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On était à « la grande annonce » de Zlatan
Grand refrain de ce début d'été, le « mais où ira Zlatan ? » aurait pu connaître son dénouement mardi. C'est du moins ce que l'intéressé avait sous-entendu, en prévenant qu'il ferait « une grande annonce » ce jour-là. La présentation d'une nouvelle tunique ? Oui, mais pas celle d'un club de football. Plutôt celles qu'il confectionne désormais avec la marque de vêtements qu'il vient de lancer.
Comme à son habitude, Zlatan avait fait dans le teasing agressif. Un ronflant « Je ferai une grande annonce le 7 juin. Ce sera la bombe de l’été ! » lancé à la presse suédoise après la victoire face au pays de Galles. De quoi réveiller la partie reptilienne du cerveau des journalistes, uniquement animés par la question du transfert d’Ibra. Enfin, on allait savoir. Allait-il tuer le suspense autour de Manchester United ? Dire oui à la géniale proposition de ce club de D4 allemande qui voulait le nommer roi ? Faire un bras d’honneur à la décence en allant toucher 75 millions en Chine ? L’invitation officielle à la « bombe de l’été » fit donc office de douche froide : le Z invitait simplement au lancement de sa marque de vêtements ce mardi, dans un entrepôt désaffecté de La Poste transformé en salle de réception à deux pas de la gare Saint-Lazare à Paris. Le Suédois avait pourtant démarré son 7 juin en forme olympique, par une interview démentielle au Monde où il jetait tous ses fonds de tiroir, toutes les sottises qu’il n’avait pas pu caser jusqu’à maintenant sur la France, l’argent, lui-même et le président Hollande. Mais il préférait terminer sa journée en parlant de tricot, en dévoilant au monde entier les bijoux de sa toute nouvelle marque, baptisée A-Z.
Zlatan > Catherine Laborde
En pénétrant dans la grande salle, l’ambiance sent très fort la fashion week. Au diable les pupitres, les tables, les apparats des conférences de presse sportives. Au milieu de nombreux écrans, un décor branché jouant sur le noir et le blanc à grand renfort de lumières aveuglantes, et une estrade, totalement vide, comme lors d’un défilé. Qu’est-ce que Zlatan allait bien pouvoir faire là-dessus ? Une présentation debout, micro à la main, à la Steve Jobs ? Jouer au mannequin en se pavanant avec ses nouveaux habits ? Assise face à cette scène, une foule d’environ 400 personnes patiente, et le dit dans toutes les langues du monde. Anglais, Suédois, Hollandais, journalistes, blogueurs mode stylés, tatoués et barbus, bimbos apprêtées comme lors d’une soirée à Cannes, tout le monde est de la partie, et même une délégation de fans de Zlatan sélectionnés sur Instagram. Un peu plus loin, près du podium, Papus Camara est venu en ami et attend, lui aussi, patiemment. Alors, pour satisfaire cette ONU de la mode, la cérémonie aura lieu en anglais, comme l’annonce d’emblée une présentatrice blonde avant de lancer les hostilités par une première vanne : « Après des semaines de pluie, Zlatan contrôle la météo pour nous. Qu’est-ce que Zlatan ne peut pas faire ? » Fière de sa trouvaille, madame continue de lire son discours sur son iPad en expliquant que l’événement est retransmis en direct sur Facebook, et qu’un spectacle d’introduction nous est offert. Silence, lumières éteintes, un mannequin en tenue de sport pénètre sur la scène, nous fixe méchamment, bientôt rejoint par une dizaine d’autres qui se mettent à danser de façon saccadée sur une musique au rythme épileptique. Une espèce de spectacle de fin d’année scolaire de trois minutes, conclu en apothéose par l’arrivée du néo-couturier, Zlatan en personne.
De la sueur et des poèmes
Zlatan peut enfin s’asseoir face à la speakerine et lancer la machine. Sans peser ses mots, Ibra parle d’un « historical day » , et lance la bande-annonce de A-Z, un clip en noir et blanc mêlant scènes d’entraînement à la Rocky, et leçons de vie définitives n’appelant pas au débat prononcées par Zlatan, « Abandonner n’est jamais une option » , « Ne montre jamais de faiblesse » , etc. Fin du film , une standing ovation, et la séance de questions-réponses peut débuter. Toujours aussi inspirée, la maîtresse de cérémonie flatte le Suédois sur « sa voix profonde et sexy » , puis embraye sur des questions convenues sur la marque, son esprit, ses valeurs. En face, le Z est en mode one man show et joue son rôle d’Ibra à 200%. Que veut dire A-Z ? « From Amateur to Zlatan » . Soit. Le logo est or, « ma couleur préférée » , forcément. L’ex-Parisien joue aussi sur notre sensibilité, en enfilant son costume du gamin de Rosengård, qui a réalisé ses rêves à la force de la cheville. « C’est une marque pour le peuple, car je suis l’homme du peuple » , jure-t-il, en ajoutant que sa marque ne promet à personne de devenir meilleur, mais qu’elle nous y aidera si on est prêts à travailler assez pour le devenir. Un précepte inscrit jusque dans le col des T-shirts de la marque, où ce message est gravé : « Peu importe à quel point ce vêtement respire bien, ce qui compte est avec quelle force tu respires dedans. » Une marque réservée aux vainqueurs, assurément. La discussion se poursuit et le micro est trimbalé dans le public pour des questions, entrecoupées de celles arrivant sur la tablette de Dame blonde via les réseaux sociaux. Un coup, c’est un Hollandais qui prend le mic pour annoncer qu’il a écrit un poème à Zlatan et le lui réciter. Un autre, c’est un internaute du bout du monde qui lui demande le secret de sa réussite. Ok, la promo est bien calibrée. Mais le football, dans tout ça ?
Le mystère restera entier
Car avant d’être un marchand d’étoffes, Zlatan est un footballeur qui va s’envoler pour on se sait où. Première tentative d’approche avec une question mêlant foot, mode et Beckham. Hilare, le géant se lève et montre triomphalement qu’il porte un caleçon A-Z, tonne « On fait aussi des sous-vêtements ! » , avant de se rasseoir sous des applaudissements sans doute bien mérités. Mais les organisateurs ont beau jouer les passe-plats, mettre l’accent sur les questions de fans ou donner le micro à un enfant même pas touchant qui demande à Zlatan de revenir au PSG, Ibra n’échappe pas à la question sur son avenir sportif. Un murmure de désapprobation parcourt la salle, comme si cela était inappropriée. Pas de surprise du côté de la réponse, un « My future is A-Z » salué par de nouveaux applaudissements. Puis Ibra recycle la vanne de la pluie – « Depuis que je suis parti il pleut, aujourd’hui je reviens et il fait beau » – et lâche des « Je ne ferai aucune confirmation. Je veux que vous continuiez à écrire des histoires sur Zlatan. Quand j’en aurai assez, je dirai où je vais. Il arrive un moment où vous sentez qu’il n’y a rien à faire de plus. Vous avez eu votre chance pendant quatre ans, maintenant vous devez trouver un nouveau Zlatan » . Nous n’en saurons pas plus, l’exercice se termine 30 minutes après avoir commencé, et Ibra quitte la scène. La foule prend d’assaut Camara, et le buffet où sont servis sushis végétariens et limonades bio issues du commerce équitable, soutenant « de petits agriculteurs et des initiatives agricoles durables » . Sur les côtés, les mannequins sont revenus et miment de s’échauffer, enchaînant étirements et pompes, infatigables. From A to Z, ces gens-là sont sans doute vers W, presque des Zlatan. À peine le temps de prendre quelques lampées qu’Ibra revient, se postant devant un mur A-Z pour prendre des photos. La file d’attente fait 25 mètres. Car Zlatan a beau avoir fait revenir le soleil, ses fans préféreront toujours attendre 30 min dans un hangar sombre pour prendre un selfie avec lui.
Par Alexandre Doskov