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On était avec les supporters d’Astana au Roazhon Park

Par Julien Duez et Adrien Candau, à Rennes
On était avec les supporters d’Astana au Roazhon Park

Des maillots XXXL, des tambours à l’envers, un mégaphone qui tousse et des capos improvisés : la culture ultra n'a pas voyagé jusqu'à Astana, mais là n'est pas la question. La communauté kazakhe de France et d'ailleurs se retrouvait prioritairement pour autre chose que pour se mater du football.

Au premier coup d’œil, difficile de les repérer. Il est 18 heures, un type ventripotent avec un maillot de Rennes est en train de descendre une pinte au bien nommé Football Bar, et le Roazhon Park commence doucement à se teinter de rouge et noir. En cherchant bien, on peut quand même apercevoir quelques zigotos vêtus de bleu qui attendent tranquillement près de la grille d’entrée du parcage visiteurs. Quelques jolies filles aux yeux en amande papotent en groupe, un grand gars fait des sourires timides en distribuant des drapeaux et un autre déboule tel un seigneur des steppes, en manteau traditionnel serti de motifs argentés. Eux, ce sont les supporters d’Astana, qui comptent bien profiter de l’éternelle aura de lose qui imprègne le Stade rennais pour continuer l’aventure en C3.

En attendant de retourner la Bretagne, tout ce beau monde se pèle les miches en espérant que le responsable de la sécurité, un mec aux faux airs de George R. R. Martin, leur ouvre vite les grilles direction leurs tribunes. « Dites-vous que je suis un peu comme Papa Noël, balance-il en tripotant sa barbe blanche. Si vous êtes sages, vous aurez droit à un cadeau. » Les portes finissent par s’ouvrir une demi-heure avant le coup d’envoi. Le moment de distribuer des T-shirts produits spécialement pour le match. Il n’y a qu’une seule taille disponible : XXXL. Mais quand on porte trois couches de vêtements sur soi, c’est idéal pour afficher ses couleurs sans devoir ouvrir sa parka.

Les hommes du président

Avec le trafic saturé sur la rocade, les effectifs ne sont pas au complet lorsque l’arbitre siffle le coup d’envoi. Quelque cinquante fans sont déjà en place, on en attend 150 de plus. Alors, pour tenter de répondre à la tribune Mordelles où les ultras rennais sont en ébullition, l’un des organisateurs demande aux présents de se disposer un siège sur deux, histoire de faire illusion. Sans tambour ni mégaphone, la machine kazakhe se met poussivement en branle. Chacun lance un chant de son côté, sans concertation. De toute façon, il n’y a pas de capo pour tout coordonner. « Il faut savoir qu’au Kazakhstan, il n’y a qu’un club avec des ultras comme nous les connaissons en Europe : c’est le FC Aktobe, explique Damien, un Bordelais marié à une Kazakhe et qui porte le maillot d’Astana sur les épaules. La majorité des gens présents s’en foutent du match, c’est juste un moyen pour eux de retrouver la communauté. » Mahmout approuve : « Je ne connais pas les joueurs sur le terrain et je ne suis même pas originaire d’Astana, mais ce soir, c’est un peu le Kazakhstan qui joue. On est venus spécialement de Paris avec quelques amis pour les voir » , explique l’homme arrivé en France en 1986, avant de reprendre son Facebook Live pour les copains restés au pays des steppes.

Tout ce joyeux bordel contraste un peu avec l’image d’ambassadeur sportif du Kazakhstan qui colle au club de la capitale. Propriété du fonds souverain Samruk-Kazyna, lequel affiche 70 milliards de dollars en banque, l’équipe fait partie d’un groupe omnisports créé en 2012 par le président du pays Noursoultan Nazarbaïev et dans lequel on retrouve notamment la célèbre équipe cycliste Astana. Ce soir, le boss du club jaune et bleu est en loges. La veille, il rencontrait le maire de Rennes, nous confie-t-on. Il faut dire que la préfecture d’Ille-et-Vilaine est jumelée avec Almaty, l’ancienne capitale du Kazakhstan.

Mais pas le temps de causer géopolitique, le bloc des visiteurs commence à se garnir. Problème : le type qui tonne habituellement du tambour est resté bloqué au pays à cause d’un visa non conforme. Quelques débrouillards déboulent quand même avec un mégaphone et une caisse claire. Pendant ce temps-là, sur le perchoir, un capo improvisé parvient à synchroniser quelques chants simples et qui, de l’intérieur, ne rendent pas trop mal : « A-STA-NA ! » ou « DAVAÏ » (allez, en russe), « DAVAÏ, HOP ! » Pas forcément très recherché, mais au moins la mayonnaise prend. Ça tombe bien, l’arbitre vient de siffler la mi-temps, et le marquoir affiche toujours 0-0. « Pourvu que ça dure ! » , souffle une jeune femme qui sait qu’un match nul suffit à Astana pour voir les seizièmes.

Ici, c’est Paris Kazak Spor

Ceux qui veulent fumer se rendent alors dans les coursives, histoire de n’intoxiquer personne, mais surtout de respecter les consignes dictées par Papa Noël devant le stade. C’est là que l’on croise Taner et Ferit en train de tranquillement débriefer la première mi-temps. Les deux zozos, 34 piges bien tassées, sont membres du Paris Kazak Spor, un club de foot basé dans le 18e arrondissement de Paris et qui, lorsqu’il ne joue pas en DHR, sert de point de ralliement pour la communauté kazakhe francilienne. « Il y a plus ou moins 250 familles kazakhes en région parisienne et on essaie de brasser tout ça » , lance Taner, qui peine à chiffrer précisément le nombre de ses compatriotes présents dans l’Hexagone. Damien, le Bordelais, confirme : « C’est à peu près ça, on ne trouve quasiment aucun Kazakh en province. Mais il y a quand même deux familles basées à Rennes qui ont pris en charge l’hébergement de ceux qui ont fait le déplacement depuis Astana ! »

Taner, né en Turquie et arrivé en France à l’âge de quatre ans, a rameuté une vingtaine de gars de son club pour gonfler les rangs. Coup de l’opération ? Zéro euro. « On a eu des places de la part de l’ambassadeur du Kazakhstan en France. C’est le président du club, Sayan Khamitjanov, qui a tout payé » , explique son pote Ferit. La générosité du président est sans limite. Cette année, tous ceux qui se déplaçaient encourager Astana en Coupe d’Europe recevaient des billets gratuits. Taner n’a donc pas hésité pour voir jouer le représentant du pays de ses parents : « Moi, je suis pour Astana, mais pas seulement. En Coupe d’Europe, j’encourage tous les clubs du Kazakhstan ! »

Ça bavarde sans trop zieuter le terrain, du moins jusqu’à ce qu’Ismaïla Sarr ne se fasse découper dans la surface. Une supportrice qui porte à l’envers le maillot de la sélection kazakhe décide alors d’arrêter de déconner. Et de s’emparer du mégaphone pour lancer timidement une huée générale, pouce vers le bas, alors que Bourigeaud s’apprête à frapper son penalty. Et ça marche : le Rennais manque son coup. Mais ça ne marche pas longtemps, puisque Sarr crucifie Astana par deux fois dans la foulée. Pas grave, on scande ponctuellement le nom du portier serbe et capitaine Nenad Eric, véritable héros local, puisqu’il évolue au club depuis 2011, mais aussi national, car c’est désormais lui qui garde les perches de la sélection de son pays d’adoption. Au coup de sifflet final, personne ne tire vraiment la gueule, même quand le Papa Noël de la sécurité remontre son bout de barbe pour charrier les visiteurs « Bah alors, vous avez perdu ? Vous inquiétez pas, Rennes c’est sympa comme ville, ça va vous plaire ! » Comme pour suivre son conseil, tout ce beau monde finit par s’enfoncer dans la nuit rennaise, maillot trop grand sur les épaules et drapeau au poing. En attendant, pour certains, de reprendre l’avion direction Astana dès le lendemain.

Dans cet article :
Dans la tête de Bruno Genesio
Dans cet article :

Par Julien Duez et Adrien Candau, à Rennes

Tous propos recueillis par AC et JD
Photos : JD

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