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On était à un match du Tractor Tabriz, en Iran
Au Nord-Ouest de l'Iran, coincé dans les montagnes désertiques de l'Azerbaïdjan oriental, le Tractor Tabriz n'a pas l'habitude d'attirer l'attention. Pas même la curiosité d'un vagabond assoiffé. Pourtant, la saison passée, il a fait marrer toute la planète. La raison ? Ses presque 100 000 supporters réunis dans son antre ont fêté six minutes durant un titre de… dauphin. Trois mois plus tard, le Tractor retrouve son antre et essaye tant bien que mal de s'en remettre.
Pris dans un épais nuage de poussière, un long convoi de voitures et de mobylettes bloque la petite route étroite qui mène au stade Yadegar-e Emam. Creusé entre deux collines désertiques, en périphérie de la ville, le stade du Tractor Tabriz accueille le Rah Ahan. L’affiche est peu excitante. Seuls 10 000 fans se sont déplacés sur les 71 000 places disponibles. Une faible affluence généralisée. Thé dans la main droite et graines de tournesol dans la gauche, Ashkan scrute les milliers de places libres et balance : « C’est comme à chaque début de championnat. Personne ne vient parce qu’il fait trop chaud et les matchs n’ont pas de rythme. Tu sais, les joueurs iraniens, ils courent soixante minutes, après ils marchent. Alors t’imagines sous 45°C ? » L’immense drapeau de l’Iran, non loin du stade, ne bande pas et indique une absence totale de vent. Le match se jouera sous 40°C, selon le smartphone d’Ashkan.
Sièges arrachés et frustration
Faux champion la saison passée, le Tractor Tabriz a entamé sa saison sur un petit rythme avec un nul et une victoire. La folle dernière journée du championnat iranien, en mai dernier, est encore dans toutes les têtes. À l’annonce des joueurs, le speaker qui avait menti en prétendant le club champion, est copieusement hué. Des « enculé de menteur » déferlent des travées du stade à chaque nom de joueur cité. Stigmates du fameux finish du dernier championnat local, des centaines de sièges ont été arrachés ou totalement dézingués. « Pour protester contre nos dégradations, la direction a aussi fait retirer des milliers de sièges. C’est le monde à l’envers. Ils nous font croire qu’on est champions et après ils sanctionnent notre comportement » , déplore Amir, clope au bec, et cape rouge sur le dos.
Retour en arrière : ce 15 mai 2015, le Yadegar-e Emam est plein à craquer. Il suffit d’une victoire pour que le Tractor soit sacré champion. Les médias parlent de 85 000 supporters venus de tout l’Azerbaïdjan oriental. « On était 100 000 ! » , s’exclame Ashkan qui fait passer le fameux décalage police/manifestants pour une vérité internationale. Cette inoubliable journée, personne n’est près de l’oublier. « On venait de se faire égaliser en toute fin de match, mais les journalistes, le staff et le speaker annonçaient en parallèle le nul du Sepahan FC. Ils faisaient tous « 2-2 » avec les doigts. Nous, on ne pouvait pas savoir le score exact, bizarrement le réseau s’est barré, tout comme le président du club, dix minutes avant le coup de sifflet final » , se souvient Amir. En réalité, le dauphin, Sepahan, gagne son match 2-0 et passe devant le Tractor au buzzer. « Certains ont passé l’éponge, on espère que les tribunes se rempliront cette saison. »
Vaillants tracteurs
Bruyant retour au présent. Les quelques ultras revenus de leurs vacances à Téhéran ou de Turquie accompagnent de chants et de clapping un tambour. Dans le coin ultra, on scande les louanges du Tractor, meilleur club d’Azerbaïdjan. Des chants nationalistes pas toujours appréciés par les autorités iraniennes. Le coup d’envoi est sifflé vers 19h et le match commence doucement sous l’égide des portraits du père de la révolution islamique, l’ayatollah Khomeiny, et l’actuel président Hassan Rohani. Comme dans chaque championnat exotique, le Tractor possède son lot de Brésiliens égarés. Au milieu, le costaud Augusto, fraîchement débarqué de l’Internacional, fait bonne figure. « On n’a pas de black ici, et encore moins dans le Nord de l’Iran. Les Iraniens ne sont pas racistes, mais juste très surpris quand ils voient un noir. Ici, si tu connais un Iranien noir, d’ici qu’il parle correctement l’anglais, tu le fais vite passer pour un copain américain qui vient te rendre visite. Un plus pour draguer des filles » , se marre Ashkan.
Leur recrue leur donne en tout cas satisfaction. Ses deux grosses frappes des vingt premières minutes sont les seules occasions du match côté Tractor. La seconde amènera d’ailleurs l’ouverture du score à la 22e par Rafiei. Le premier but à domicile depuis son titre de champion en papier mâché. Au retour des vestiaires, les joueurs peinent à avancer malgré la nuit qui tombe. « Tu sais pourquoi on s’appelle le Tractor ? Parce que Tabriz avant était connue pour ses vaillants tracteurs. » Amir ne croit pas si bien dire. À quelques secondes du coup de sifflet final, son Tractor encaisse un but sur un mauvais renvoi de la défense. Un coup de poignard dans le temps additionnel qui remue quelque peu le couteau dans la plaie. « On n’a jamais été champion d’Iran, et je pense qu’on ne le sera jamais » , souffle Ashkan. En même temps, un tracteur ne saurait soulever une coupe.
Par Kévin Miller à Tabriz.