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On était au match de l’université d’été du MEDEF
C'est la rentrée pour le MEDEF, le puissant syndicat des patrons qui tient mardi et mercredi son université d'été. Loi travail, mouvements sociaux, négociations avec les syndicats des travailleurs... Le programme est chargé, mais avant de causer de la rentrée sociale, les entrepreneurs se sont offert un match contre le Variétés Club de France. Voyage sur le terrain avec les amis de Pierre Gattaz, garanti sans cravate.
Short bleu Uhlsport au-dessus des mollets, chemisette à carreaux sur les épaules, casquette orange vissée sur le crâne, Guy Roux vient s’asseoir sur son banc de touche pour s’asperger d’eau et lâcher une terrible prophétie : « On va prendre une volée. » L’ancien coach de l’AJA a raison de s’hydrater. Le soleil est haut, aucun nuage ne semble décidé à le couvrir, et les trente-cinq degrés ambiants assomment tout le monde. Mais, malheureusement pour lui, Guy Roux a également raison de prédire le pire à son équipe. La demi-heure de jeu toque à la porte, et les siens mangent déjà un 4-0. À sa décharge, les dés étaient pipés dès le départ. Ce mardi 29 août, sur le terrain du campus de HEC, à Jouy-en-Josas, le sorcier bourguignon est au volant de l’équipe du MEDEF, et les patrons qu’il dirige sont loin d’être un terreau favorable au beau football. Après tout, personne n’a demandé à Michel-Ange de peindre le plafond de la chapelle Sixtine avec des feutres. Surtout quand, face à eux, débarque le Variétés Club de France, l’équipe composée d’anciennes gloires du ballon rond et de vedettes du moment coachée par Jacques Vendroux et qui écume les matchs caritatifs depuis quarante-huit ans. Assis comme un pacha sur son banc, à une trentaine de mètres de celui de l’équipe qu’il est en train de martyriser, Vendroux observe le spectacle d’un œil confiant et livre ses analyses : « C’est notre premier match de la saison, c’est bien pour nous lancer. Dans trois semaines, on joue contre l’équipe des armées françaises, ils sont forts physiquement, mais techniquement ils ne sont pas bons. » La mi-temps arrive, et le score est monté à 6-0 pour le VCF.
Pas de terrain couvert
Si autant de chefs d’entreprises sont venus suer sur la pelouse d’HEC, c’est parce que le MEDEF y tient comme chaque année son université d’été et organise un match de football pour lancer les festivités. Pierre Gattaz n’est pas sur le terrain, mais les vice-présidents ont chaussé les crampons, à l’image de Thibault Lanxade qui cavale en défense. Un MEDEF boy en interpelle un autre : « T’es venu comment ? » Réponse : « On est à la Défense, ça va vite. » Forcément. Avant le match, planqué derrière des lunettes de soleil de moniteur de ski, Romuald le gardien de but du MEDEF appréhendait les assauts de l’escouade de Jacques Vendroux : « L’année dernière, on a pris 13-0. J’ai des souvenirs d’attaquants qui arrivent face à moi avec quatre défenseurs en train de courir derrière… Donc cette année, on va tenter de faire mieux. » Compliqué quand il y a des gars comme Robert Malm, Pierre-Yves André, Romarin Billong ou Jean-Michel Lesage dans le camp d’en face. Guy Roux, lui, profitait des dernière minutes avant le coup d’envoi et de l’ombre de l’un des préfabriqués qui cernent le terrain et dans lesquels sont logés les étudiants pour lâcher quelques conseils. Une plaidoirie faite de distances à respecter entre les lignes, de boulot défensif à assurer, de ballon à faire circuler. Bref, autant de consignes qui ne seront pas respectées par ses joueurs. Le match n’a pas encore commencé, mais les fronts ruissellent déjà de sueur, et un joueur du MEDEF demande déjà « un terrain couvert » . Alexandre Ruiz, le DJ de beIN Sports, est un peu plus loin et assurera les commentaires, micro en main, comme aux plus belles heures de la Ligue des champions, mais est avant tout venu en ami.
Les tablettes du MEDEF
Infraction à la concurrence
Oui, il est pote avec Jacques Vendroux. Oui, son collègue Smaïl Boubdellah porte le maillot orange du VCF. Mais Ruiz reste journaliste et garde son objectivité : « Je n’ai pas de préférence, je suis venu pour voir les copains. Et il y a aussi un but humain, puisqu’on joue pour la fondation Gustave Roussy » , une association contre le cancer qui recevra un chèque de 20 000 euros. Un rapide discours d’une cadre du MEDEF pour annoncer que ces deux jours allaient être « un grand moment de retrouvailles pour échanger et préparer l’avenir parce qu’on a totalement changé de repères » , et le ballon pouvait enfin être mis en jeu. La déconfiture du MEDEF prend forme rapidement malgré les injonctions de Guy Roux, qui n’oublie jamais de vouvoyer ses entrepreneurs de joueurs même quand il leur hurle dessus : « Jean-Pierre, montez un peu !!! » Sur le banc de touche, les commentaires partent dans tous les sens. « Lui, c’est le patron du MEDEF Montpellier » croit savoir l’un, « Il y a combien ? 3-0 ? C’est bien, c’est bien » , se réjouit un autre. Deux larrons ont déjà compris que leur équipe allait prendre le bouillon et préfèrent parler affaires : « C’est de l’infraction à la concurrence, la juge a pris le dossier. » Robert Malm enchaîne les buts, Ary Abittan touche les poteaux deux fois, mais plante son doublé en imitant – mal – la célébration de Cristiano Ronaldo, et Alexandre Ruiz commente toujours le match comme un pro qu’il est en multipliant les interviews sur le bord du terrain.
Les compères du VCF
Objectif atteint
Après le 6-0 encaissé en première mi-temps, le deuxième acte démarre sur les mêmes bases et le match perd le peu d’intérêt qu’il lui restait. Pire, les premiers blessés quittent le champ de bataille. « Je n’avais pas fait de sport depuis cinq ans, je viens de me faire une élongation en tentant de rattraper Robert Malm. J’aurais pas dû » , précise Sébastien, un ancien de l’ESSEC qui se rappelle l’époque où il jouait sur ce terrain « lors des derbys contre HEC » , et qui parle avec un sourire entendu des « souvenirs confus » qu’il a de soirées sur le campus. Et alors qu’il reste au moins vingt minutes à jouer et que plus personne ne compte les buts, l’alerte générale est sonnée : le match doit s’arrêter, car le MEDEF a une assemblée plénière dans quelques minutes. Monsieur l’arbitre envoie les trois coups de sifflet, et les joueurs se pressent vers les chambres d’étudiants pas encore rentrés où une bonne douche les attend. Sérieux comme un pape, Jacques Vendroux se penche sur la feuille de match pour compter les pions et annoncer le score final : 11-0. Romuald, le goal qui vient de passer un moment compliqué, a gardé ses lunettes de soleil et son sourire : « Objectif atteint ! L’année prochaine, on passe sous les 10 » , en oubliant de dire que l’addition aurait été beaucoup plus salée si on avait été au bout des 90 minutes. Pour les entraîneurs, place au rendez-vous à la buvette, et Vendroux questionne Guy Roux sur la situation compliquée de l’AJA entre deux bouchées de sandwich. Dans un coin, des membres du MEDEF ont déjà embrayé avec une discussion sur la loi travail. Il faut plus qu’un 11-0 pour déstabiliser ces gens-là.
Sur cette photo : Le stade, les vestiaires et la buvette
Par Alexandre Doskov, à Jouy-en-Josas