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On était au retour du Red Star à Bauer

Par Eric Carpentier, avec Nicolas Kssis-Martov
7 minutes
On était au retour du Red Star à Bauer

Deux ans que les supporters audoniens attendaient ça : le retour du Red Star dans son stade historique de la rue du Dr Bauer. Alors, National ou pas, ils étaient nombreux à fêter l'événement, vendredi. Nombreux, et heureux.

« Hier, aujourd’hui, demain… seulement à Bauer » : ce vendredi 4 août 2017, à 20 heures, la tribune Rino Della Negra ne cache pas son plaisir de revenir à la vie. Drapeaux, rouleaux de PQ et fumis rouge et vert colorent la joie des supporters. Cette fois, on y est. Après deux ans loin de son enceinte fétiche, après deux ans de purgatoire entre Beauvais et Jean-Bouin, et même Charléty, antre du Paris FC, pour le dernier match de la saison dernière, celui de la descente, le Red Star retrouve Saint-Ouen et son stade Bauer. Un jour de fête malgré le retour en National. Avec, pour tous, une seule idée en tête : plus jamais ça.

Le paradoxe Bauer

Une heure plus tôt, comptoir de l’Olympic. En claquant son gobelet de 50 cl, vide, sur le zinc de l’institution de la rue du Dr Bauer, Maxime lâche un cri du cœur : « Ça fait du bien d’être là ! » Pourtant, le retour du Red Star à Bauer est aussi synonyme d’échec sportif, puisqu’il n’a été rendu possible que par la relégation en National. Mais Maxime, une seule saison de Bauer dans les pattes et maillot du Bétis Séville sur le dos, a choisi son camp : « Franchement, j’étais content de la relégation. Parce qu’elle était synonyme de retour à Bauer. » Un sentiment partagé par Akli, le patron de l’Olympic, mais aussi par Nico, des Red Star Fans, ou Aurélie, sa Red Star Grrrl, et même par Patrice Haddad, le président. Alors, quand ce dernier évoque « une déception liée à la descente compensée par le retour à Bauer » , la formule illustre un cas de figure assez unique dans le football, dans lequel un club arrive à vendre un échec sportif patent en une victoire symbolique, voire historique. La comm’ du club, notamment sur les réseaux sociaux, a d’ailleurs insisté sur ce « véritable transfert » – suivez le regard – du mercato, comme pour reprendre le manche face au grand rival parisien en survolant la carte de l’authenticité. Parce que « le Red Star, c’est uniquement à Bauer » .

Et si Bauer est le gardien de l’histoire du Red Star, s’il est gravé dans le cœur de ses supporters, c’est parce que l’identité du club de Saint-Ouen est profondément liée à sa géographie. Nadir, qui se présente comme un « père de famille de Bondy, pur produit du 93, qui a fait des études, qui est fonctionnaire et qui est politisé » , propose un portrait de cette identité : « Le Red Star et Bauer, c’est une culture ouvrière, c’est un lieu où tu peux te faire des amis, payer un verre, passer une bonne soirée sans te ruiner. Ce n’est pas le Parc ! Ici, même s’il ne se passe rien, il se passe toujours quelque chose. » Il est interrompu par un daron qui roule par là, au volant de son vieux Merco : « Qu’est-ce qu’il se passe, là ? » « On est descendus en National, on revient à Bauer ! » « Ah ouais, c’est bien. Salam ! » Retour du paradoxe Red Star : pour certains supporters, le Red Star est d’abord son stade Bauer, avant son équipe ou son centre de formation. Ce qui aide à remplir les tribunes un 4 août, pour la réception de Pau, en National.

Esprit Red Star et jetons de casino

Nico, chemise à carreaux et rouflaquettes finement taillées, en convient aisément : « Il y a cinq ans de ça, pour un match comme ça, en août, on aurait été cinquante. » Mais il faut croire que l’exil a eu du bon, malgré tout. « Le groupe en a profité pour se structurer, pour se solidifier » avance celui qui anime, avec Darch et d’autres, les Red Star Fans. « Cette saison, on a des projets d’actions sociales, on prévoit pas mal de trucs pour faire vivre l’esprit du Red Star au-delà des tribunes » . Et s’il envisage en rigolant de s’installer en barbier dans l’enceinte du stade, le travailleur social tient aussi à nuancer les clichés : oui, la fréquentation en hausse vient en partie d’une certaine hype entourant Bauer. Mais non, les tribunes n’ont pas perdu leur identité, loin de là : « Se structurer, ça veut aussi dire être en capacité d’intégrer les nouvelles têtes, un nouveau public. Mais en vrai, parmi ceux-là, il y en a peu qui reviennent régulièrement. »

De fait, si Bauer apparaît parfois comme une étape touristique incontournable pour tout amateur de foot populaire, et si le club a largement capitalisé dessus avant la rencontre, le constat est sans appel : entre jeunes supporters militants et historiques du quartier, les touristes sont loin d’avoir envahis les travées. Darch, par ailleurs président du Collectif Red Star Bauer, embraye : « Notre bloc de réguliers oscille entre 200 et 400. Là, pour ce match, on devait être dans les mille dans la tribune. Mais ce qui m’a marqué, en rentrant assez tôt pour préparer le match, c’est de voir le nombre de gens avec une vraie banane. Il y avait une espèce de délivrance, une dynamique. On a retrouvé notre Bauer comme on l’avait laissé. » Et si la disparition des jetons de casino à la buvette rend certains déjà nostalgiques, l’ambiance, à base d’odeurs mêlées de graillons, de bière et de weed, ne s’est elle pas diluée dans deux années d’abstinence.

« Le Red Star sans Bauer, c’est comme un baiser sans moustache »

La buvette, Aurélie et Delphine y vont, justement. Pendant que le Red Star vient d’égaliser par Sekou Keita et que quelques gamins jouent au foot dans l’allée derrière les tribunes, les Red Star Grrrls ( « en référence au Riot Grrrls, un mouvement musical alternatif et féministe du début des années 90 » ) versent dans la punchline : « On vient à Bauer comme on irait à la fête de l’Huma » pose l’une ; « le Red Star sans Bauer, c’est comme un baiser sans moustache » enchaîne l’autre. Avec toute la tribune, elles ont passé les 15 premières minutes du match à enchaîner les chants à la gloire de Bauer. Parce qu’ici, « c’est le seul stade pas sexiste, pas homophobe, où on fait attention aux slogans. Le seul problème, c’est qu’on a pas le droit à l’alcool en tribunes ! » Et d’évoquer ce souvenir ému d’un Ivry – Red Star, où ce problème ne se posait pas. Ivry pour lequel leurs cœurs penchent aussi, « comme tous les clubs de la banlieue rouge » .

Retour à l’Olympic. Max, 19 ans, n’a pas à choisir entre alcool et tribune : il est interdit de stade depuis mai dernier. Max illustre la plus jeune génération de supporters, ouvertement antifa. Depuis deux-trois ans, il suit un club « clean politiquement » . Et s’anime quand des chants hostiles à la maréchaussée s’élèvent du stade. Mais s’il balance en rigolant que « le terrain, on s’en fout » , Max corrige immédiatement : « C’est pas vrai. Honnêtement, ça fait chier de ne pas voir le match ! » Si tout va bien, en septembre, il retrouvera la tribune Rino Della Negra.

Passé, présent, futur

21h45. La pluie s’est mise à tomber, l’arbitre siffle les trois coups de sifflet finaux. Mais pas question pour le kop de se ruer au bar, de l’autre côté de la rue. D’abord applaudir les joueurs qui viennent au bas de la tribune saluer leurs supporters, ensuite continuer à chanter de longues minutes. À quelques mètres de là, dans les salons, le président Haddad va dans le sens du Collectif Red Star Bauer et d’une immense majorité des quelques 2072 personnes présentes ce soir : « On fera tout pour continuer à Bauer, le Red Star, c’est Bauer, il faut les structures ici. » Mais le président aux lunettes fumées en est conscient : « On n’est pas les seuls décideurs. » Le Red Star, club politique. Jusqu’à un certain point.

Car à l’heure de débriefer le match, Jean-Luc, supporter historique du club de Saint-Ouen, tient à préciser sa pensée : « Moi, quand on parle politique, je prends mon verre ! » Un verre servi par Akli qui accorde plus d’importance au retour d’une animation à Saint-Ouen, surtout que la piscine est fermée, qu’aux aspects politiques de l’événement. Un dernière point de vue qui vient mettre une touche finale au tableau hétéroclite que représente Bauer et ses supporters. Avec, en ligne de force, cette idée maîtresse : entre « les pom-pom girls » de Beauvais, « la coquille vide » de Jean-Bouin et « l’aéroport » de Charléty, le football au Red Star, ce n’était définitivement pas mieux avant.

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