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  • Lyon/Saint-Étienne (3-0)

On était au dernier derby à Gerland

Par Maxime Feuillet
9 minutes
On était au dernier derby à Gerland

Gerland accueillait dimanche soir son 55e et dernier Lyon/Saint-Étienne. Une date cochée par tous les supporters en début de saison. Les Lyonnais ont répondu présents (3-0), alors que les Verts ont repris l'A47 le teint bien pâle.

Lyon, métro B, station Saxe-Gambetta. Il est 19h20 lorsqu’un jeune trentenaire pénètre dans la rame, direction Stade de Gerland, vêtu d’une veste… verte. Erreur fatale dans la capitale des Gaules un soir de derby. Le jeune homme, qui ne se rend pas au match, se fait gentiment chahuter et siffler par quelques supporters lyonnais déjà chauds bouillants. Dans le même wagon, à côté, Thierry et son fils Mathias, 12 ans, assistent amusés à la scène, mais préfèrent s’interroger sur la composition mise en place par Hubert Fournier. Et visiblement, c’est la défense qui pose problème. « Tu vois qui, toi ? Je dirais Mapou avec Jallet et Bedimo sur les côtés » , lance le papa. Quatre stations plus tard, le métro dépose la quasi-totalité de ses voyageurs à l’arrêt Stade de Gerland. Et les si célèbres bouchons lyonnais (non, pas ceux du tunnel sous Fourvière) trouvent cette fois-ci écho dans les escaliers de la bouche de métro, sous le regard bienveillant des forces de police. Une fois à la surface, après avoir esquivé la poignée de revendeurs au marché noir et leur célèbre refrain « Qui cherche des places ? Qui vend des places » ou la variante « Qui a des places en trop ? » , on retrouve ces effectifs policiers et cars de CRS légèrement plus dépassés. Et pour cause, à moins de 300 mètres du stade, dans la rue Marcel Mérieux, des flammes crépitent au milieu de la chaussée, bloquant le passage et la circulation. Un acte perpétré par des supporters se rendant au stade, selon les membres de la sécurité présents sur les lieux. Les pompiers tentent de se frayer un chemin dans un concert de klaxons, pétards et sirènes, pendant qu’une brigade policière est prise à partie et insultée par une dizaine d’individus bien excités. Et l’ambiance s’électrise davantage quelques minutes plus tard lorsque les Bad Gones, guidés par leur capo Marc-Antoine aka La Couenne, avancent vers l’entrée du Virage Nord de Gerland dans un nuage rouge de fumigènes.

Madame Ruffier, Aston Villa et les textos de François Clerc

À l’intérieur du stade, malgré quelques traditionnels chants anti-stéphanois bien repris par le Virage Nord, l’atmosphère est plus apaisée. Des jeunes U9 de différents clubs de la région (FC Lyon, OL, Craponne, Chambéry, Chaponost, Bourgoin-Jallieu…) s’affrontent sur la pelouse pendant que Dominique Grégoire, le speaker de Gerland, teste son anglais sur I Gotta Feeling des Black Eyed Peas en espérant passer une « good night » . Gerland se remplit vite, et le parcage réservé aux Bad Gones affiche complet lorsque Stéphane Ruffier et Jessy Moulin font leur entrée sur le terrain à 50 minutes du coup d’envoi. Les deux gardiens ligériens sont conspués par les quatre tribunes, mais préfèrent sourire de la situation. Des rictus qui ne plaisent pas du tout au Virage Nord, qui lance en retour un chant à la gloire de Mme Ruffier. Trêve d’amabilités deux minutes plus tard. Les portiers stéphanois voient alors débarquer sur la pelouse leurs homologues Anthony Lopes, gants aux couleurs des Bad Gones aux mains, et Mathieu Gorgelin accompagnés de Joël Bats sans écharpe. Gerland rugit déjà. Les gardiens sont rejoints par le reste des effectifs dix minutes plus tard. Au micro, l’autre capo des Bad Gones motive les joueurs et ses troupes. « C’est le dernier derby à Gerland, les gars ! Il faut leur marcher dessus ! » hurle-t-il avant de féliciter l’ensemble des membres de l’association pour leur travail au sujet des tifos. Les Bad Gones suivent, en effet depuis le début de la saison, le rythme d’un tifo pour chaque match afin de quitter Gerland de la plus belle des manières en retraçant l’histoire de ce stade.

Après cet interlude artistique, les supporters lyonnais souhaitent chaleureusement la bienvenue à leurs voisins régionaux en déployant leurs écharpes « anti-stéphanois » . Un homme est particulièrement dans le viseur du Kop Virage Nord : François Clerc. La petite histoire est bien connue du public rhodanien et a été énoncée dans les tribunes pour la dernière fois mercredi dernier contre le Zénith (0-2) en Ligue des champions. Le latéral droit, formé à Lyon, était resté proche des Bad Gones malgré son départ à Nice en 2010. Il envoyait même, selon la légende, des textos aux dirigeants du groupe avant les derbys, employant des termes peu élogieux au sujet de l’ASSE. Mais pendant l’été 2012, Clerc rejoint le Forez et s’engage avec l’ennemi. L’affront est encore poussé plus loin lorsque le défenseur international (13 sélections) affirme lorsqu’il remporte la Coupe de la Ligue avec Sainté en 2013, que ce sacre a plus de piment qu’un titre de champion avec l’OL (qu’il a remporté entre 2006 et 2008). Des déclarations qui le feront passer pour un « mange-merde » aux yeux de Louis Nicollin, président montpelliérain qui reste lyonnais de cœur. Le public de Gerland préfère, quant à lui, une autre expression sans doute encore plus insultante. Sans surprise, le natif de Bourg-en-Bresse est le Stéphanois le plus sifflé lors de l’annonce des compositions d’équipe. À 20 minutes du coup d’envoi, alors que les quatre tribunes du stade sont déjà bouillantes, on annonce chez les Bad Gones avoir reçu dans la matinée un texto expédié depuis Birmingham d’un certain Rémi Garde, nouveau manager d’Aston Villa : « Mon corps est en Angleterre, mais mon cœur est au Virage Nord. » Acclamations.

Lacazette envoûte Gerland

Pour la troisième saison consécutive, les supporters stéphanois ne sont pas du voyage. Les 600 places qui devaient leur être allouées dans le parcage visiteurs ont donc finalement été mises en vente auprès du public lyonnais pour la plus grande joie de Baptiste, 20 ans, supporter des Gones depuis la région parisienne : « Je suis lyonnais de naissance et de cœur, mais j’ai dû quitter la ville pour mes études. Ça fait plus d’un an que je ne suis pas venu à Gerland et j’avais peur ne pas avoir le temps de dire au revoir à ce stade. J’étais à Lyon ce week-end, alors quand j’ai entendu que les places visiteurs étaient remises en vente ce dimanche midi, j’ai sauté direct sur l’occasion. » Aucun fan stéphanois n’est donc à recenser dans les gradins pour le dernier derby de l’histoire à Gerland ? Le constat n’est pas si catégorique. Éric et Bernard, 53 et 47 ans, sont bien planqués en Virage Nord Supérieur, sans aucun signe apparent de proximité avec l’ASSE, mais la fibre verte est bien présente dans leur ADN : « On n’allait tout de même pas se ramener avec nos maillots en plein milieu de Gerland, mais bon, c’est le dernier derby ici, on se devait d’être là. On est là incognito, on avait déjà fait ça pour le 100e derby, ça avait plutôt bien marché, alors on le retente pour celui-ci. Le gros inconvénient, c’est que tu ne peux pas t’exprimer et célébrer comme tu le voudrais, mais bon c’est le jeu. »

Et sur le terrain comme en tribunes, le match commence tambour battant. « AHOU » dans les gradins, « aïe, ouille » sur la pelouse avec une accumulation de vilaines fautes en début de match, deux cartons jaunes en 5 minutes pour l’ASSE, avant que Lemoine et Gonalons ne sortent sur blessure à la demi-heure de jeu. Le capitaine lyonnais, remplacé par Darder, quitte la pelouse sous une standing ovation de Gerland. Dix minutes plus tard, Ferri et Valbuena pensent ouvrir la marque, mais se heurtent coup sur coup sur un impeccable Ruffier. C’est finalement Alexandre Lacazette, qui viendra tromper le gardien international d’un subtil ballon piqué, juste avant la mi-temps. Gerland explose. Le buteur maison, en manque de confiance depuis le début de saison, est ovationné par le Virage Nord et remercie les supporters avant d’aller répondre aux questions de Laurent Paganelli à la pause.

La seconde période commence plus mollement. Les Verts tentent de réagir par l’intermédiaire d’Hamouma, mais l’ailier ne concrétise pas et se fait chambrer par le kop rouge et bleu. Saint-Étienne semble avoir laissé passer sa chance. À l’heure de jeu, Rafael déboule côté droit et décoche une frappe repoussée par Ruffier dans les pieds de Lacazette, qui double la mise. Le break est fait, Gerland explose de nouveau dans une atmosphère qui sent le soufre et les fumigènes, à tel point que le capo des BG87 est obligé de calmer les membres du groupe sur l’utilisation de ces torches, pétards et lasers. Après ce deuxième but, le match monte en intensité, et les fautes se multiplient au milieu de terrain. Samuel Umtiti est évacué sur civière, après un contact avec Romain Hamouma, sous les applaudissements de Gerland. Le dernier quart d’heure de ce derby n’est qu’un festival de mauvais gestes, où se mêlent fautes et esprits qui s’échauffent. C’en est trop pour les deux amis stéphanois Éric et Bernard qui quittent Gerland à la 86e minute. Pendant ce temps-là, les tribunes lyonnaises continuent de se répondre et tentent de lancer une ola qui tarde à démarrer avant d’être finalement stoppée dans les arrêts de jeu, deux tours de stade plus tard, au moment où Alexandre Lacazette trompe Ruffier pour la troisième fois de la soirée. Lacazette, tout sourire, restera de longues minutes sur la pelouse pour effectuer un tour d’honneur avec ses coéquipiers Lopes, Valbuena, Jallet, Gonalons (boitillant) et Umtiti (en béquilles).

Le record d’affluence bientôt battu

Les joueurs d’Hubert Fournier, restés une bonne dizaine de minutes après le coup de sifflet final, regagnent enfin les vestiaires avant que le feu d’artifice d’après-match ne commence. Un clip diffusé sur les écrans géants du stade accompagne ces festivités. On y retrouve les Lyonnais qui ont marqué l’histoire du derby de Christophe Delmotte à Tiago en passant par Jimmy Briand ou Bernard Lacombe et ce slogan « Des derbys à Gerland, à jamais gravés dans nos cœurs » . Les 38 752 spectateurs applaudissent. On reste loin du record d’affluence de Gerland établi lors du derby du 9 septembre 1980 avec 48 552 spectateurs, mais le prochain Lyon – Saint-Étienne dans le Stade des Lumières promet d’exploser tous les compteurs. Qu’importe, ce dimanche soir, les Lyonnais n’ont pas encore la tête au Grand Stade. Deuxièmes de Ligue 1, ils célèbrent leur large victoire sur le rival historique aux fenêtres de leur voiture façon France 98, entonnent des chants de supporters dans la rue ou titillent ce courageux conducteur immatriculé 42 qui tente de se frayer un passage au milieu de la foule… Vestige de l’agitation d’avant-match, l’esplanade, devant la brasserie Ninkasi, sur laquelle s’étire la file d’attente du métro est pavée de bouteilles de verre écrasés, logique, dans une soirée où l’OL a écrasé les Verts.

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