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On était au Grand Prix de France de Subbuteo

Par Julien Duez, à Issy-les-Moulineaux
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On était au Grand Prix de France de Subbuteo

Peut-être ne le savez-vous pas, mais dans le microcosme du football de table hexagonal, Issy-les-Moulineaux fait figure de capitale nationale du Subbuteo. Début février, la commune altoséquanaise hébergeait le Grand Prix de France de la discipline. Parmi les inscrits, deux concurrents faisaient leur baptême du feu : Adoma et Amin, des réfugiés soudanais ayant fui la guerre au Darfour en 2015. Alors que le « Subb' » voit sa popularité décroître au fil des ans, eux y ont trouvé une échappatoire à la routine mortelle qui caractérise leur quotidien.

Les rues avoisinantes sont désertes et les seuls qui ont osé braver la pluie en ce samedi matin sont des parents qui accompagnent leur progéniture à leur cours de gym. En arrivant devant le complexe sportif de la Source, difficile d’imaginer que derrière les murs se joue l’un des plus importants tournois de football de table de l’année. Pour sa huitième édition, pas moins de cent dix-sept participants ont fait le déplacement jusque dans les Hauts-de-Seine. Ils viennent des quatre coins de l’Hexagone, mais aussi de Belgique, d’Italie, d’Espagne, d’Autriche, de Gibraltar, de Malte et même de Tunisie, une première. Une véritable tour de Babel dans les oreilles du visiteur. À Issy, en dehors du prologue du Paris-Nice, rares sont les événements qui peuvent se targuer de rassembler autant de nationalités.

Sport ou loisir, il faut choisir

Aujourd’hui a lieu le tournoi individuel. Les participants sont répartis en poules de quatre, selon les catégories d’âge. « On a dû faire face à pas mal de désistements, déplore Thomas, l’un des organisateurs. Mais malgré tout, l’ambiance est bonne. » Selon les critères de la Fédération internationale de football de table (FISTF), les Grand Prix se situent au deuxième échelon de la hiérarchie des compétitions annuelles, juste en dessous des Majors, que l’on peut assimiler aux tournois du Grand Chelem en tennis, les Grand Prix faisant office de Masters 1000. Dans le gymnase, l’ambiance est bon enfant. Les participants alternent les parties comme compétiteur et comme arbitre. Certains donnent en plus un coup de main à la buvette où l’on se restaure à coups de jus de fruits et de croque-monsieur. Ici, les maillots floqués Messi et Di María font exception. L’écrasante majorité des joueurs arbore la tunique du club, bardée de généreux sponsors, tantôt le café du coin, tantôt une entreprise de BTP. Il flotte comme un parfum de sublimation du sport amateur. Du sport ? « La dénomination en soi fait débat, poursuit Thomas. Certains participants vont appeler ça un sport quand les personnes extérieures parleront plutôt d’un loisir. Moi, je botte en touche, je préfère le terme de discipline. »

En tout cas, la tension présente n’a rien à envier aux compétitions du vrai football, mis à part le fait que les matchs se jouent dans un silence assourdissant, parfois entrecoupé de hurlements de joie ou de rage. « Le Subbuteo, c’est probablement la discipline qui se rapproche le plus du vrai football, affirme Emmanuel, un autre organisateur. À quelques subtilités près, les règles sont les mêmes et le principe est très simple : marquer des buts avec des petites figurines en plastique montées sur socle, sauf qu’on utilise l’index et pas ses pieds. » Alors qu’est-ce qui fait un bon joueur de football de table ? « De la patience et de la stratégie. On ne dirait pas comme ça, mais il y a plusieurs styles de jeux : moi, je joue rapidement vers l’avant, d’autres préfèrent utiliser les ailes et avancer plus en douceur. C’est un peu comme aux échecs : il faut savoir anticiper les coups de l’adversaire » , poursuit le jeune quadra, ancien abonné au Parc des Princes. « On ne dirait pas, mais un tournoi pareil c’est crevant !, lâche un participant belge venu de Rochefort. Tu joues des matchs d’une demi-heure. Entre les poules et les éliminations directes, tu finis la journée complètement vanné. La victoire, tu dois vraiment la vouloir » , poursuit-il entre deux bouffées de cigarette.

Du Soudan au Subbuteo

Eux ne sont pas là pour gagner. Tombés dans la discipline il y a à peine deux mois, ils savent que leur niveau est bien en deçà de leurs concurrents qui pratiquent depuis parfois vingt-cinq ans. Alors ils apprennent en s’amusant, pour essayer quelque chose de nouveau, quelque chose qui rompe avec la monotonie du quotidien. Eux, ce sont Adoma et Amin. Tout juste vingt-six ans, ces deux Soudanais sont les OVNI de ce Grand Prix. Originaires du Darfour, une région de l’Ouest du pays déchirée par la guerre civile depuis plus de treize ans, ils sont arrivés en France en 2015, « par la Libye, puis après, le bateau jusqu’en Italie et après la France » , explique Adoma, dans un français hésitant et sans s’attarder sur les détails. En France, les Soudanais sont considérés comme des réfugiés politiques. Mais pour obtenir ce statut, il faut déposer une demande auprès de l’Office français des réfugiés et apatrides (OFPRA). Un parcours du combattant qui a duré un an. Un an pendant lequel ils attendaient patiemment, Amin à Paris, Porte de la Chapelle, et Adoma dans la jungle de Calais. Et puis la carte de séjour est arrivée. Avec elle, l’obligation d’apprendre le français. L’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) les convie à une formation de 250 heures à Amiens. Et c’est là qu’intervient Thomas, le co-organisateur du tournoi. Cet ancien étudiant en langues de la Sorbonne de trente-deux berges officie en tant que professeur de français langue étrangère (FLE) dans la cité picarde.

Adoma et Amin ont trouvé sans trop de difficulté une place dans un foyer amiénois, après avoir habité un temps à Liancourt (Oise) pour l’un, à Doullens (Somme) pour l’autre. Une passerelle censée faciliter leur intégration, sauf que dans les faits, les deux sont toujours au chômage. « Moi au Soudan, j’étais menuisier » , explique Adoma. « Moi, j’étais soudeur, poursuit Amin. Mais ici on n’arrive pas à trouver de travail, c’est difficile. Alors on reste au foyer. Parfois on joue au foot ou on regarde des matchs à la télé » , confient ces deux fans de Manchester United et du Paris Saint-Germain, « le meilleur club de France ! » , glissent-ils avec un sourire complice. « Le problème, c’est que la formation qu’ils ont reçue au Soudan n’est pas reconnue en France. Et pour l’acquérir ici, ils ont besoin d’un niveau de français supérieur à celui qu’ils ont actuellement. On est dans une impasse, déplore Thomas, qui ne pourra pas continuer à assurer leur apprentissage. Mon centre de formation a perdu le dernier appel d’offre de l’OFII. Du coup, je vis peut-être mes derniers moments à Amiens » , explique cet Isséen de naissance.

Une intégration comme une autre

Avec le RSA et des APL, la vie n’est pas toujours simple et les loisirs peu nombreux. Surtout quand on maîtrise mal la langue locale. Adoma et Amin ne sont pas issus de la même ethnie et utilisent l’arabe comme lingua franca. Leur caractère timide et réservé ne les aide pas non plus à tisser des liens avec l’extérieur. Lors du tournoi, ils restent la majorité du temps à deux, ne communiquant avec les autres que lors des matchs, pour dicter une règle ou recevoir un conseil sur leur manière de jouer, mais toujours avec le sourire. Mais comment ces deux-là ont-ils fait pour tomber dans le football de table, une discipline quasi inexistante en Afrique ? Leurs premiers pas ont eu lieu à l’initiative de leur professeur, qui souhaitait les aider à sortir des murs de leur foyer, une fois leur formation terminée. « Je ne voulais pas mélanger nos rapports privés et professionnels, se justifie-t-il. C’est aussi pour ça que je me suis limité au fait de partager ma passion avec eux. Je ne voulais pas commencer à les assister dans toutes leurs démarches administratives. Il y a des professionnels qualifiés pour ça. »

C’est ainsi qu’un soir par semaine, les deux réfugiés retrouvent leur ancien professeur à l’étage d’un café amiénois pour apprendre les rudiments du Subbuteo. « Au début nous étions cinq, se souvient Adoma. Mais il n’y a que nous qui avons accroché. » « Si je veux continuer après le Grand Prix ? Oui, j’ai encore beaucoup de progrès à faire ! » , reconnaît Amin. Deux mois plus tard, les deux sont directement jetés dans le grand bain en participant à un tournoi majeur. Thomas, bon prince jusqu’au bout, leur a offert un kit de départ à chacun, ainsi qu’une licence dans le club qu’il a fondé en Picardie. « Avant que je m’en aille, je voudrais vraiment les intégrer au club. Donner l’impulsion, pour qu’ils partagent leur intérêt avec d’autres et qu’ils se mélangent au sein de la communauté. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est ma manière à moi de faciliter leur intégration dans la société. » Comme dirait l’autre, il n’y a pas de petits gestes quand on est soixante-six millions à les faire.

À la croisée des chemins

Retour au Grand Prix. Avec une moyenne d’âge qui oscille autour des quarante-cinq ans, le football de table est plus vieillissant que jamais. « Je le vois bien avec les années, organiser le tournoi est de plus en plus compliqué, tant au niveau des inscriptions que de la logistique, explique Thomas. L’intérêt baisse avec le temps, les licenciés sont de moins en moins nombreux et je ne donne pas cher de notre avenir. D’ici dix-quinze ans, on aura disparu. » Pessimiste ou réaliste, le discours tranche en tout cas avec la vision qu’en ont Adoma et Amin. Pour eux, l’aventure ne fait que commencer. Le miracle, lui, n’aura pas lieu. En individuel comme en équipe, Adora et Amin ont terminé à la dernière place de leur poule. Mais qu’importe, l’essentiel était ailleurs. Le temps d’un week-end, les deux protégés de Thomas sont sortis de la routine en effectuant leurs premiers pas comme joueurs et arbitres de compétition, en se confrontant au regard bienveillant des autres participants.

Au mois de septembre, la France accueillera de nouveau une épreuve majeure : la Coupe du monde, qui se tiendra à Élancourt. Peu de chances qu’Adoma et Amin concourent sous les couleurs soudanaises. Ne peuvent en effet participer que les pays qui disposent d’une Fédération nationale. En revanche, à l’image du rugby et de la souplesse de ses règles en la matière, ils pourraient peut-être tenter leur chance avec les Bleus. L’étincelle allumée par Thomas ne finira peut-être pas en feu de paille.

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