- Bundesliga
- 8e journée
- Borussia Dortmund/Schalke (1-2)
On était dans la Südtribüne pour Dortmund-Schalke
Dortmund-Schalke du haut de la Südtribüne. Soit le meilleur coin de ce qui est considéré comme étant le meilleur stade d'Allemagne pour assister à LA rencontre de la saison. Et l'ambiance qui va avec. Malheureusement pour les locaux, tout ne s'est pas passé comme prévu. Sans vraiment forcer, c'est Schalke qui repart avec les trois points. Retour sur une après-midi mouvementée.
« Die Mutter aller Derbys » , la mère de tous les derbys. Les rivalités de Munich (Bayern vs 1860), Hambourg (HSV vs Sankt-Pauli), voire du Nord (HSV vs Werder) sont ce qu’elles sont, mais elles ne pèsent pas bien lourd à côté du derby de la Ruhr. C’est tout simplement le match le plus attendu de l’année. Il n’y a qu’à écouter ce supporter du Borussia originaire de Leipzig, qui va voir pour la première fois de sa vie son équipe favorite au stade et qui a mis le prix fort pour venir : « J’ai fait une surenchère de dingue, j’ai payé 250 euros pour ma copine et moi. » Pour des places tout en haut de la tribune sud-est. Ça pique, mais c’est le prix à payer. Surtout pour un derby. Toutefois, l’ami de Saxe semble assez surpris de voir des supporters de Schalke marcher au milieu de ceux de Dortmund. « Chez nous, quand il y a derby entre le Dynamo Dresde et le Lok (pour Lokomotiv Leipzig), c’est tout à fait impossible. Les mecs se mettraient sur la gueule tout le temps. »
La police, cette racaille
C’est vrai que les temps ont changé : pas beaucoup d’insultes par médias interposés de la part des dirigeants des deux clubs la semaine précédant la rencontre, et les mecs s’affrontent même à la console quelques jours avant le match. Ceci étant, il commence à y avoir du mouvement. La police, qu’elle soit à pied ou montée, se met en place : plusieurs centaines d’ultras du Null-Vier, tout vêtus de bleu et avec des bobs blancs sur le crâne, déboulent en gueulant : « Hurra, hurra, der S04 ist da. » Les supporters du BVB s’excitent, et entament des cris et chants « à la gloire » du rival, comme « Tod und Hass des S04 » (mort et haine au S04), « Schalke Frauen, ficken und verhauen » (Les femmes de Schalke, faut les baiser, puis leur casser la gueule), sans oublier le classique « Als der FC Scheisse starb » (le jour où le FC Merde est mort). C’est dans cette ambiance tout à fait pacifique que les fans des Schwarzgelben décident d’aller faire des câlins à leurs invités du jour, chose que les forces de l’ordre n’autorisent évidemment pas. Mieux encore, les flics s’amusent à faire les cailleras, en provoquant eux-mêmes les supporters, tout en aspergeant la foule de bombe lacrymogène. Ce à quoi les agressés répondent en coloriant la police à l’aide de gros ballons de peinture. Jaune, évidemment.
Le match commence dans une heure, mais c’est maintenant que la « Süd » se remplit, là où les occupants des autres tribunes sont encore en train de s’empiffrer de Bratwurst, Bockwurst, Currywurst, Frikadelle et d’étancher leur soif en se versant des litres de houblon dans le gosier. En face, les fans de Schalke tentent de faire du bruit, allument des fumis, mais ils sont vite couverts par les sifflets des 24 454 supporters qui composent le « Mur jaune » , qui les assomment à coups de « Wir wollen keine Blau-Weißen Parasiten/Schwarzgelb ist der Ruhrpott/Raus mit diesem Pack! » (Nous ne voulons pas de parasites bleus et blancs/Le noir et jaune, c’est la Ruhr/Dehors, la racaille!). L’hymne du club « Leuchte auf, mein Stern Borussia » (Brille, mon étoile Borussia) retentit, suivi du fameux « You’ll never walk alone » . Le 141e Revierderby peut commencer.
L’affaire de la banderole volée
D’entrée, la Süd veut montrer qu’ici, c’est le BVB qui règne ( « Hier regiert der BVB » ). Alors elle appelle le reste du stade à se lever, à coups de « Deutscher Meister steh auf ! » (Champion d’Allemagne, lève-toi!). Les mecs de Schalke, qui connaissent leurs « ennemis » mieux que quiconque, profitent alors de ce moment pour casser l’ambiance en exhibant à l’envers une banderole « Dortmund » . C’est le choc dans la Süd. Cette banderole appartient à The Unity (TU), le principal groupe ultra noir et jaune, celui qui lance les chants dans la tribune (qui lance les chants tout court, d’ailleurs) et qui s’est fait cambrioler quelque temps auparavant. Les TU restent sans voix, le reste de la tribune est perdue. « Putain, mais reprenez-vous, bordel » , gueule un type du bloc 12. « Vous le saviez que vous vous étiez fait voler et qu’ils allaient l’exhiber, cette banderole. Allez, lancez-nous! » Pas de réaction, ou presque. Et hasard ou pas, ce « silence » se ressent immédiatement sur la pelouse. Dortmund, privé de plusieurs titulaires, perd pied et encaisse un but d’Ibrahim Afellay dans la foulée. Le chaos s’installe progressivement au Signal Idu… au Westfalenstadion. Sur le terrain, l’organisation fait peine à voir, entre un Bender qui a commencé libéro et qui se trouve latéral droit, Piszczek passant à gauche, faisant remonter Großkreutz d’un cran et Perišić passant à droite. Un bordel sans nom. En tribunes, c’est la même : les chants partent n’importe comment et ne durent jamais plus d’une dizaine de secondes. La mi-temps arrive à point nommé.
Au retour des vestiaires, les supporters du BVB veulent y croire. Seulement, leurs joueurs ont encore la tête sous l’eau, apparemment. Lewis Holtby adresse une passe en profondeur, Kehl et Subotić s’emmêlent les pinceaux et Marco Höger s’en va tranquillement flinguer Roman Weidenfeller. 0-2, les 8000 supporters du Null-Vier jubilent. Ils la tiennent, leur victoire en territoire ennemi. Mais la Süd n’a pas dit son dernier mot. Certes, elle réagit timidement après ce second but, mais s’enflamme à nouveau quand Robert Lewandowski réduit la marque à 1-2. Les chants résonnent comme jamais ce ne fut le cas dans cette rencontre jusqu’à présent. Dortmund obtient quelques corners, des « Hinein! Hinein! Hinein! » (Dedans, dedans, dedans!) s’enchaînent. Cependant, Dortmund n’est pas aussi dangereux, aussi tranchant que d’habitude. Schalke gère parfaitement sa rencontre, et les Königsblauen en profitent même pour mettre la Süd hors d’elle. Le gardien Lars Unnerstall en rajoute un peu après un choc avec son défenseur sur un duel aérien. Il se roule au sol, les supporters deviennent fous et semblent tout d’un coup atteints du syndrome de la Tourette. Les sifflets fusent. Un supporter qui ne sait manifestement pas siffler hurle à tout bout de champ. Le mec devant lui fait le pare-brise avec sa main devant son visage, geste commun en Allemagne pour parler de quelqu’un de fou. « Verpiss dich, du Wichser, Scheiss Hurensohn » (Va te faire foutre, sale branleur, fils de pute de merde), crie un autre gars. Le tout avec un débit à concurrencer Scatman. Quelques instants plus tard, Unnerstall obtiendra un six mètres, et sera accompagné du « Oh, hisse! Enculé » local, à savoir « Arschloch, Wichser, Hurensohn, deine Mutter hatte ich schon! » (Trou du cul, branleur, fils de pute, ta mère, je l’ai déjà baisée!). De la poésie pure, mais qui ne changera rien.
Des pintes au Strobels comme exutoire
L’ambiance, cassée au quart d’heure de jeu, n’est jamais vraiment revenue. Le « Mur » s’est légèrement effrité. Pour son 1500e match dans l’élite, le FC Schalke Null-Vier s’impose sur la pelouse de son meilleur ennemi, et le largue à cinq points. La Süd a beau applaudir ses héros venus la saluer, cette défaite lui fait mal. Elle n’a même pas le cœur à répondre aux « Auf Wiedersehen » des supporters de Schalke, qui ont enlevé leurs bobs pour les saluer et les gaver de « Auswärtssieg, Auswärtssieg! » (victoire à l’extérieur). Du coup, dehors, c’est le bleu-roi qui règne, le « Derbysieger » , les ultras du S04 paradent et chambrent tout ce qui est noir et jaune, le tout sous bonne escorte policière. Certains fans de Dortmund iront se consoler en buvant des pintes au Strobels, le bar collé au stade. D’autres leur rappelleront qu’ils ont beau avoir perdu le match d’aujourd’hui, ils savent à quoi ressemble un titre de champion : « Ein Leben lang, und keine Schale in der Hand ! » (Toute une vie sans saladier [de champion] dans la main). Chacun se console comme il peut. En tout cas, vivement le prochain derby.
Par Ali Farhat