, mais quand on consulte vos statistiques, on pourrait vous considérer comme un 9 et demi. Un peu comme Platini.Exact. Lorsque je jouais à Marcel-Saupin, je n’avais jamais vraiment de consignes, pour garder ce style offensif cher au FC Nantes. J’ai toujours évolué un peu comme un 4e attaquant. Dans le 4-2-4, j’étais un 10 à hauteur du 9. Dans le 4-3-3, j’étais 10 encore très près du numéro 9. Je suis le meilleur buteur de l’histoire du FC Nantes à Saupin, le troisième de l’histoire du club derrière Blanchet et Gondet ex-aequo avec Halilhodžić. Bon, il a joué moins de saisons que moi, mais j’étais un numéro 10. En fait, ces chiffres s’expliquent stratégiquement et tactiquement. À domicile, j’étais hyper offensif, alors qu’à l’extérieur, pour être champion, Gilles Rampillon était numéro 10 pour l’équilibre de l’équipe. Pour restituer, je suis le meilleur buteur à domicile avec 64 buts, le deuxième étant Halilhodžić avec 62, désolé Vahid !
Votre look moustache, ça vient d’où ?Je ne suis pas né avec, mais je l’ai toujours eue…(rires)
Vous l’avez gardée toute votre carrière ?Oui, toute ma carrière, mais je ne l’ai plus maintenant. (rires)
Avec José Arribas comme entraîneur, vous étiez aux prémices du jeu à la nantaise.José Arribas était déjà champion en 65-66 avec les plus anciens et développait la formation. Moi, j’arrivais chez les pros en 72-73, je n’avais pas 20 ans. Là, on parlait du style de jeu à la nantaise chez les pros.
Où logiez-vous pendant votre formation au FC Nantes ? Le centre de formation n’existait pas encore.On était dispatchés. J’étais route de Vannes, chez un particulier au rez-de-chaussée avec un autre jeune qui n’a pas percé. J’étais aussi étudiant, j’avais ma petite chambre. On était logés de façon un peu éparpillée, mais on parlait déjà de formation à la nantaise avec José Arribas. Mais il n’y avait pas de lieu où on était tous rassemblés. La première année, j’étais amateur, je ne voulais pas être stagiaire pour pouvoir poursuivre mes études supérieures.
Avant de passer pro en 72, vous suiviez des études en même temps que la pratique du football. Comment vous organisiez-vous ?Je suis capitaine de l’équipe cadet du Centre-Ouest en 69-70. Je passe le bac avec mention à Niort. Je suis contacté par de nombreux clubs, mais je ne retiens que Nantes et Saint-Étienne. En accord avec mes parents, j’accepte de signer à Nantes à la condition de donner la priorité à mes études supérieures tout en restant amateur. Je décline le contrat de stagiaire. Je choisis hypokhâgne en lettres supérieures au lycée Clémenceau. La première année, priorité aux études. 40 heures de cours. Elle est plutôt brillante. La deuxième, je suis admis en khâgne et on est champions de France amateur. Je ne m’entraîne que trois fois par semaine, je suis à fond étudiant. Je veux préparer mes concours pour normal sup, sauf que comme on est champions et que je pense avoir quelques qualités… et puis j’ai le coup de cœur pour Nantes. La troisième année, je bascule des études pour le football. On est en route pour le titre de champion de France, on est finalistes de la Coupe de France qu’on perd contre Lyon, alors qu’on est archi-favoris. C’est l’occasion de faire un doublé que Nantes n’a jamais réalisé. Je fais mon premier match contre le PSG de Djorkaeff père, le 1er septembre 71 et on gagne 6-0, je marque dès la 15e.
Vous passez 12 ans au FC Nantes, vous remportez trois championnats et une Coupe de France. Vous étiez le taulier…Je suis champion en 73. À 23 ans, je suis considéré comme un ancien. J’ai connu plusieurs générations. Pour moi, la plus belle saison de l’histoire du FC Nantes, c’était en 79/80. On est demi-finalistes de la Coupe européenne des vainqueurs de coupe. Si on compare à 95/96, il y a la demi-finale de Ligue des champions contre la Juve, mais Nantes n’est pas champion. Après, on peut dire que la Ligue des champions, c’est autre chose que la Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe.
Quels étaient les point forts de votre Nantes ?La cohésion. L’intelligence collective, voulue et développée par l’entraîneur. On a tellement mis en avant le jeu d’équipe qu’il faut reconnaître qu’on était un certain nombre d’individualités d’excellent niveau. La technique, la justesse de jeu aussi.
En regardant le classement des buteurs de Nantes pendant vos années, on a l’impression que vous n’aviez pas de véritable numéro 9 ? Tout le monde pouvait marquer.C’est vrai. Il faut en rendre le mérite à Jean Vincent et José Arribas. C’était la conséquence logique du jeu collectif. Ce n’est pas seulement se faire des passes. L’exigence collective impulsée par l’entraîneur était développée pour qu’on soit le maximum à marquer. Je l’ai mise en pratique aussi lorsque j’étais entraîneur à Cannes avec Zidane et Micoud entre autres. Un milieu de terrain offensif doit aller dans le camp adverse et être attiré par le but. Il faut développer chez les jeunes la faculté d’être performant dans les zones décisives.
Grâce à votre victoire en Coupe de France 79, vous êtes qualifiés pour la Coupe d’europe des vainqueurs de coupe en 80 dont vous êtes demi-finalistes.Jean Vincent prend la suite de José Arribas et impulse son style. Peut-être pour franchir un cap au niveau européen. Si on doit gagner la Coupe d’Europe, c’est cette année-là et on aurait dû la gagner. On est éliminés par Valence dans un très grand match. On n’a gagné que 2-1 à l’aller et on a été laminés à Valence. Éliminés par Kempes, champion du monde argentin, et mon adversaire direct était Rainer Bonhof, champion du monde en 74, pour vous situer le niveau. À Valence, je marque d’entrée, mais le but est refusé pour hors-jeu. Pour dire qu’on y croyait, quand même. Les médias disaient souvent Nantes, style de jeu…
Agréable, mais pas efficace ?Oui c’est ça, notamment en Coupe, Nantes n’avait jamais gagné de Coupe de France. Et le fait d’avoir gagné celle-là, non sans mal, nous a libérés. L’effectif est stable. On passe le premier tour en Coupe d’Europe, mais la suite n’a pas été simple. Mais on aurait pu faire mieux, moi y compris. En Coupe d’Europe, je n’ai pas marqué tant que ça. Mon plus beau souvenir était la double confrontation contre le grand Legia Varsovie. On fait 2-2 à l’aller, on gagne 1-0 au retour. On a été archi-dominés, je m’échappe une seule fois et je marque. La leçon de la Coupe d’Europe, c’est qu’il faut être présent le jour J.
Votre première sélection en équipe de France arrive le 27 mars 1976.C’était la première de Michel Hidalgo aussi. J’ai 22 ans. J’étais toujours avec José Arribas à Nantes, membre de l’équipe France universitaire, puis Espoirs. Le lendemain d’un France-Luxembourg espoirs où j’étais capitaine, la presse disait : « Gilles Rampillon bientôt en équipe de France. » C’était donc la continuité.
Comment avez-vous été accueilli ?Il y avait des Nantais comme Bertrand Demanes, Patrice Rio. On était 4 ou 5. C’était dans un contexte positif. J’avais beaucoup de respect. Je le prenais comme un défi, un challenge. Champion de France, Coupe de France, Coupe d’Europe ; le summum, c’est quand même l’équipe de France. On n’y va pas en disant qu’on va écraser tout le monde. L’intégration s’est faite naturellement, mais je n’ai pas été très bon en 75-76 je dois le reconnaître.
En 1979, vous remplacez Michel Platini absent contre la Tchécoslovaquie.On était en stage. J’avais le challenge d’être titulaire et le défi personnel d’être à la hauteur du numéro 10. Je n’hésite pas à dire que c’est le summum de ma carrière. Je n’ai pas fait un match exceptionnel, mais marqué un très beau but, celui de la victoire. Michel Hidalgo dans le vestiaire était ravi de m’avoir fait confiance. La Tchécoslovaquie, championne d’Europe, c’était une grosse équipe, solide. Ils étaient plus grands, plus costauds que nous.
Vous finissez votre carrière à Cannes, puis vous y devenez directeur technique. Vous avez dit avoir découvert Zidane, beaucoup s’en attribue la paternité.Je suis assez sûr de moi, je ne l’ai pas inventé. J’ai été nommé directeur technique de l’AS Cannes dont Jean Fernandez était l’entraîneur. C’est lui qui lui a donné sa chance en pro en mai 89 contre Nantes. Monsieur Varrault, un recruteur, me dit fin 86 : « Gilles, j’aimerais bien que tu me donnes ton avis, j’ai vu un joueur avec un style un peu bizarre. » Zidane avait 15 ans. Je suis allé le voir jouer en 87 lors d’une rencontre Saint-Raphaël-SO Septèmes. À cette époque, il n’est contacté par aucun autre club. Je m’installe en tribune, il n’a pas fait un match extraordinaire. Mais l’idée était déjà de le faire venir faire un stage à Cannes. Au bout de 2 ou 3 jours, les entraîneurs me disent : « Gilles, il faut faire vite. » Je reprends ma voiture avec Monsieur Varrault jusqu’au quartier nord de Marseille. Ses parents, Smaïl et Malika, m’ont demandé : « Pensez-vous qu’il puisse devenir footballeur professionnel ? » J’ai répondu : « Il a quelques qualités » – heureusement que j’ai dit ça quand même – « mais il doit travailler et être sérieux. » L’année suivante, j’ai pris la direction du centre de formation et l’entraînement de la division 3. Je revendique le fait d’avoir été le premier entraîneur de Zidane en professionnel. Je l’ai eu un an, mais je pourrais dire qu’à l’époque, c’était un joueur parmi tant d’autres.
En tant qu’ancien meneur de jeu, vous lui donniez des conseils particuliers ?J’ai compris après coup que j’ai entraîné le meilleur joueur du monde. Il avait des qualités : il était très à l’écoute, très réceptif, travailleur, un potentiel physique que je ne soupçonnais pas et la technique. C’est un joueur qui m’a toujours plu dans sa relation au ballon et son toucher de balle. J’ai indirectement transmis, à lui comme à d’autres, le jeu à la nantaise. J’insistais sur deux aspects : la vitesse d’exécution et de transmission. Il dribblait, je lui disais : « Contrôle, passe ou passe sans contrôle » , il comprenait. « Tu dribbles très bien, mais fais le plus dans le sens de la profondeur pour éliminer tes adversaires. » Je n’avais pas beaucoup de discussion avec lui, c’était plus envers le collectif, mais je me souviens lui avoir dit : « Un milieu de terrain doit marquer des buts » , or Zidane n’avait pas vraiment le sens du but. D’ailleurs, je l’ai fait jouer 8 et pas 10 pour le préserver. Je voulais le mettre face au jeu, car je ne pensais pas qu’il avait le potentiel de jouer 10 classique, dos au jeu. À la fin des séances d’entraînement, je mettais le ballon à 20 mètres en équilibre et je faisais la démonstration de reprises de volée du gauche. Un jour, je suis dans mon canapé, c’est la finale de la Coupe d’Europe, Real contre Bayer Leverkusen, c’était exactement le même geste.
Vous avez affronté Bob Marley et les Wailers le temps d’une rencontre.Ça fait partie des événements qu’on savoure avec le temps qui passe. On est au centre sportif de la Jonelière. On est en 1980. On vient d’être sacrés champions de France. Il me semble qu’on a encore un ou deux matchs de championnat. On est le 2 juillet 1980. On est en roue libre, mais on s’entraîne au stade habituel du centre sportif sur un terrain stabilisé au contrebas. On me dit : Bob Marley veut faire un match, il vient avec son groupe, il a un concert le lendemain. On fait un 5-5 après l’entraînement. C’est un match inoubliable. On lui donne un maillot Europe 1. Il joue avec un bas de survêtement. On gagne 4-3, il marque deux buts. Il était passionné de football. Un match extraordinaire. On avait mis une belle équipe. Universalité du football et plaisir du jeu.
Quelles qualités avaient Bob Marley sur le terrain ?Sa qualité numéro 1, c’était la hargne ! C’était comme s’il jouait la Coupe du monde. On jouait un match amical. Je ne sais pas s’il avait envie de se défouler, mais il était sur tous les ballons. Techniquement, il était à l’aise. Il était heureux de jouer. Ça ne m’étonne pas d’avoir lu qu’il aurait voulu être footballeur professionnel. Sur le moment, j’étais jeune, on ne s’en rend pas compte, et on se souvient après coup que c’était magique.
Propos recueillis par Flavien Bories