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On était au « derby » de Wimbledon

Par Ronan Evain
11 minutes
On était au «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>derby<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>» de Wimbledon

Dimanche dernier se jouait en lointaine banlieue londonienne un deuxième tour de Cup entre deux équipes de seconde zone se partageant un passé commun : celui du Wimbledon FC (WFC). Cette première confrontation entre les Milton Keynes Dons et l'AFC Wimbledon vient surtout conclure 10 ans d'une histoire troublée et mettre en lumière deux conceptions opposées du football.

Foule des grands jours ce dimanche autour du MK Stadium de Milton Keynes, triste ville nouvelle perdue à quelque 70km au nord-ouest de Londres. Construit en 2007 entre deux tronçons d’autoroute et une immense zone commerciale, le nouvel antre des Milton Keynes (MK) Dons accueille plus de 16 000 personnes, soit le double de l’affluence habituelle. Au-delà de l’attrait traditionnel des fans britanniques pour la Cup, c’est bien la nature de l’adversaire qui mobilise aujourd’hui les supporters des deux camps. En effet, les deux clubs revendiquent l’héritage glorieux du FC Wimbledon, une Cup en 1988 et surtout un Crazy Gang ayant pas mal de jambes cassées à son actif (voir l’actuel numéro de So Foot).

Mais le FC Wimbledon, c’était aussi une gestion calamiteuse, qui a laissé le club sans stade et sans le sou au début des années 1990. À l’été 1991, il quitte le vétuste stade de Plough Lane pour partager le Selhurst Park de Crystal Palace où il joue les seconds rôles en Premier League, tout en réussissant de beaux parcours en Cup (demi-finaliste en 1997). Le club est alors acculé, entre municipalité peu arrangeante et rumeurs de délocalisation (notamment à Milton Keynes). Mais il parvient à se maintenir péniblement dans l’élite jusqu’en 2000, grâce à son jeu rugueux et à un public fidèle : au cours des années 1990, les Dons affichent une affluence moyenne dépassant les 15.000 spectateurs. La saison 1999-2000 est la 14e et dernière du club au sein de l’élite, mettant fin à 23 années d’une progression foudroyante, qui l’aura notamment vu passer de la League Two (D4) à la Premier League en 4 saisons (1982-1986).

Fans vs Franchise

C’est aussi le début des emmerdes pour les supporters des Dons. Alors que les rumeurs de délocalisation ou de fusion les plus farfelues continuent de circuler, d’un mariage forcé avec QPR à un déménagement à Dublin, le club est à nouveau approché par Milton Keynes. La ville cherche désespérément un club professionnel pour remplacer l’équipe du cru qui végète dans les bas-fonds des divisions amateurs, et ainsi offrir du football pro à ses 200 000 administrés. Au terme d’une saison d’incertitudes, le board du WFC finit par accepter la proposition de Milton Keynes et annonce à ses supporters le prochain déménagement du club à plus de 90kms de son quartier d’origine. Deux années de manifestations des supporters et de procédures auprès des instances du football n’y feront rien : faute de finances et d’un soutien politique, le Wimbledon FC s’exile définitivement au nord-ouest de Londres en septembre 2003. Comble de l’ironie : c’est un club sans supporters qui s’installe dans le National Hockey Stadium (hockey sur gazon) de Milton Keynes, pendant la durée de la construction du MK Stadium.

Refusant la délocalisation de leur club, les supporters historiques choisissent alors d’abandonner un FC Wimbledon qu’ils ne reconnaissent plus et de créer leur propre club. Ou plus exactement de « réformer » leur club, selon les mots employés par les principaux protagonistes. Ce nouveau club voit le jour en avril 2002 après qu’un millier de supporters eut formé le Dons Trust, avec le soutien de l’organisation britannique Supporters Direct. Inspiré par le modèle coopératif, le Dons Trust crée en 3 mois un club appartenant majoritairement à ses supporters : A Fan’s Club Wimbledon (AFC Wimbledon).

Lancé dans le grand bain en septembre 2002, l’AFC attire immédiatement plus de spectateurs en D9 que le Wimbledon FC en D2, bien qu’il ne puisse jouer dans son quartier d’origine suite à la destruction de Plough Lane. Au Cherry Record Stadium, l’AFC enchaîne les records : 78 matchs d’invincibilité entre février 2003 et décembre 2004, 3 promotions en 6 saisons, meilleures affluences moyennes, etc. Il finit par accéder à la League Two (D4) en 2011, tout en affichant des finances excellentes qui poussent ses dirigeants à préparer le retour du club dans son quartier d’origine. Pendant ce temps, le Wimbledon FC végète entre la D2 et la D4, sans enthousiasmer les foules. Il est rebaptisé Milton Keynes Dons à la fin de la saison 2004, tout en continuant à s’approprier l’histoire et l’identité du Wimbledon FC, faisant ainsi de ce club le fameux « Franchise FC » honni dans toute l’Angleterre. Et si son Président Peter Winkelman a fini par remettre l’ensemble des trophées à l’AFC en 2007, il refuse encore aujourd’hui de renoncer au nom de « Dons » .

« Je préférerais conduire ma belle-mère à la jardinerie plutôt que d’assister à ce match »

Mais le MK Dons s’est patiemment construit et c’est un club en bonne santé sportive et financière qui accueillait ce dimanche l’AFC Wimbledon. Après avoir retrouvé la League One (D3) et emménagé au MK Stadium en 2008, le club s’est bâti autour de son ancien entraîneur-joueur Dietmar Hamann et compte aujourd’hui dans ses rangs les deux internationaux irlandais Gleeson et Potter, ainsi que le Français Mathias Kouo-Doumbé. Deuxième de D3, MK attire désormais les supporters, avec une moyenne de près de 9 000 spectateurs dans une région privée de grand club.

Les Dons de Milton Keynes partaient donc largement favoris pour ce match, devant un AFC Wimbledon qui patauge dans la zone de relégation de la League Two (D4). Mais l’enjeu était bien plus important pour les supporters de l’AFC comme pour bon nombre d’acteurs du football anglais. Pour la première fois, l’AFC avait l’occasion d’affronter son ennemi, sans pour autant que cela soulève l’enthousiasme de l’ensemble de ses supporters, partagés entre désir de revanche, tentation du boycott et fierté de montrer au monde l’ampleur du travail mené depuis la création de leur propre club. Et si une partie des supporters a fait campagne pour un boycott pur et simple du match, refusant de reconnaître la légitimé des MK Dons à disputer une telle compétition, le Directeur de l’AFC, Erik Samuelson, s’en est finalement remis au bon sens des fans, faisant du boycott une décision personnelle : « Notre club appartient à ses supporters et nous les rencontrons régulièrement. Certains d’entre eux ont souhaité que le club ne joue pas ce match, mais c’est une décision personnelle. Nous leur avons expliqué qu’en nous engageant dans une compétition, nous devions respecter l’ensemble des règles et jouer contre n’importe quelle équipe. »

Vidéo

Simon Wheeler, Président de l’Independent Wimbledon Supporters Association, était l’un de ceux-là : « Ce tirage au sort a rouvert nombre de cicatrices. On n’a jamais attendu ce match et je me sens coincé. Alors je n’irai pas à ce match, comme beaucoup d’autres fans. Personnellement, je préférerais conduire ma belle-mère à la jardinerie plutôt que d’y assister. » Ils étaient donc nombreux au Cherry Record Stadium à regarder le match sur écran géant, préférant reverser le prix du billet à l’AFC.

Au final, quelque 3000 supporters de l’AFC ont tout de même fait le voyage et, une heure avant le coup d’envoi, c’est une foule jaune et bleue qui se fait entendre autour du stade. Les slogans sont vindicatifs et le mot d’ordre est clair : « We are Wimbledon » . Bon nombre d’entre eux portent masques et autocollants estampillés « Voleurs ! » , suivant un mot d’ordre ayant circulé les jours précédant le match. Plusieurs banderoles et affiches visent également Peter Winkelman, patron des MK Dons. Le reste de la foule est globalement apathique et ne semble pas réellement porter attention aux revendications des « real Dons » , mis à part quelques tags et autres pancartes provocatrices fleurissant aux alentours du stade et affichant un provocateur « Welcome to Milton Keynes – Home of the real Dons » . Malgré quelques tensions et les torrents de vannes déversés par les supporters de l’AFC sur leurs collègues de MK, tout ce petit monde entre calmement dans le stade sans le moindre accrochage.

« We are Wimbledon »

Une fois dans le stade, l’ambiance est bien plus tendue. Peu avant 12h30, l’agitation gagne les environs du tunnel technique et la sono crache « Welcome to the Jungle » des Guns à l’entrée des joueurs. On a connu plus inspiré : à Milton Keynes, la jungle est de béton. Surprise côté supporters locaux, qui déploient une banderole explicite : « On garde les Dons… Il faudra vous y faire ! » Quelques « No one like us, we don’t care » se font également entendre. Classique outre-manche, mais très inattendu à Milton Keynes où les cris des coachs résonnent souvent dans le vide. Côté AFC, le leitmotiv de la journée est bien respecté et la tribune garnie de banderoles « We are Wimbledon » . Grosse ambiance au coup d’envoi chez les Jaune et Bleu, alors que les supporters locaux sortent une nouvelle banderole « AFC Hypocrites ! »

Les MK Dons entrent rapidement dans le match et mettent l’AFC en difficulté dès les premières minutes. Neil Sullivan (42 ans), vieille gloire du Wimbledon FC revenue garder les bois de l’AFC, est rapidement mis à contribution. Sullivan n’est pas le seul ancien du Wimbledon FC à participer au match, puisque son coach Neal Ardley a animé le milieu de terrain du Crazy Gang pendant plus de 10 ans, avant de finir sa carrière avec d’autres poètes à Cardiff City et Millwall. De son côté, MK compte également deux anciens Dons : le capitaine Dean Lewington et son gardien David Martin. Hystérie dans la tribune réservée aux supporters visiteurs à la 9e minute de jeu : un avion survole à plusieurs reprises le terrain à suffisamment basse altitude pour que l’ensemble du stade puisse lire le message sur la banderole qu’il traîne : « We are Wimbledon » . Mais la bataille des tribunes est la seule que l’AFC parvienne à dominer dans cette première mi-temps. Sur le terrain, MK domine largement les débats, contraignant les joueurs de l’AFC à défendre dans la plus pure tradition du Crazy Gang : les coups pleuvent sur tout ce qui essaie de franchir le milieu de terrain. Le match s’ankylose au milieu de terrain jusqu’à ce que MK concrétise sa domination à la 44e minute avec un but exceptionnel de l’international irlandais Stephen Gleeson, qui trouve la lucarne gauche de Sullivan depuis les 25m.

Le match reprend après la pause sur le même rythme, MK menant le siège des cages de Sullivan sous les chants des supporters locaux, détournant à leur profit le stigmate accolé à leur club : « You’re getting beat by a franchise » . À la 50e minute, les Jaune et Bleu parviennent à pénétrer pour la première fois dans le camp adverse et Jack Midson d’égaliser d’une tête au premier poteau juste devant ses supporters qui explosent tellement de joie qu’une cinquantaine d’entre eux finit sur le terrain.

Le match s’installe à nouveau dans l’ennui, les joueurs de l’AFC parvenant néanmoins à tenir tête à leurs adversaires. On se dirige alors vers un match nul qui obligerait l’AFC à accueillir son meilleur ennemi au Cherry Records Stadium pour un match retour explosif. Mais dans les arrêts de jeu, les MK Dons l’emportent suite à une triste partie de billard dans la surface, conclue par Jon Otsemobor. Réveil spectaculaire des supporters locaux, qui finissent à leur tour par envahir brièvement le terrain. Si l’AFC remporte largement le match des tribunes, Milton Keynes n’est cependant pas la coquille vide annoncée. La ville nouvelle connaît un véritable besoin de football. Et les MK Dons, installés dans cette lointaine banlieue depuis maintenant 10 ans, semblent avoir enfin rencontré leur public. Joueurs et supporters de l’AFC rejoignent quant à eux Londres sans amertume, fiers du travail accompli. Si tous rêvaient de terrasser leurs usurpateurs, les fans semblent néanmoins partager le sentiment de leur entraîneur Neal Ardley en fin de match : « Je suis fier de ce club, de son histoire depuis 10 ans. Ce match était une fête pour notre club. Je suis fier de la façon dont nous avons géré les évènements. »

« Un modèle pour tous les supporters »

Au-delà des supporters de l’AFC et de MK, le derby des Dons a déchaîné les passions outre-Manche. L’affrontement entre la franchise de Milton Keynes et l’un des premiers clubs coopératifs a retenu l’attention des médias sur le thème de « David contre Goliath » . Et les réseaux sociaux n’étaient pas en reste, people, anciens footballeurs et yuppies de tous poils affichant un soutien de circonstance à l’AFC tout au long de la semaine ayant précédé le match. Né dans l’indifférence générale, taxé de conservatisme et de passéisme, l’AFC Wimbledon est désormais devenu fashionable. Bien qu’amplement méritée, cette reconnaissance tardive est à mille lieux des aspirations du club et de ses supporters. L’AFC veut revenir au cœur de son quartier d’origine, tout en jouant un rôle décisif au sein de la communauté au travers notamment des missions d’action sociale menées par le club depuis sa reformation. Et tant pis si les yuppies boudent le Comedy Club mensuel au siège de l’AFC.

En revanche, les dirigeants de l’AFC acceptent volontiers le rôle de pionniers au sein des supporters britanniques. En menant à bien l’un des premiers projets de réforme d’un club professionnel, le Dons Trust est devenu un modèle qui s’exporte via l’organisation londonienne Supporters Direct, qui œuvre au développement du modèle coopératif dans le football professionnel. Les dirigeants de l’AFC Wimbledon ont depuis 2002 conseillé nombre d’organisations de supporters, s’impliquant notamment dans la création du FC United of Manchester ou plus récemment dans la prise de contrôle du Portsmouth FC par ses supporters via la Pompey Trust.

Le cauchemar londonien touche donc à sa fin. Dernier objectif pour Wimbledon : obtenir l’abandon du nom « Dons » par le club de Milton Keynes. Cette dernière bataille symbolique pourrait également permettre à Milton Keynes de devenir enfin un club banal et d’intégrer ses supporters dans le concert des fans britanniques. Rien de bien excitant, mais rien de plus normal pour la plus grande cité-dortoir d’Angleterre.

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