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On était à Red Star – FC Metz
Pour tous ceux qui souhaitaient se consoler de l'élimination du PSG et se rappeler que le foot de proximité existait encore en région parisienne, une seule direction ce vendredi soir: le stade Bauer, à Saint-Ouen. Parce que supporter le Red Star, c'est comme préférer la Northern Soul à Franck Ocean, une affaire de goût comme de posture.
« 1517 supporters avaient pris place dans un Bauer surchauffé. » Le site officiel du Red Star ne ment pas. Recevoir le FC Metz attire encore les masses, au regard évidemment de la fréquentation ordinaire en National. Car à ce niveau, c’est davantage le bonus patrimoniale que le classement qui fait vibrer les cœurs et encourage à poser ses fesses dans les gradins. En tout cas bien plus que les noms des joueurs, que bien peu connaissent, si ce n’est un Proment et un Lejeune qui trainent leurs crampons avec les Lorrains. Côté Red Star, il s’agit surtout de continuer à aimer un club au « riche palmarès » et aux « belles histoires » , avec un logo « Kronenbourg » et une « identité » réelle ou fantasmée.
Donc au détour d’une rue, à quelques encablures des Puces, dans un environnement d’épiciers et de restaurations rapides à base de burgers exotiques, on débouche sur une petite enceinte qui fleure bon le stade municipal de l’après-guerre avec son patronyme de héros de la résistance. Bauer, donc. Un étrange espace-temps planté quelque part entre « Paris n’est pas Londres » de WunerBach et la « Banlieue Rouge » de la Souris déglinguée, avec désormais un zest de NTM et de Booba. La place coute 5 euros. A ce tarif-là et par respect intuitif pour l’antique institution du foot français, qui oserait demander une accréditation presse ? En face ce soir, le FC Metz, ses deux coupes de France siglées 80’s, et bien sûr la fierté toujours unique et préservée d’avoir réussi l’exploit de virer le Barca d’une compétition européenne. Légende contre Légende. Livre d’Or contre Livre d’Or. Le match des centenaires …
Des sosies de Woodkid et un manque de frites
Si en 1937, leur rencontre constituait un choc honorable entre deux bonnes équipes de l’élite (remportée 2 a 1 par les audoniens, pour le détail), aujourd’hui la confrontation oppose plus prosaïquement la course à la remontée vers une L2, synonyme de service minimum pour les Grenats, et la bataille du maintien (6 clubs descendent en CFA) pour un Red Star arrivé voici deux ans en National par la bonne grâce de la DNCG. N’empêche, débarquer à Bauer ne forme jamais une expérience anodine. Plus que d’être l’anti-PSG, le stade Bauer constitue surtout l’anti-Stade de France. La moitié des tribunes sont fermées et un synthétique a été payé en urgence par la ville. Les spectateurs se tiennent debout sur des tribunes en béton ouvrier et le paysage embaume la street credibility plus que la réhabilitation urbaine. Seule preuve du temps présent, la fouille à l’entrée se la raconte comme en L1. Darch, du collectif Red Star-Bauer, défend son pré carré contre les rêves de grandeurs de certains, ainsi que son projet « réaliste » de rénovation de la maison-mère où se trouve leur local, le tout enrobé d’un argument d’un pragmatisme tuant : « Qui viendrait en payant 12 euros en National, voire en L2, même dans une installation flambant neuve style Aréna ? » . En face, le bar l’Olympic. Là, on reste dans la mémoire du terroir banlieusard. Dedans comme à l’extérieur, les autocollants et stickers marquent le territoire à coups de « Bauer antifa » et « 8°6 crew » . Ici, la traduction « étoile rouge » ne correspond en effet pas vraiment à une quelconque volonté de franciser le choix originel de Jules Rimet, empreint alors d’anglomanie bourgeoise. On se sent bien plus proches de fait des mecs de PSA-Aulnay – des voisins – qui sont allés foutre le bordel au conseil national PS jeudi que de la LFP en guerre contre les 75%…
Léger frémissement ? On croise même quelques hipsters en chapka et autres sosies de Woodkid, qui on du se perdre sur le chemin de la Main d’Oeuvre. Des sortes de David Vincent du football moderne, en somme. Le stand de gâteaux arabes et thé à la menthe donne de son coté la tonalité locale. Juste a coté, le type qui s’occupe des merguez-frites se plaint de la « foule » : « Je m’attendais pas à tant de monde, tu te rends compte, la dernière fois j’ai été contraint de jeter une bassine de frites, et là je vais en manquer » . On sourit fraternellement pendant qu’on vend le Coca dans un gobelet en plastique, autre concession à la sécurité. C’est d’ailleurs sur ce seul chapitre qu’on devine presque les ambitions du club : interdiction d’aller en tribune d’honneur – pourtant pas très garnie – avec une vigilance et un sérieux guère adaptés au lieu, et les vestiaires s’avèrent encore plus inaccessibles, selon un supporter messin pourtant « proche du FC » , que « ceux du Nou Camp » . Voilà, pour ceux qui en doutaient : le professionnalisme existe au Red Star, autant le respecter…
« Flic , arbitre ou militaire, qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour un salaire! »
Reste que sur le terrain, le niveau est à la peine. Les visiteurs l’emportent facilement 2-0, malgré une belle tentative de retourné de Samuel Allegro (un ex vétéran de L1 et ancien Messin). Sur le second but, Alhassane Keita vient chambrer les supporters du cru, oubliant au passage de le fêter devant les siens (les deux groupes Horda Frenetik et Génération Grenat en petits contingents), peut-être trop loin de l’autre côté. Peut-être a-t-il capté où se situait la véritable opposition ce soir ? Car du coté du « Kop » de Saint-Ouen, les choses sont prises très au sérieux. On y retrouve un peu de tout d’ailleurs : des « historiques » (Perry Boys, etc.), des ex du VAG, des skins et des quidams, et quelques lascars du coin. Le tifo d’ouverture, et son immense étoile rouge réalisée par les petites mains du collectif, démontre leur capacité à exister dans le milieu ultra. Quelques Grenoblois ont même fait le déplacement « en amis » , et dénotent en bleu, entre le vert du Red Star et le « brun-rouge » des Messins.
Pendant que la balle se promène à grandes enjambées aériennes d’un bout à l’autre, les chants tapent comme des slogans de manifs. « Flic , arbitre ou militaire, qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour un salaire ! » . Ou quand le discours social rencontre la haine consensuelle de l’arbitrage. Un conseil : mettez le copyright, Pierre Ménès risque de la placer sur Twitter. La suite prend des relents plus classiques… Par exemple, de traiter les Messins de « Collabos » – ce qui décoche juste un sourire chez les occupants de la tribune – jusqu’au plus ésotérique « suceurs de Lyonnais » , rengaine qui répond à une possible alliance entre certains Messins et ultras Gones contre ceux de Nice en janvier dernier, avec bien sûr quelques arrières-pensées politiques. Pendant ce temps, un adepte de la flute – vous savez le modèle des cours de musique en 3ème – casse les esgourdes d’un « visiteur » qui se croyait anonyme pendant qu’un zonard à l’âge indéterminé n’hésite pas hurler « Ici, c’est le 9-3 » à l’oreille de gamins vaguement incommodés… Bref un kop, un vrai ! Le match se termine. Un skin à rouflaquettes se prend une pluie de confettis sur sa donkey jacket de la part de trois mômes de quartier hilares. On range tout et on retourne à l’Olympic, où un habitué place la sans doute la réflexion de la soirée : « Moi je fais dans le golf, je cherche des trous » . Comme quoi, le foot populaire, ça reste donc, quand même et d’abord, du foot…
Nicolas Kssis-Martov