- Coupe du monde 2014
On était à l’inauguration du musée Pelé
Edson Arentes do Nascimento, dit Pelé, fait partie de ces rares êtres humains à se faire dédier un musée de son vivant. Le lieu de culte a été inauguré dimanche à Santos, en présence d'O Rei, dans une ambiance cosy.
Pantalon gris, et chemise col Mao de même couleur, le roi Pelé a des airs de dignitaire africain sur l’estrade où il trône, entouré d’une demi-douzaine d’huiles (vice-président du Brésil, ministre des Sports, ministre de la Santé…) qui ont enchaîné des discours tous plus attendus les uns que les autres. « Pelé est un cadeau du Brésil fait au monde », « un joueur d’une autre planète », et on en passe… L’intéressé écoute poliment, avant d’enfin prendre la parole sous les vivats de deux cents personnes endimanchées. Il fera court, par peur que l’émotion ne le rattrape, assure-t-il. « Je remercie Dieu pour me donner la santé d’assister à cela », déclare la légende vivante de 74 ans. Pelé se félicite tout de même d’avoir contribué avec les historiques de la Seleção à avoir fait connaître le Brésil dans le monde. « Quand on est arrivés en Suède en 1958, les gens confondaient Brésil, Argentine et Amazonie (…) », se remémore l’homme aux trois Coupe du monde. Avant d’ajouter : « Aujourd’hui, le monde regarde vers le Brésil. » Dilma Roussef ou Sepp Blatter n’auraient pas dit mieux.
Du café « Pelé »
La cérémonie d’inauguration du musée s’est déroulée entre happy few, dans la cour d’un vieux bâtiment au style colonial abrité des regards extérieurs par une palissade provisoire. En annonçant sa venue, Dilma Roussef n’a pas fait un cadeau au roi Pelé. La litanie de discours, introduits par une Milf de la TV Globo, se déroulera ainsi sous arrière fond de mégaphone de syndicalistes. Ils étaient une trentaine à protester, invisibles depuis le lieu de la petite sauterie, mais tout à fait audibles. Les militants venaient rappeler à la présidente leur opposition au coût de cette Coupe du monde. Mais Dilma Roussef, si elle a joué à cache-cache lors de l’inauguration du Mondial, a cette fois purement et simplement annulé. Seul Pelé attirera donc les flash, et quelques-uns de ses anciens camarades comme Edu ou Dorval, ce dernier vainqueur de l’Intercontinentale avec Santos en 1961 et 1962. Derrière le bar qui se trouve à l’entrée du musée, on sert du café… « Pelé », une marque couramment commercialisée au Brésil.
Pour l’Européen moyen, Santos est avant tout le nom du club que Pelé a popularisé mondialement en y évoluant pendant quatorze ans, à une époque où il faisait figure de trésor national à protéger des appétits étrangers. Mais Santos est aussi et avant tout le plus grand port d’Amérique latine. Il approvisionne notamment la mégalopole de São Paulo, qui se trouve à moins d’une heure de route. Le bâtiment qui abrite le musée Pelé se trouve d’ailleurs derrière des docks, où containers et grues pullulent. De l’autre côté, un quartier plutôt pauvre, bouclé pour l’occasion, à la grande colère de Santistas qui se trouvaient, pour certains, dans l’impossibilité de visiter leurs familles, et faisaient part de leur mécontentement aux policiers chargés de contrôler les accès. Pelé a tenu à ce que son musée soit construit à Santos, alors que plusieurs villes, alléchées par les perspectives touristiques, s’étaient portées candidates.
Test de paternité et poète brésilien
La visite du musée Pelé, qui s’articule sur cinq niveaux autour de ses quatre participations à la Coupe du monde, permet de mettre en perspective certains des triomphes d’O Rei. Une citation de Pelé rappelle ainsi qu’il ne pensait pas disputer le Mondial 70 après avoir été particulièrement maltraité par ses opposants lors de la World Cup 66. « Le football idéal est devenu impossible (à pratiquer) » , déclarait-il alors. Les reliques exposées – plus de 2500 pièces – valent également le détour. Sous vitre, on découvre ainsi le sceptre et la couronne qui ont été remis à sa majesté Pelé lors de son match d’adieu à la Seleção en 1971. Des phrases d’adversaires, d’entraîneurs, et même de poètes égrènent le parcours et célèbrent l’idole. « Marquer 1000 buts comme Pelé c’est facile, mais marquer un but comme Pelé c’est difficile. » Signé Carlos Drummond de Andrade, poète brésilien.
Loin de ses apôtres et du décor feutré du cocktail d’après inauguration, Alea Sánchez, la cinquantaine, tient un mur d’un snack à fritures du quartier, avec un ami. Supporter de Santos, il admire Pelé, le joueur, mais moins l’homme. « Je suis vraiment gêné de savoir que Pelé n’a pas reconnu un enfant alors que les analyses attestent qu’il en est le père. Je n’aime pas ça », considère-t-il du haut de son crâne luisant. Quant à l’impact du musée sur l’économie de ce quartier populaire, tant vanté lors de la cérémonie par le maire de Santos ? « Je ne sais pas, enfin ce musée c’est joli, ça fait bien parler de la ville », lâche ce vigile de profession, l’air pas convaincu. Pendant que ses anciens coéquipiers partagent un repas dans un salon de réception, Pelé, lui, a déjà filé, escorté par un cortège tout en gyrophares et vitres fumées. On ne dédie pas un musée de son vivant à un simple mortel.
Par Thomas Goubin, à Santos