- Italie
- Calcio
- 26e journée
- Inter/Milan AC (1-1)
On était au Derby de Milan
Chaque derby a ses histoires, chaque derby pourrait faire un livre. Hier soir, c'était celui du retour de Balotelli et des prouesses de Handanovic. Un derby marqué par le froid, la neige, les élections, la domination du Milan et l'ambiance électrique d'un San Siro éternel. On y était, dans le cœur de la Curva Nord.
Le bleu contre le rouge, la gauche contre la droite, les Moratti contre les Berlusconi. Au milieu, Balotelli, Cassano, Pazzini, Muntari… Entre joueurs volés, coups-bas et baisers cachés, le Derby de la Madonnina a une saveur médiévale et chevaleresque. Un derby unique, fait d’intrigues, trahisons, fausses alliances et stratégies obscures. Des siècles d’histoire populaire milanaise regroupés en quatre-vingt dix minutes, dans un stade, toujours le même, San Siro.
La neige, le froid et les élections
On oublie souvent que Milan est au pied des Alpes. Une cité plus autrichienne que sicilienne, et donc du froid et de la neige en ce weekend de Derby et d’élections. Toute la semaine, les discussions ont tourné autour de Grillo, Monti, Berlusconi et le flou politique qui pèse sur le pays. Ce dimanche matin, entre les flocons, la lecture de La Gazzetta et un marrochino, Milan est donc allé voter. Enfin, une partie de Milan. L’autre était au Duomo, dans les trente mètres de queue des boutiques des deux clubs, ou alors dans la nouvelle boutique sportswear de Marco Materazzi et Stefano Mancinelli (capitaine de la sélection italienne de basket), superbe temple de la culture sneakers et hommage à Michael Jordan. Dans le métro qui mène au stade, l’Inter Club de Bari se perd et demande des indications à l’Inter Club Albania. FC Internazionale, forcément. Autour de l’enceinte, milanistes et intéristes se côtoient sans aucun problème, malgré les mauvaises relations des deux Curve. Le calme règne.
« Vous votez à gauche et supportez Berlusconi, bande d’idiots ! »
Tout Milan va au stade, en famille, en couple ou entre ultras. Crise politique ou pas, le football italien est indéniablement démocratique. Lors de la fouille habituelle, le policier lâche un « Forza Inter Amala » . Même la police vibre. On monte alors jusqu’au secondo anello verde, cœur de la Curva Nord. Il est 18h et certains Ultras sont là depuis midi. Dans la newsletter de la Nord, un article sort du lot : « Nous sifflerons Balotelli, mais seulement parce que c’est une merde » . L’explication a le mérite d’être claire : « Les gens, ignorants, aiment penser que les virages d’Italie sont remplis de racistes. (…) Ils n’ont même pas le réflexe de voir qu’un homme comme Samuel Eto’o, dont la peau n’est pas tout à fait blanche, est notre idole absolue et incontestée(blessé ou suspendu, Eto’o venait assister aux matchs dans la Curva, ndlr). Non, nous ne faisons pas de discrimination sur la couleur de peau. Mais nous n’oublions jamais quand un homme se permet de manquer de respect à nos couleurs » . Les « capi » exigent des « sifflets sportifs » , mais demandent à ne pas proférer toute insulte pouvant être interprétée comme « raciste » . Tous reprochent à Balotelli d’avoir jeté par terre son maillot le soir de la victoire face au Barça : « Le maillot qui t’a rendu célèbre ne se jette pas, il se respecte » .
La Curva Sud n’est pas tendre non plus, du sadique « Diego Milito, saute avec nous » au cruel « Montolivo playmaker, Cassano pacemaker » . La Nord s’exaspère : « Vous votez à gauche et supportez Berlusconi, bande d’idiots ! » . Arrive l’heure de la chorégraphie et de l’hymne du club, « C’è solo l’Inter » , chanson d’amour reprise par tous ces gros durs qui craquent au moment de parler de leur Beneamata ( « La bien-aimée » , surnom de l’Inter). Quand la Sud du Milan part fièrement à la guerre en rappelant ses origines ouvrières avec le tifo Casciavit ( « tournevis » en milanais) et le message « Rouges comme le feu, noirs comme votre peur » , la Nord choisit le romantisme : « Internazionale, tu me fais trembler le cœur, tu me fais arrêter de respirer » . Quelques bombes agricoles plus tard, le match commence.
Montolivo dompte l’Inter, Handanovic frustre Balotelli
Ce derby devait être celui de Balotelli. En cette nuit d’Oscars, il en était la star, l’acteur principal. Hier, il est tombé sur l’anti-Balotelli. Un certain Samir Handanovic, diaboliquement discret et efficace, qui construit lentement sa légende : « On me paye pour faire des arrêts, non ? » lâche-t-il à la sortie des vestiaires. Frustré face à un mur de sang-froid et nerveux devant l’accueil de la Nord, Balotelli manque sa chance. Mais le Milan confirme sa grande forme. Montolivo prend très tôt le pinceau et dessine la domination rouge et noire, l’Inter souffre terriblement, El Sharaawy punit froidement. Un sage supporter résume l’état d’esprit intériste : « Ces années sont dures, ragazzi, nous allons souffrir, soyons forts » . 0-1 à la pause. Balotelli attend alors que tous les joueurs rentrent au vestiaire pour traverser seul le terrain sous une pluie d’insultes et de chants, tel un empereur défiant la plèbe.
Quand le match reprend, les deux virages enfument l’atmosphère. Après cinq minutes, on ne voit rien. Après dix minutes, on ne voit toujours rien. A la 54e, on aperçoit un chauve sur le côté. Il centre… Et rien. Un énorme « ouhhhhh » sort des autres tribunes. Alors, alors ? On attend. Six mètres. Bon. Un type craque : « Mais putain, qu’est-ce qu’il s’est passé ?! » . C’était la parade folle d’Abbiati devant Guarin. Finalement, l’Inter respire, un peu. Cassano dribble, Cambiasso intercepte, et Guarin semble plus fort que tous les autres milieux réunis. A vingt minutes du terme, Schelotto entre et marque trois minutes plus tard. Là, il paraît que l’Argentin se serait mis à pleurer. Il paraît. Au moment où les sifflets ont tremblé, la Curva s’est transportée dans une autre dimension, par une chute soudaine et voulue. Un écroulement géant plus ou moins contrôlé, pour que tout le monde finisse par s’enlacer quatre rangs plus bas que prévu. Un câlin géant, gentil et un peu dangereux. L’Inter pousse, Zanetti mange Bojan, Zapata bloque tout. 1-1. Le Milan confirme sa forme fantastique, l’Inter est encore vivante.
Par Markus Kaufmann
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