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On était aux 20 ans du Pôle Espoir de Châteauroux…
Florian Thauvin, Valère Germain, Karim Aït-Fana ou encore Morgan Sanson. Depuis vingt ans, porté par le guide Fabrice Dubois, le pôle espoir de Châteauroux s'est imposé comme la place forte de la pré-formation nationale, présentant des statistiques de réussite supérieures à celles de Clairefontaine. Le prestige méritait bien une journée barbecue avec les anciens. Entre selfies et nostalgie.
L’endroit est une esquisse dans un paysage vide de toute habitation. Un château, aux allures de petit Clairefontaine, situé au bout d’une longue route bitumée, bordée par deux rangées d’arbres de chaque côté. Ce chemin, les pensionnaires de ce château l’empruntent chaque dimanche soir, une boule au ventre la première fois à l’idée de quitter leur famille, et qu’ils arpentent dans l’autre sens le vendredi pour retrouver leur foyer et club respectif. Ils sont 330 à l’avoir foulé en vingt ans. Au départ, en 1995, la DTN avait choisi d’installer le pôle espoir de la Région Centre à Tours avant de le délocaliser rapidement à Châteauroux, dans la résidence, ce château, de Blanche-de-Fontarce. Depuis, les générations ont défilé, 36 joueurs professionnels y sont passés. De Razak Boukari à Florian Thauvin, en passant par Romain Grange, Morgan Sanson ou Karim Aït-Fana. « C’est là qu’on est devenu des hommes, qu’on a appris le partage et la vie en communauté, se souvient Boukari, aujourd’hui joueur de Wolverhampton (Championship) après être passé par Châteauroux, Lens ou encore le Stade rennais. On était que des gamins de 12-13 ans mais on nous demandait beaucoup, d’apprendre à nous responsabiliser très rapidement. Quand on est à l’Institut de Football Régional (IFR), on représente un groupe de 15-16 joueurs qui forme l’élite de la région donc on apprend très vite » se souvient Boukari,
Merguez, « FAF » et chansonnette
Dimanche 24 mai, à une bonne borne de ce château, le stade Michel-Guignard de Châteauroux, coincé au cœur des immeubles du quartier de Touvent, a enfilé sa veste de gala. Les bénévoles se sont affairées depuis quelques jours pour que l’événement soit digne du symbole qu’il représente. La buvette est en place alors que Romain Grange, ancien de la génération 88 du pôle espoir et aujourd’hui milieu relayeur à Nancy, claque des poignées de main à ses potes de la « pré-fo » . Comme Boukari, Grange est un enfant de Châteauroux et avoue que « quand on est de la région, intégrer l’IFR est une étape importante, un rêve de gosse. Même si t’es éloigné de ta famille, ça fait mûrir et grandir tant humainement que sportivement. » Autour d’une pinte de Coca, les joueurs se souviennent. Karim Aït-Fana, l’actuel Montpelliérain, évoque « cette chanson qui racontait la vie au centre et qu’ils chantaient tous ensemble en allant au collège tous les matins » . Car être en pôle espoir au début de l’adolescence, c’est accepter un mode de vie, un cadre humano-sportif pour devenir un apprenti footballeur prêt à intégrer un centre de formation professionnel.
C’est accepter aussi de « ne pas avoir son portable de la semaine sauf le jeudi soir pendant deux heures » , c’est être prêt à « recopier des lignes du règlement à chaque connerie de faite » et c’est aussi faire face à la jalousie des autres collégiens. Romain Grange se souvient de la rivalité qui s’était installée entre les collégiens et les « footeux » : « On était vraiment à part, avec un emploi du temps sur mesure, des cours tous les jours jusqu’à 15 heures avant les entraînements et les devoirs au pôle. Forcément, à cet âge là, ça fait naître des jalousies. On était ceux que les filles regardaient le plus… Il y avait même une Fédération Anti-Footeux qui avait été créée » . Des épisodes qui forment la cohésion d’un groupe. Aït Fana se rappelle « de petites échauffourées où les plus grands devaient venir protéger leurs petits frères de première année. » Des épisodes qui pouvaient surtout être racontés à la famille, jointe grâce à la cabine téléphonique, dont se souvient très bien Guillaume Legras, de la génération 90 et aujourd’hui en Serie C italienne, à Barletta : « Tous les soirs, c’était la queue à la cabine. On n’avait que ça pour joindre nos familles. On les appelait pour qu’ils nous rappellent, c’était pas le plus pratique mais on n’avait pas le choix. »
« Le génie est une longue patience »
Près du club-house, attablé autour du gâteau d’anniversaire, Stéphane Ureña revisite sa jeunesse sportive avec trois anciens coéquipiers, un exemplaire du Monde sous la main. Issu de la génération 90 des Sunu, Germain et Bulot, le gardien a depuis raccroché les crampons. La faute à des blessures au mollet à répétition qui l’ont obligé à quitter le centre de formation de Valenciennes qu’il avait rejoint après son passage au pôle espoir de Châteauroux et un moment au Tours FC. Aujourd’hui, Stéphane est titulaire de deux masters, l’un en management à l’EDHEC Business School et l’autre en affaires publiques à Sciences Po Paris. Il se rappelle qu’au centre, un gros « accent été mis sur les études. C’était une question centrale du projet de Fabrice Dubois et au-delà, de l’excellent niveau de notre génération, on a surtout fait naître de bons hommes. » Cette situation est également partagée par son pote, Daoud Tahoune, lui aussi du groupe à l’époque, et maintenant conseiller en patrimoine.
Pour rentrer en pôle espoir, une étude précise est réalisée autour de la personnalité du joueur, de ses qualités sportives mais aussi de son dossier scolaire. Un joueur, en pôle, est avant tout un homme à construire afin de ne pas le ranger ensuite au rang des « délaissés du foot » . Cette génération 90 sera d’ailleurs marquée par la réussite scolaire, Valère Germain et Guillaume Legras étant même au lycée alors que leurs coéquipiers étaient en troisième. « Ce passage à Châteauroux nous a forgés. On a le sentiment de porter un héritage, un passif tous ensemble qui nous a porté et quand on se retrouve, on évoque toujours ces souvenirs treize ans après » confie Stéphane. Il aura tout le loisir de marcher sur les traces de son passé puisque, une fois le barbecue-multiplex terminé, les quatre anciens prennent la route de Blanche-de-Fontarce, une heure avant de chausser les crampons pour un match de gala, dont les recettes seront reversées à des associations. Guillaume Legras se souvient de ses aller-retours entre Issoudun et Châteauroux, des terrains devenus synthétiques depuis ou des dortoirs. « Fred » Bulot, aujourd’hui à Charlton (Championship), plonge lui aussi dans la nostalgie et enchaîne les selfies, les vidéos au milieu de l’ancien terrain d’entraînement et dans les chambres. Chacun essaye de se retrouver sur les photos de groupe de l’époque, tout le monde ressent l’odeur du dortoir – « putain c’est encore la même ! » -, de la salle d’étude et de la salle de jeu. Avant de quitter les lieux, Stéphane Ureña, le double masterisé, prend le stylo et accroche une phrase en haut du tableau de l’étude : « Le génie est une longue patience » (Nietzche).
Fabrice Dubois, le dénominateur commun
Les flash-back rangés, le jean tombe. Chacun remet son short pour le match de gala devant une foule venue revoir les enfants de la région. Si le résultat importe peu, l’attraction du jour arrivera après dix minutes de jeu, lunettes noires teintées. Florian Thauvin, fraîchement débarqué de Marseille moins de 24 heures après avoir quitté le Vélodrome, vient d’arriver. Il croise sur sa foule un lot de questions qu’il dribble prudemment. L’arrogant présumé est bien humain. Il prend le temps de discuter avec les jeunes, claque quelques sourires pour les flashs admiratifs et rentre à son tour sur la pelouse où il inscrira un triplé et cassera quelques hanches. « Ça fait toujours plaisir de revenir où tout a commencé. C’est une journée qui fait du bien, qui casse avec le quotidien et j’en avais besoin. Même si on est très jeune, qu’on travaille dur, personne ne regrette son passage au pôle » confie le Marseillais.
Il faut discuter pour le comprendre, rentrer dans les profondeurs d’une pré-formation révélatrice où le niveau était souvent « plus élevé » qu’en centre de formation. Comment Châteauroux a pu devenir la place forte de la pré-formation nationale ? Le pionnier directeur de l’IFR, Sébastien Lebeau, est direct : « La seule réponse possible, c’est Fabrice Dubois. Il dirige les générations depuis maintenant quinze ans. C’est quelqu’un de très exigeant avec ses joueurs mais avant tout avec lui-même. Il sait ce qu’il veut et où il va. S’ils en sont tous là aujourd’hui, ils savent qu’il en est l’un, si ce n’est le responsable. » Tous n’ont pas fini professionnels, loin de là, mais Châteauroux affiche aujourd’hui le meilleur ratio de réussite en rapport avec le nombre de licenciés de sa région (Centre et Centre Ouest, soit dix départements et 4000 joueurs), loin devant la référence Clairefontaine. Fabrice Dubois, ancien Monégasque et directeur du pôle espoir, concède sa force de caractère mais avoue être toujours « juste » . « Lors des tests de sélection, notre but est de détecter un tout. Il s’agit d’un vrai travail de compréhension générale du joueur que l’on a en face de nous, explique le précepteur. On met de côté l’aspect athlétique, qui viendra plus tard, et on axe sur l’aisance du footballeur. L’objectif est de récupérer des apprentis et de faire sortir des hommes deux ans plus tard à la fin du cycle. On passe un contrat de départ ensemble, s’il est respecté, tout se passe bien. »
Gilles Sunu et Berri Touch
Dubois jouera aussi parfois le rôle de conseiller avec Thauvin, lorsqu’il alertera Grenoble pour placer son prodige ou pour diriger Gilles Sunu, parti rejoindre Arsenal à 16 ans. « J’ai eu la chance d’être surveillé et d’avoir intégrer un an avant tout le monde le pôle. En accord avec Fabrice, j’avais le droit la première année de rentrer tous les soirs chez moi, en demi-pension. Il a changé ma vie en m’apprenant les bases du football, à me servir de mon pied gauche que je n’utilisais jamais, raconte l’actuel attaquant d’Évian. Il m’a toujours encadré surtout lorsqu’à 15 ans, ta famille est approchée par Arsenal, tu peux partir en vrille rapidement. On a discuté avec Gilles Grimandi qui m’avait observé avec les sélections de jeunes de l’équipe de France alors que j’étais avec Châteauroux » . À sa sortie du pôle, Sunu intégrera définitivement la Berrichonne avant de partir chez les Gunners à 16 ans, où il s’entraînera d’entrée aux côtés des Fàbregas et autre Van Persie. « C’est l’une de mes plus grandes réussites. D’avoir fait des garçons comme Gilles, des hommes simples et structurés mentalement. Avec du recul, quinze ans après être arrivé ici, je suis fier de voir que la plupart a réussi professionnellement que ce soit sur ou en dehors du terrain. Dans ou hors du football, on n’a pas mal réussi » lâche sourire aux lèvres, Fabrice Dubois. Une réussite qui se prolonge durablement : l’année dernière, 95% des jeunes du pôle ont signé dans un centre de formation. La Berri Touch.
Par Maxime Brigand