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On était au Clásico de Villa Crespo
Buenos Aires accueille un paquet de Clásicos, dont le plus médiatique, Boca-River, fait chaque année le tour du monde. À mi-chemin entre la Bombonera et le Monumental, dans le paisible quartier de Villa Crespo, l’un des plus vieux et plus traditionnels derbys de la ville avait lieu ce week-end. Le 127e Clásico entre Atlanta et Chacarita Juniors, deux clubs historiques en crise financière depuis des années, se déroulait dans le cadre de la 4e journée du championnat de troisième division. Avec de la milanesa, de la grosse ambiance, des vieilles carcasses de bagnoles et le sosie de Giroud.
Au croisement des rues Darwin et Murillo, deux flics discutent des derniers rebondissements du « cas Angeles » , le fait divers qui passionne l’Argentine depuis de longues semaines, et coupent l’accès motorisé au stade, situé 50m derrière. Une vieille dame passe, un sac de courses à la main. « - Il s’est passé quelque chose ? – Non, c’est pour le match, madame. » Le coup d’envoi d’un des plus vieux Clásicos argentins sera donné dans moins d’une heure, mais la zone n’a jamais semblé aussi calme. Il y a au moins deux explications à cela. La première, c’est qu’Atlanta et Chacarita Juniors, en énorme difficulté financièrement, évoluent aujourd’hui en B Metropolitana, la troisième division locale. La deuxième, c’est l’impossibilité pour les supporters visiteurs de se rendre au stade. Une norme qui concerne l’intégralité du foot argentin depuis la reprise des différents championnats, la faute aux violences répétées, l’événement déclencheur ayant été la grosse bataille que se sont livrées il y a un mois les deux fractions de la Doce, le groupe de supporters mafieux de Boca Juniors, en marge d’un match amical contre San Lorenzo. Chacarita devra donc faire sans les milliers de fans qui garnissent habituellement la tribune du Don Leon Kolbowski d’Atlanta, l’ennemi juré depuis 1927, date du premier affrontement.
« Ça a dégénéré tellement de fois… »
À l’époque, les stades des deux clubs sont situés à 100m l’un de l’autre, sur la rue Humboldt, dans le quartier de Villa Crespo, en plein centre géographique de Buenos Aires. D’où le début de la rivalité. L’enceinte de Chacarita, d’une capacité de 40 000 places, résidait alors sur le terrain actuel qu’occupe le stade d’Atlanta. Mais ce terrain était loué au club et pas payé depuis des mois, ce dont a profité le voisin Atlanta. Dans les années 40, un investisseur proche du club bohemio ( « bohème » , surnom donné à Atlanta du fait de ses changements de stade à répétition) le rachète et oblige Chacarita à déménager et quitter le quartier (il rejoindra dès lors la localité de Villa Maipu, dans la banlieue ouest de la capitale). Cet événement a transformé la rivalité en haine et fait du Clásico de Villa Crespo l’un des plus bouillants de Buenos Aires, bien qu’il n’ait pas la publicité d’un Boca-River ou d’un San Lorenzo-Huracán, la faute à des moyens économiques très différents. Mais dans l’histoire du football argentin, l’Atlanta-Chacarita a bel et bien une place particulière. Ce week-end, il s’agissait du 127e affrontement officiel entre les deux équipes.
C’est sous la tribune principale de ce stade en béton peu entretenu et qu’à moitié peint que les supporters bohemios se retrouvent. Il est midi, les serveurs du bar restaurant du club s’activent pour pouvoir servir toutes ces familles en jaune et bleu. Certains optent pour le combo café-medialunas (les croissants locaux), d’autres n’hésitent pas à se remplir le bide avec une grosse milanesa (milanaise)-frites, un classique argentin. Sur le mini écran, les buts de la veille, dont le golazo de Trezeguet, passent en boucle. C’est Javier, venu avec son père et deux amis, qui parle : « Aujourd’hui, pas le choix, il faut gagner. Chaca, on ne les bat pas depuis 1997 et il nous mette 20 victoires au général. Après trois journées, on est à égalité au classement. Dommage pour le spectacle qu’ils n’aient pas leurs supporters, mais bon, ça a dégénéré tellement de fois que c’est peut-être pas plus mal. » Un ticket à 70 pesos (10 euros) donne le droit de venir s’installer avec les socios dans la Popular locale, l’équivalent du kop ou du virage en France.
Des hautes herbes, des carcasses de voitures et un vieux hangar
L’entrée dans l’enceinte laisse une impression étrange. Comme un mélange de professionnalisme et d’amateurisme. À gauche, la tribune présidentielle, imposante, divisée en deux étages, correctement équipée et joliment peinte aux couleurs du club. À droite, rien. Enfin si, un terrain vague que partagent les hautes herbes, des carcasses de voitures et un vieux hangar. Un muret sépare le terrain de cet espace abandonné, et juste derrière ce muret, à hauteur du milieu de terrain, deux cameramen filment les débats, en haut d’un échafaudage assez peu rassurant. Depuis la tribune, le panorama sur la ville est sympa : des maisons calmes, les étonnantes tours de Buenos Aires (aucune de la même taille), le train qui passe juste à côté et des gamins qui jouent au soccer 5 en plein air au loin. C’est le stade de barrio, le vrai. Pendant que la tribune se remplit, Javier fait un peu d’histoire : « Atlanta était un club habitué à la première division jusqu’aux années 80. Ça a alors commencé à être très compliqué économiquement, jusqu’à la faillite en 1991. C’est le premier club argentin à avoir coulé. Pendant six mois, on n’existait plus, on ne jouait plus, puis on a recommencé en jouant tous les trois jours pour rattraper les matchs perdus. L’année prochaine, ça fera 30 ans qu’on a quitté la première division. »
Les banderoles attachées de haut en bas de la tribune sont installées, les ballons gonflables jaune et bleu sont distribués et les tambours de la barrabrava font leur apparition. Tout est prêt pour que le spectacle commence. La Popular est désormais pleine à craquer, la Platea étant, elle, plutôt bien garnie. En face, la tribune réservée aux supporters adverses accueille une trentaine de personnes : l’encadrement de Chacarita Juniors. Parmi les fans locaux, il y a de tous les âges. Ici, la passion se transmet de père en fils, ou en fille, les tribunes argentines étant loin d’être exclusivement masculines. Un père chante, son fils sur les épaules, deux vieux gueulent sur le gardien adverse qui passe 5 minutes à retirer tout le papier toilette de sa surface de réparation. Deux immenses drapeaux argentins avec le logo d’Atlanta à la place du soleil flottent au-dessus des fans qui, aussitôt les fumigènes allumés, balancent tous ensemble les morceaux découpés de journaux qui venaient d’être distribués. C’est la grosse fête, et le match commence enfin.
Un sosie d’Olivier Giroud et des contrôles ratés
Le début de partie est trompeur. Atlanta joue plutôt bien, construit intelligemment, est précis techniquement. Pour cela, l’équipe s’appuie sur Olivier Giroud. Enfin, sur son sosie. Même coupe, même posture droite, même taille, même jeu de corps et de déviation. Problème, le gardien des Bohemios se troue et Chacarita ouvre le score sur sa première sortie. Les 30 bonhommes d’en face courent comme des fous d’un coin à l’autre de la tribune. De quoi sérieusement énerver les locaux. Le match change et devient brouillon et nerveux. Ça commence à balancer des longs ballons, à faire des sales fautes et à se plaindre. « C’est le foot argentin, ça. Tu prends un but, il reste plus d’une heure à jouer, mais c’est la panique » , explique Luciano, qui découvre lui aussi le stade ce samedi. C’est la mi-temps et les fans d’Atlanta ont pris une claque. Quand le jeu reprend, la tension est palpable et les joueurs semblent la ressentir. Hormis le fameux numéro 9, vraiment très bon, les Bohemios montrent toute l’étendue de leurs défauts. Contrôles ratés en pagaille, passes au hasard, tirs en touche. Ça ressemble fort à notre D3 départementale bien-aimée. Les supporters ne chantent plus qu’à moitié, ce qui agace l’un des petits bonhommes debout sur la rambarde, dos au terrain, et dont le visage rouge laisse envisager un avant-match arrosé. « Mais chantez, bordel ! » , gueule-t-il régulièrement. Rien n’y fera, Chacarita double joliment la mise et enterre le résultat. Les Funebreros ont désormais 21 victoires d’avance sur leur ennemi. Et Villa Crespo toutes les raisons de retrouver son calme légendaire.
Par Léo Ruiz, à Buenos Aires