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On était au match hommage à Adama Traoré
Le dimanche 9 octobre, au Parc des sports de Bobigny, le club autogéré Ménilmontant FC 1871 affrontait le Stade parisien. Un match à la mémoire d’Adama Traoré, décédé en juillet dernier dans le Val-d’Oise à la suite d’un contrôle de police. L’occasion pour les supporters locaux de siffler bières et merguez, en attendant la « vérité ».
« Hé les fras, quelqu’un a pensé à donner à boire à la maman d’Adama ? » Debout sur le grillage, l’un des capos délaisse l’espace d’une minute le match qui se déroule sous ses yeux. Bob vissé sur la tête, lunettes noires et longue barbe, Saïd* se soucie de l’accueil réservé aux convives du jour. « Adama » , c’est Adama Traoré, décédé le 19 juillet dernier à la suite d’un contrôle de police à Beaumont-sur-Oise. Asphyxié lors de son interpellation. Sur ce terrain cabossé du Parc des sports de Bobigny, se dispute un match amical en sa mémoire, organisé par le premier club populaire autogéré de région parisienne, le Ménilmontant Football Club. À l’origine, une bande de camarades de lutte réunis autour d’une passion commune : le foot. En 2014, ils et elles donnent naissance au MFC 1871, 100% antifasciste. 1871, en référence à la Commune de Paris, période d’insurrection, d’autogestion et d’émancipation des femmes.
« On a tout de suite voulu donner au club une dimension officielle, disputer un vrai championnat, rembobine Julie, l’une des cadres de l’association. Résultat, le MFC intègre le district du 93, pour une première saison galère, avant d’arracher en juin une montée en 13e division. Mais le championnat n’a toujours pas débuté, à cause d’une grève du district. Alors on se prépare avec des amicaux, et on en profite pour diffuser notre message. »
Ce dimanche, difficile de passer à côté. Les joueurs du MFC arborent un T-shirt noir sur lequel on peut lire « Justice pour Adama » . Leurs adversaires du jour acceptent volontiers d’enfiler les leurs, en blanc. Ensemble, les deux équipes déploient une banderole. Dessus, inscrit en bambara, le message « On ne t’oublie pas » . Les premiers fumigènes sont craqués, l’ambiance monte. « Mettez une orgie tout le match, faut qu’ça claque ! » , prévient Saïd. Debout sur la rambarde, Aziz* donne de la voix, repris par une trentaine de gaillards : « La police assassine, la justice acquitte ! » Coup d’œil vers les collègues. « Toi, enlève les mains de tes poches ! Allez, plus fort que ça, vous êtes malades ou quoi ? » L’hommage se fait dans le vacarme le plus total, au son des chants et des tambours, façon ultra. La famille Traoré, portable à la main, immortalise la scène. « C’est une super initiative, sourit Assa, la sœur d’Adama. Ils ont fait des dessins, des banderoles. Se retrouver autour du foot, c’est quelque chose de fort. C’était la passion de mon frère. »
« On pourrait aussi bien s’appeler le FC Bobigny »
Le début de match est en faveur du Stade parisien, qui se procure deux belles occasions, grâce à ses attaquants bien lancés dans la profondeur. Les contrôles sont hasardeux, le jeu au sol quasi impossible sur une pelouse défoncée. Peu à peu, « Ménil’ » refait surface, domine, mais ne marque pas. Le gardien, plutôt tranquille en cette fin de première période, en profite pour sauter sur place, et taper dans ses gants, au rythme des chants du kop.
Pendant qu’on allume le barbecue, c’est Skalpel, tatouage « Mort aux vaches » sur la main droite, qui distille les bières fraîches. Rappeur « antifa » originaire d’Aulnay-sous-Bois, il assure la bande originale du club depuis sa création, et s’occupe de la buvette, avec les autres membres de la « Section darons » . « On s’appelle le « Ménilmontant FC », parce que c’est un quartier symbolique dans l’histoire des luttes. Mais en vérité, on est presque tous banlieusards. La plupart des joueurs viennent de la banlieue nord, pose-t-il, en décapsulant une Heineken. On pourrait tout aussi bien s’appeler le « FC Bobigny ». » Pour faire vivre l’association, chaque membre paie une cotisation de 10 euros par mois, sauf cas de force majeure. « Nous avons des joueurs et des supporters au RSA, voire même sans revenu, explique Pauline. Certains n’ont pu donner que 60 euros dans l’année, mais ce n’est pas bien grave. » Dans le ciel, un nuage aux couleurs du Mali se mêle peu à peu à la fumée des merguez grillées. Skalpel : « Attendez, il faut que j’aille aussi craquer mon fumi ! »
De l’autre côté du terrain, c’est son DJ qui prend la parole. Depuis quelques semaines, Akye occupe le poste d’entraîneur. « Pour remettre un peu d’ordre à l’entraînement et parce qu’il faut bien faire des choix, précise Sami, le capitaine. Jusqu’ici, on votait pour composer l’équipe. Aujourd’hui, Akye a proposé son onze de départ, et on a donné notre accord. » « C’est les limites de l’autogestion, de l’horizontalité, ajoute Lucas, milieu gauche. Mais ici, le coach ne dit pas« fermez vos gueules ». » Premier diagnostic de l’intéressé, clope au bec : « C’est dur de se faire des passes. Essayez d’enchaîner plus vite au milieu, d’être plus fort dans l’impact. » « Il faut laisser le moins possible de rebonds » , complète un joueur. Un autre, taquin : « La vérité, moi, je me régale. » Rire général. Au moment d’annoncer les changements, quelques petits désaccords viennent ébranler l’idéal démocratique : « Pourquoi tu me sors ? À chaque fois c’est la même chose, je joue qu’une seule mi-temps ! » – « Tu reviens de blessure, Chafik, en plus t’étais pas à l’entraînement, une mi-temps, c’est déjà bien, non ?! »
« Téma, ils s’en battent les couilles, ils sont déjà tous au barbec’ »
À l’heure d’entamer la deuxième mi-temps, l’inquiétude pointe dans les rangs des organisateurs. Le pain n’est toujours pas arrivé, alors que quelques merguez sont déjà sur le gril. Dans le public, certains sont venus en famille. « Papa, en deuxième mi-temps, ils vont faire un pétard ? » Réponse du paternel : « Demande à tonton ! » Sur le terrain, le jeu se fait plus fluide pour Ménil’. Les passes s’enchaînent, les frappes aussi. Logiquement, le MFC ouvre le score, mais impossible d’y voir clair au milieu des fumis. Un type part en courant. Il s’est brûlé la main. « Et tous les flics, et tous les flics, et tous les flics, c’est des bâtards ! » , scandent les supporters, avant d’entonner une ode à leur équipe, sur l’air de Big Big World.
Au coup de sifflet final, les joueurs du MFC 1871 viennent saluer la poignée de supporters qui s’intéresse encore au match. « Téma, ils s’en battent les couilles, ils sont déjà tous au barbec’ » , peste un défenseur. Un à un, les vainqueurs passent sous la main courante, en évitant le grillage. Les voici, encore suants, devant la famille Traoré. Sourires timides, poignées de mains. On échange les numéros, on pose tous ensemble pour quelques photos. Le score final, 2-0, est anecdotique. D’ailleurs, personne n’a vu le deuxième but. À quelques mètres de là, des supporters rêvent à haute voix d’un stade avec tribunes. « Non, le Stade de France ! » , coupe l’un d’eux. « Nous allons essayer d’organiser bientôt un amical à Beaumont » , promet Sami, au milieu de ses coéquipiers. Le championnat, qui doit débuter dans une semaine, n’est pas vraiment la préoccupation première. En finissant leur bière, certains rêvent de voir « Ménil’ en Ligue des champions » . Mais cette saison, le MFC, pro-palestinien et contre les discriminations, jouera pour Adama, pour Zyed et Bouna, pour Clément Méric ou encore Rémi Fraisse. « Ni oubli ni pardon. »
Le teaser du club dont la bande son est rappée par Skalpel :
Par Gaspard Augendre et Grégoire Belhoste / Photographies : Léo KS
*à la demande des intéressés, certains prénoms ont été modifiés.