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On était au derby de Belgrade
On avait quitté le stade JNA mardi soir sur un match arrêté avant son terme, un début de crise diplomatique et plusieurs boulangeries albanaises brûlées en Serbie depuis lors. Une parade militaire surannée pour Poutine plus tard, et nous voici de retour au JNA pour le 147e derby de Belgrade entre deux clubs au bord du gouffre financièrement.
Avant le match, le monde se divise en deux catégories. Les pessimistes pensent que la police et le gouvernement ont été tellement humiliés mardi qu’à la moindre provocation, ils rendront la monnaie de leur pièce à Bogdanov et ses potes, alors que les optimistes pensent au contraire que, précisément, grâce à cette tension ambiante, personne ne jouera au con. À moins que ce ne soit l’inverse. Tout dépend de ce qu’on est venu chercher au derby.
« le Kosovo est la Serbie »
Quitte à aller au JNA (nom officiel du stade du Partizan qui veut dire « Jugoslovenska Narodna Armija » , ndlr), autant en profiter pour monter un peu plus haut faire un crochet par la tombe de Tito et le musée qui va avec. Beaucoup d’armes, de costumes folkloriques et les cadeaux offerts par le monde entier au défunt maréchal. La selle de chameau offerte par le roi du Maroc vaut le détour, tout comme la somptueuse défense d’éléphant sculptée, cadeau de Suharto l’Indonésien. Allez, on redescend. Les cars de gendarmerie sont déjà positionnés à tous les carrefours, quatre heures avant le match, et détournent la circulation. En descendant par le nord, on croise les mecs de Zvezda (de l’Étoile rouge, ndlr), beaucoup de jeunes en jogging, des moins jeunes, quelques filles, un petit groupe qui trimbale tambours et drapeaux emmené par un colosse de 2,40m avec l’écusson du club tatoué sur le mollet. Au sud, il y a foule. L’impression d’observer à perte de vue les mêmes tronches patibulaires de croque-morts loin de Six feet under. Et puis les tortues, uniforme vert, coquilles noires pour la plupart. Il y en a partout, font tous deux mètres, et donnent l’impression d’avoir un humour très limité les jours de match.
Direction l’ouest, dernier étage, avec les diffuseurs télé. Ivan et Aleksandar occupent déjà la cabine. Le premier est fan du Partizan, le second de Zvezda. Bon, et c’est quoi le mot de passe pour le wifi ? « On s’en fout, ça ne marche pas. C’est la Serbie, mec ! » Note pour plus tard, le stade JNA n’a donc ni les facilités, ni surtout les hôtesses du stade Marakana. Aleksandar est sympa, il parle de ce petit jeune, attaquant de Zvezda, Luka Jović, 16 ans, du feu dans les jambes qu’il dit. En attendant, le feu est surtout à la frontière entre le Nord et l’Est. Le match n’est même pas commencé que les Delije (Ultras de l’Étoile rouge, ndlr) mènent une charge en règle à coups de torches pour faire reculer les mecs d’en face. Cela dure deux minutes, ça bouge, les flics interviennent, les pompiers aussi, et l’espace se vide définitivement. On scande même le nom d’Ivan Bogdanov. Comme quoi, l’ascenseur social marche encore dans le monde des tribunes à force de coups d’éclat. En face, les Grobari (Ultras du Partizan, ndlr) commencent avec une très longue bâche toute noire recouverte de deux têtes de mort qui laisse place à celles des groupes. En haut de la tribune, la fameuse bâche « le Kosovo est la Serbie » , souvent présente dans les rencontres internationales. La tribune est compacte, renforcée par le retour de la plupart des anciens dissidents du groupe des Interdits.
Dans les fumigènes
Les Delije profitent de l’approche du coup d’envoi pour orchestrer le premier craquage massif de fumigènes. Les flashs du reste du stade immortalisent l’instant et font la même chose de l’autre côté cinq minutes plus tard. Le speaker est réduit à rappeler qu’il est interdit de jeter des fumigènes sur la pelouse. Techniquement, les « fumis » ne sont pas lancés sur la pelouse, mais sur la piste d’athlé qui l’entoure, et sur laquelle on retrouve un Robocop à chaque mètre. À 400 mètres le tour de piste, on se fait une idée du dispositif, sans parler des stadiers. D’ailleurs, le pauvre stadier qui veut faire retirer ce vilain drapeau à croix celtique au Sud finira par renoncer. La première mi-temps est équilibrée, mais les meilleures occasions sont pour les visiteurs. Par deux fois, le jeune Jović rate le coche seul aux six mètres. Dans la cabine, le sympathique et civilisé Aleksandar qui, il y a vingt minutes, disait le plus grand bien de Jović, est désormais prêt à baiser toute sa famille jusqu’à la sixième génération apparemment. En face, on n’est pas très dangereux, et dans le cas contraire, le jeune Rajković, maillot fluo du plus bel effet, veille au grain. Avec lui, les Serbes ont peut-être réglé le problème de l’absence d’un vrai gardien depuis Ivan Ćurković. Les esprits chagrins s’attendaient à une surenchère de banderoles et de chants insultants contre les Albanais. Rien de tout ça, mis à part un drapeau albanais cramé par un gus et un chant hostile de 10 secondes sur deux heures de match, par les Grobari. Comme si on s’était tous mis d’accord à l’avance pour qu’aucun incident majeur n’ait lieu. Tant mieux après tout. On a vu ici bien pire.
En seconde période, on repart sur les mêmes bases. Le jeune Andrija Živković entre pour le Partizan. On en dit du bien aussi. À l’heure de jeu, nouvelle interruption de trois minutes, le temps que la fumée du craquage grobari se dissipe. Les pompiers, seyants avec leurs casques jaunes, ramassent minutieusement les torches avec leurs pinces jusqu’au seau d’eau. Belle chorégraphie. Rajković se fout du brouillard et sauve les siens une première fois sur un centre à ras de terre. Juste après, un défenseur de Zvezda se foire et accroche son adversaire à l’angle de la surface alors qu’il partait seul au but. Un arbitre français aurait donné penalty et rouge, mais M. Mazić – préposé à tous les derbys – donne coup franc et jaune. Drinčić ne se pose pas de question et met une mine sous la barre. Explosion dans le stade et quelques fumigènes allumés pour fêter ça. Sarcastique, le public local chante « nous voulons un penalty pour Zvezda » , allusion aux deux penaltys généreux accordés l’an passé par le même M. Mazić à Zvezda, que Lukač, le portier noir et blanc, avait repoussés.
Arbitres au sprint
Las, Zvezda est incapable de porter le danger, malgré l’entrée en jeu de Djordje Rakić, le catogan de Zlatan, la tronche de Niko Kovač et la dégaine d’Andy Carroll. C’est même Rajković qui sauve les meubles en fin de match. Bons princes, les Delije applaudissent tout de même les leurs tandis qu’en face, les joueurs reprennent à l’unisson avec la tribune quelques chants. Dernière scène curieuse quand même : les six arbitres se barrent au sprint dans le tunnel sitôt le coup de sifflet final donné. Le contrôle anti-dopage peut-être. Tout le monde se disperse tranquillement. Comme tous les ans ou presque, le Partizan est dans une situation moins mauvaise que Zvezda. Et comme tous les ans ou presque depuis une décennie, le Partizan remportera le titre pour se faire taper en Ligue des champions par des Géorgiens ou des Bulgares. Misère. Heureusement, il restera le derby éternel.
Par Loïc Tregoures, à Belgrade