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On était à Liverpool pour fêter le sacre des Reds
Après trois décennies d'attente, le club de la Mersey a remporté, grâce à la victoire de Chelsea face à Manchester City, son dix-neuvième titre de champion d'Angleterre. À une longueur du voisin honni de Manchester United. Après une saison de rêve et la peur de tout perdre à cause du coronavirus, soulagement et joie étaient omniprésents hier aux alentours du stade.
Liverpool. Il est 20 heures sur Concert Square. Le match entre Chelsea et Manchester City, qui peut donner le titre aux Reds, commence dans une quinzaine de minutes. La chaleur est étouffante pour cette partie de l’Angleterre. Les enceintes crachent de l’électro typiquement british. Si les pubs n’ont toujours pas rouvert au Royaume-Uni, la vente de bière à emporter est autorisée et coule à flots. Les Liverpuldiens investissent Wood Street, installent leurs sièges de camping, font la fête. Au moment du coup d’envoi, à 20h15, la police locale arrive et bloque la rue. La sono est confisquée, sa propriétaire embarquée. Pour la fête, on attendra. Circulez, il n’y a rien à voir.
De Bruyne et les oreilles qui sifflent
À un peu moins de trois miles du centre-ville, le stade d’Anfield Road est quasi désert pendant la première période. Lee, 52 ans, est déjà présent. Le regard embrumé par les quelques pintes descendues, il avoue : « C’est un sentiment étrange aujourd’hui. Je ne me souviens presque plus de la fête pour le dernier titre de champion, c’était il y a tellement longtemps. L’attente due au coronavirus n’a fait qu’amplifier cette joie qui monte en moi. Pour l’instant, Chelsea mène 1-0, ça sent bon… » Le club de Londres mène en effet depuis la 36e minute sur une action en solitaire de Pulisic consécutive à une mésentente grotesque entre Benjamin Mendy et Ikay Gündoğan. À la mi-temps, le Liverpool Football Club est virtuellement champion d’Angleterre.
Au retour des vestiaires à Stamford Bridge, une dizaine de supporters arrivent sur le parvis d’Anfield. Ils chantent déjà leur sacre. En bons rhapsodes, ils reprennent sur l’air de « car c’est un bon camarade » des paroles chantées dans tous les pubs de Liverpool depuis le début de l’année : « We’re gonna win the league, We’re gonna win the league, Now you gotta believe us, Now you gotta believe, Now you gotta believe us, We’re gonna win the league… » ! À 21h30, des cris descendent des rues adjacentes. Le pauvre Kevin De Bruyne est rhabillé pour l’hiver, et sa mère, où qu’elle soit, doit avoir les oreilles qui sifflent. Une minute plus tard, les fans des Reds présents à Anfield découvrent, en léger différé sur leurs smartphones, le bijou de coup franc du Citizenbelge. La tension monte à Anfield. Si City marque de nouveau, il faudra attendre une semaine de plus pour être champion…
Heureux à la mort
Une vingtaine de minutes plus tard, la libération tant attendue prend forme. Les hurlements des maisons voisines se font entendre jusqu’au stade. Quelques instants plus tard, ils découvrent alors la main de Fernandinho au ralenti. Une faute digne d’un écolier qui veut empêcher un but avec sa main dans la cour de récréation. Penalty, carton rouge, but de Willian. Plus de doute, le LFC va empocher son 19e titre de champion d’Angleterre, la première fois depuis la création de la Premier League. Les supporters peuvent reprendre leurs chants, rien ni personne ne peut entraver leur joie, leur « liberté ».« Le coronavirus, c’est le dernier truc auquel on pense ce soir. Je suis venue en voiture cet après-midi depuis Derby pour vivre ce moment, j’attends ça depuis trop longtemps, j’en ai la chair de poule », clame Rose-West, la cinquantaine. Les supporters arrivent désormais par dizaines. Les chaînes de télévision britanniques préparent leurs duplex, les photographes immortalisent ces instants de bonheur. Le temps additionnel commence, les voitures klaxonnent, « You’ll never walk alone » résonne dans les rues de Liverpool. Le match se termine et c’est une marée rouge qui afflue au stade d’Anfield.
« Je suis heureux jusqu’à la mort. Aujourd’hui, c’est l’été, c’est la vie. Je n’ai jamais été aussi heureux ! » assène Paul en criant. Mike, son ami, est plus posé : « Aujourd’hui, Liverpool, et dans le monde entier, c’est « the place to be ». C’est la capitale du monde ce soir. Ça fait trente ans qu’on attend ça. C’est l’héritage de Shankly, de Paisley, mais aussi du drame d’Hillsborough et de Kenny Dalglish. Et merci à Klopp et ses joueurs d’avoir ravivé cette flamme. »
Ciel rouge et rues désertes
Rapidement, des centaines de Scousers escaladent les barrières, grimpent au premier étage du stade pour surplomber ces vagues humaines qui ne s’arrêtent plus. Ça craque des fumis dans tous les sens. Des feux d’artifice éclatent. Le ciel de Liverpool s’embrase de rouge. Le célèbre « Allez, allez, allez » (en français) est chanté une bonne quinzaine de fois dans l’heure qui suit le coup de sifflet final. « Je suis heureux. Comme jamais. C’est presque une revanche pour mon frère et moi. Notre père, nos oncles se foutaient de nous en disant qu’on ne serait jamais de vrais supporters de Liverpool tant qu’on ne les aurait pas vus sacrés. Aujourd’hui, on a placé Liverpool sur la carte ! » scande Mick (à prononcer Mirrrr avec l’accent scouse) aux côtés de Craig, son frère.
La « party » n’est pas près de connaître son épilogue, assure d’ailleurs Mick, car « ça va être une semaine de folie, on va revenir ici demain, au stade. On va aller à Sefton Park faire la fête ! Ça va être la folie dans toutes les maisons, dans tous les jardins ! Je ne vais pas dormir jusqu’à lundi. Ça va être légendaire ! » Vers 1h du matin, les abords du stade désemplissent. S’il reste de nombreux fans sur les grilles du stade, de plus en plus de supporters retournent à leurs pénates, finiront la fête dans leurs maisons, leurs jardins, pour une bringue qui durera plusieurs jours. Le centre-ville de Liverpool est désormais désert. Concert Square est vide. Personne à Matthew Street, la célèbre rue piétonne célébrant les Beatles où les soirées durent habituellement jusqu’à pas d’heure. Le COVID-19 n’a pas empêché de célébrer le titre tant attendu, même si la fête eût été différente dans le monde d’avant. Ce n’est que partie remise. La première manche des célébrations est terminée, de nombreuses petites sœurs arrivent.
Par Robin Roynard, à Liverpool