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On était au derby Valenciennes-Lens
Certes, ce Valenciennes-Lens ne valait que trois points. D’accord, il n’a même pas été isolé du multiplex de Ligue 2 du vendredi. Non, ce n’est pas non plus le vrai derby du Nord. Et pourtant, vendredi soir, c’est bien au stade du Hainaut qu’il fallait être : Valenciennes y a mis fin à vingt-sept ans de disette à domicile face au voisin lensois qui, fidèle à son passé de mineur, touche le fond, mais creuse encore.
Le match ne débute que dans trois heures, mais, dans les rues de Valenciennes, le derby est déjà lancé. La voiture est à peine garée que des supporters affluent de toutes parts, Valenciennois comme Lensois. « Je suis venu voir le derby exceptionnellement, parce qu’avec le travail, je ne peux plus venir au Hainaut maintenant… Mais là, je me suis débrouillé pour venir, c’était primordial » , pose Hervé. Paisiblement, les deux camps se dirigent déjà vers l’imposant stade du Hainaut, écrin du VAFC, qui surplombe la friche du défunt stade Nungesser. Seul un bar éponyme est là pour rappeler l’ancienne enceinte : « On n’est pas à côté du stade, mais collé à l’ancien, et c’est bien mieux dit comme ça » , se vante Maxime. Pour la venue du voisin, ce dernier a d’ailleurs tout prévu : buvette extérieure, tables et frites sur tout le trottoir, son bar est prêt pour le derby, comme les estaminets d’à côté, concentrés autour du stade et tous bien nommés : Le Score, Le Pénalty ou La brasserie… du stade. Sur le trottoir d’en face, au Bar de l’Équipe, Pierre se réjouit de la venue des Artésiens : « Quand les Lensois viennent, on sait qu’on va doubler le chiffre d’affaires. On a prévu 120 litres pour ce soir, soit 500 à 600 bières. Ils ont vraiment un public extraordinaire, chapeau à eux. » De leurs côtés, les pouvoirs publics ont eux aussi préparé un bel accueil aux fans Sang & Or : un périmètre de sécurité doublé autour du stade, des forces de l’ordre dans tous les recoins, des rues fermées depuis le matin, et même la police montée. Bref, Valenciennes est presque en état de siège.
Fricadelle et rivalité nouvelle
Presque. Car des terrasses pleines à craquer autour du stade, ce sont bien des chants et des grands sourires qui s’élèvent en même temps que les odeurs de frites et fricadelle. C’est d’abord ça, le derby : la fête. Notamment pour Christophe : « Je vis à Toulouse, mais là je suis remonté uniquement pour ce match. Normalement, on va juste à Bollaert, mais là on ne pouvait pas louper ce derby. » Pourtant, non loin de là, tous ne partagent pas, ou plus, son avis. « Ici, on reçoit beaucoup d’anciens Lensois, mais pas les jeunes, ils sont plus violents. Avant, à chaque derby, les deux camps faisaient la fête ensemble, ça chantait de partout. C’est normal, c’est un match entre deux villes ouvrières opposées à Lille la bourgeoise » , explique Maxime, appuyé par son pote Bruno : « Depuis quelques années, la mentalité des supporters lensois a vraiment changé. L’an passé, à Bollaert, on s’est fait cracher dessus, caillasser. J’étais vraiment déçu. J’étais abonné à Lens pendant dix ans, mais, aujourd’hui, je ne reconnais plus une partie du public. Je suis mieux ici, à Valenciennes. » Mais cette rivalité récente n’est pas uniquement le fruit des joutes répétées en L2 selon Thomas, du groupe Excel Lens : « La rivalité est moins forte avec VA, on se chambre, mais ça reste gentil. C’est surtout l’affaire du stade non prêté qui a envenimé les choses, mais on a peut-être aussi besoin de compenser l’absence de derby contre Lille. Si on rejouait chaque saison les vrais derbys contre Lille, honnêtement, Valenciennes on s’en taperait. »
Despacito et Sexion d’Assaut
Ce contexte n’empêche pas les supporters Sang & Or de déambuler au milieu des locaux. Seuls quelques audacieux entonnent des chants anti-VA entre les terrasses, vite calmés par les nombreux CRS alignés bien parallèlement aux bars. Le temps de descendre une pinte et les supporters reprennent leur marche. En chemin, pas un regard vers la friche de Nungesser. Tous les yeux sont focalisés sur le superbe vaisseau argenté du Hainaut. Autour de l’enceinte, les dernières places au marché noir s’envolent. Les 200 agents de sécurité supplémentaires filtrent tout ce beau monde, en particulier les Lensois enfermés dans leurs parcages. « Le chauffeur avait un point de rendez-vous sur une aire d’autoroute, mais il l’a loupé, donc on a dû se débrouiller sans escorte dans les rues de Valenciennes » , se marre Thomas. Un parking vite retourné par les chants des fans du Racing, pendant que le DJ du stade lance Despacito dans l’enceinte. Un choix discutable qui, l’espace de quelques instants, fait douter sur l’envie d’entrer dans l’arène. À l’intérieur, les Friteries Sensas, reines des stades du Nord, concentrent toutes les attentions pendant que la boutique officielle attend désespérément un client : « Il n’y a même pas d’écharpe spéciale pour le match » , gueule Gérard, peut-être énervé par un nouveau choix douteux du DJ qui accueille les joueurs du VAFC sur Gasolina de Daddy Yankee (oui oui, encore lui). Très tôt, les gradins se remplissent et le parcage lensois lance l’affrontement vocal. Aussitôt, le volume de la musique augmente étrangement. Ultras valenciennois et lensois tentent bien de couvrir les morceaux de Sexion d’Assaut, mais sans succès. Que le match commence, et vite.
« Finissez-les »
Pour accueillir ses troupes, le kop valenciennois déploie alors son tifo, à peine original : « You’ll never walk alone » . Pourquoi pas. Les deux équipes entrent sur le terrain dans un Hainaut bouillant bien que pas totalement plein. Le DJ s’accorde un dernier kiffe en passant ACDC juste avant le coup d’envoi, histoire d’électriser encore plus l’ambiance. Là encore un choix douteux puisqu’il précède une minute de silence qui, elle, voit un rare moment d’unité entre les deux camps. Mais cette accalmie est vite brisée par une vague d’insultes et chants pas très Charlie : le Hainaut est dans son match. Les Tigers enflamment littéralement leur parcage à coups de fumigènes. À l’image des leurs en tribune, les joueurs d’Éric Sikora prennent vite le dessus sur la pelouse, mais restent trop brouillons. En face, les locaux sont eux aussi à l’image de leurs supporters : capables de faire trembler Lens par intermittence. Si les actions franches se font rares, les tacles et contacts appuyés animent un match ouvert et engagé. Un vrai derby quoi. Le kop valenciennois provoque alors ouvertement le parcage en tournant une première banderole en alexandrin vers lui : Arrogance : voir à supporters du RC Lens. Au retour des vestiaires, après des Corons boudés par le public du Hainaut, c’est VA qui prend la main et pousse jusqu’au but décisif de Baptiste Aloé, servi par l’ancien Lensois, Sébastien Roudet. Lens est à terre, Valenciennes au septième ciel. Outre la victoire qui lui échappait à domicile face à Lens depuis vingt-sept ans, VA réussit l’exploit de faire taire le public Sang & Or en transcendant son Hainaut. Réactifs, les ultras valenciennois déploient alors une deuxième banderole, prédestinée : « Finissez-les » . Pas besoin, le RCL est déjà K.O. Depuis son retour en L2, Lens avait pris l’habitude de venir lancer sa course à la montée au Hainaut. Cette fois, c’est peut-être bien sa lutte pour le maintien que le Racing y a entamée.
Par Adrien Hémard, à Valenciennes
Tous propos recueillis par AH.