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On était à la finale de la Coupe de Russie

Par Ronan Evain à Grozny
On était à la finale de la Coupe de Russie

Grozny, 1er juin 2013. La capitale de la Tchétchénie est plongée dans une torpeur caniculaire qui ne laisse en rien présager que l’ancienne ville martyre de la première guerre de Tchétchénie (1994-1996) s’apprête à devenir pour quelques heures la capitale du football russe. Délocalisée au cœur du Caucase russe, la finale de Coupe de Russie 2013 est certainement la plus controversée de la jeune histoire de cette compétition. Mais les efforts de Ramzan Kadyrov pour placer son pays sur la carte du football européen semblent avoir porté leurs fruits et la Fédération russe a cédé aux sirènes tchétchènes, au risque d’offrir aux spectateurs un spectacle totalement surréaliste.

Entamée il y a 3 ans à l’occasion de la finale 2010 jouée entre le Zenit Saint-Pétersbourg et le Sibir Novossibirsk à Rostov-sur-le-Don, la politique de délocalisation de la finale de Coupe de Russie a atteint aujourd’hui son paroxysme avec l’organisation de ce match au cœur de l’ancienne République séparatiste. Sous couvert de philanthropie et de développement régional, la Fédération russe réalise en réalité une bonne opération financière en s’associant à la politique sportive outrancière de Ramsan Kadirov : en fuyant Moscou et ses stades inadaptés ou inachevés, elle confie une part importante des frais d’organisation à son hôte et s’assure ainsi des revenus confortables.

Mais le public ne semble pas partager cette vision des affaires sportives, dans un football hyper centralisé autour de Moscou et miné par d’importantes tensions culturelles et confessionnelles. Les organisations de supporters du CSKA avaient annoncé la couleur dès la qualification de leur club pour la finale, en appelant l’ensemble de leurs camarades à boycotter le match. Non pas en raison de la distance (1800km et 41h de train depuis Moscou) mais pour des motifs politiques, bon nombre de supporters moscovites ne reconnaissant pas la légitimité des clubs du Caucase à participer aux compétitions russes. Et si ces organisations ont mis en avant des considérations sécuritaires, et notamment le risque d’attentat, les véritables raisons de ce boycott sont à chercher ailleurs selon Stas, supporter du CSKA âgé de 28 ans : « On boycotte tous les matchs joués dans le Nord-Caucase depuis plusieurs saisons. Je n’ai aucune envie de suivre mon équipe dans ces trous et risquer de me prendre une balle ou un coup de couteau par un de ces animaux. Mais ça reste la Russie et je sais qu’en tant que russe je peux y voyager quand je veux et comme je veux. Mais aller dans ces stades de merde, c’est accepter que les équipes du Caucase participent au football russe. Et moi, c’est pas comme ça que j’imagine le football… » C’est donc seulement une petite centaine de supporters du CSKA qui ont fait le voyage, contre environ 10.000 fans de l’Anji venus pour la plupart en bus du Daghestan voisin. Mais les supporters des nouveaux riches du football russe découvrent encore les joies du supportérisme et c’est un calme surprenant qui règne autour du stade à 1h du coup d’envoi.

« 
Un grand moment de l’Histoire tchétchène
 »

Pourtant, les autorités locales ont fait les choses en grand et les artères qui mènent au stade flambant neuf du Terek Grozny sont recouvertes d’arches aux couleurs des deux clubs finalistes et d’affiches annonçant la confrontation entre le « Conte de fée russe » (CSKA Moscou) et la « Légende caucasienne » (Anji Makhatchkala). Si les innombrables ballons gonflables éclatent sous l’action du soleil caucasien, le cérémonial semble bien rodé. Autorités tchétchènes et Fédération russe avaient affiché au préalable leurs ambitions afin de faire de cet évènement « un grand moment de l’Histoire tchétchène. » C’est donc en toute simplicité que la Coupe de Russie a fait son arrivée au stade Akhmad Kadyrov, escortée par 4 molosses en survet’ de l’équipe olympique russe dans une Rolls Royce noire immatriculée 777. Avant cela, elle avait été trimballée dans toute la République Tchéchène pendant 5 jours, faisant un passage remarqué à l’Académie Ramzan (centre de formation créé par le Président tchétchène), répandant « joie et sourires autour d’elle » selon la Fédération russe.
A l’entrée du stade, les organisateurs annoncent la couleur : la finale de la Coupe de Russie 2013 sera tchétchène. Drapeaux russes et tchétchènes font jeu égal et un portrait gigantesque d’Akhmad Kadirov, père et prédécesseur de Ramzan à la tête de la République, orne les murs extérieurs du stade qui porte son nom. De fringants jeunes hommes accueillent les visiteurs en tenue traditionnelle tchétchène, sabre à la ceinture, et le logo du stade est le seul qui semble avoir été autorisé à figurer sur les murs. Entremêlant drapeaux russe et tchétchène autour des initiales d’Akhmad Kadirov et de deux couronnes de blé, le tout surmonté du croissant et de l’étoile islamique et souligné du nom du stade en lettres d’or, il n’obéit à aucun des canons du marketing sportif pratiqué en Europe de l’Ouest.

Sur le plan de l’organisation en revanche, la Fédération russe n’a rien à envier à l’UEFA : partenaires omniprésents, buvette sponsorisée et musique assourdissante crachée dans la sono avant le coup d’envoi. Le dispositif de sécurité est conséquent (plus de 2500 militaires et policiers), afin notamment d’écarter tout risque d’attentat. Si la Tchétchénie est désormais pacifiée, le Daghestan voisin subit des attaques de groupes islamistes de façon quasi-quotidienne et Grozny a gardé le souvenir de la mort d’Akhmad Kadyrov en 2004, tué par une bombe placée dans un pilier en béton du stade Dynamo. Une fois passés les multiples portails de détection de métaux, l’ambiance est pourtant bon enfant malgré le mélange hétérogène de supporters de l’Anji, d’habitués du stade venus avec leur panoplie du Terek et de sponsors et autres partenaires.


Lassana Diarra buteur

Là encore, les couleurs de la République tchétchène sont omniprésentes. Un tifo représentant les drapeaux tchétchènes et russes est notamment hissé par des volontaires locaux et les joueurs entrent sur le terrain en tenant la main d’enfants habillés eux aussi du costume traditionnel tchétchène. Kadirov fils fait même un passage sur le terrain avant le coup d’envoi, rayonnant d’orgueil personnel en constatant la bonne tenue de l’évènement qu’il a imaginé et dont il a supervisé l’organisation, au point d’entamer seul une danse caucasienne en face de joueurs médusés. Car en matière de football, l’excentrique Président tchétchène ne regarde pas à la dépense, paradoxe dans une République qui vit sous perfusion de fonds fédéraux. Il s’était ainsi offert les services de nombreux retraités brésiliens en 2010, avant d’inviter Maradona, Zomorano, Figo, Boghossian and co. à venir tester la toute nouvelle pelouse du stade Akhmad en 2011. Dans les deux cas, Ramzan avait enfilé le short et s’était illustré par la médiocrité de son football. Et s’il semble aimer ce sport, il en a avant tout fait un outil de politique intérieure, flattant la fierté tchétchène pour mieux la contrôler. Il tient également là un formidable outil au service du culte de sa personnalité, qui amène le club dont il est Président d’honneur à distribuer des drapeaux à son effigie lors des matchs à domicile. Et même si avec 40 millions d’euros de budget le club n’est pas à même de rivaliser avec le Zenit, l’Anji ou les clubs moscovites, Kadyrov semble se contenter de ces résultats et s’affiche régulièrement avec son équipe. Au point parfois de se laisser emporter par son enthousiasme, comme en mars dernier où il s’est permis d’insulter l’arbitre via la sono du stade à la fin d’un match contre le Rubin Kazan, avant d’aller l’empoigner dans les vestiaires avec l’aide de ses gardes du corps. Cet épisode avait d’ailleurs donné du grain à moudre aux pourfendeurs de la finale tchétchène. Associé à la suspension à vie d’un arbitre de touche ayant tabassé un joueur de 17 ans de l’Amkar Perm à la fin d’un match joué à Grozny en avril et aux photos de Kadirov posant avec un jeune homme condamné en 2011 pour la mort d’un Ultra du Spartak, il avait servi de démonstration aux tenants de barrières culturelles insurmontables entre football russe et caucasien.

Sur le terrain, le match est bien enlevé, avec deux équipes qui jouent un football très offensif dès le coup d’envoi. Aidé par une défense d’Anji perméable, Ahmed Musa parvient à ouvrir le score pour le CSKA dès la 7ème minute, sur une grosse erreur du gardien Vladimir Gabulov. S’en est suivi une forte domination de l’Anji, qui mettra à de nombreuses reprises Igor Afinkeev, gardien de but du CSKA, à contribution. Celui-ci sortira un match exceptionnel, donnant régulièrement l’impression d’être le seul joueur du CSKA concerné par les phases défensives. Celui qui restera très certainement comme le meilleur gardien de la saison en Russie n’a pu en effet compter que sur lui-même pour amener son équipe jusqu’à la mi-temps, l’arbitre oubliant au passage deux penaltys évidents pour l’Anji. Gagnant en pressing au retour des vestiaires, les joueurs du CSKA semblent se limiter à de grands ballons en direction de Musa, qui mettra à plusieurs reprises Galubov en difficulté. De son côté, l’Anji continue de produire un jeu de qualité, Eto’o buttant à plusieurs reprises sur un Afinkeev toujours aussi affuté. C’est finalement le français Lassana Diarra qui parvient à tromper Afinkeev d’une énorme frappe à l’entrée de la surface de réparation (73’). Auteur d’un bon match jusque-là, Diarra récolte les fruits d’un pressing efficace qui lui permet de marquer son premier but sous les couleurs de l’Anji. Les 25min restantes verront Samuel Eto’o se créer de multiples occasions sans parvenir à concrétiser et l’expulsion du milieu suédois du CSKA Pontus Wernbloom à la 87’ pour une jambe levée un peu trop haut.

Les prolongations ne repartent pas sur le même rythme et les deux équipes semblent épuisées par les 30°C du printemps caucasien. Malgré un jeu offensif et la prise de risque orchestrée par son manager Guus Hiddink, l’Anji ne parvient pas à éviter une séance de tirs au but qui s’annonce compliquée face à un grand Afinkeev. S’il parvient à sortir la frappe de Zhirkov, tout comme son homologue s’impose face à Musa, c’est le tir du brésilien Jucilei au-dessus de la barre qui offre une avance précieuse au CSKA. Le club moscovite fini par s’imposer et remporter la 7ème Coupe de Russie de son histoire sur une magnifique panenka de l’ivoirien Seydou Doumbia. Malgré son budget pharaonique, Samuel Eto’o et son incroyable discussion avec le ballon au cours de la séance de tir au but, l’Anji termine une nouvelle saison sans titre. Mais le club daghestanais parvient néanmoins à se qualifier pour l’Europa League à la faveur de sa 3ème place en championnat. Avec ou sans Guus Hiddink, âgé de 67 ans et arrivé en fin de contrat, l’Anji devrait continuer la saison prochaine son ascension dans l’élite du football russe. Le CSKA signe quant à lui un doublé Coupe-championnat et confirme son renouveau.

Le cirque Kadirov

La fin de match est l’occasion pour Kadirov de donner pleine mesure à sa folie. Sabordant le protocole, il remet lui-même les médailles aux deux équipes, offrant une étreinte virile à chaque joueur, au point d’en faire trembler les tresses bleues de Vagner Love. Le temps pour les organisateurs de déployer un immense logo du stade Akhmad sur le terrain et de monter une forteresse caucasienne en carton-pâte destinée à accueillir les vainqueurs, Kadirov dévale les marches de la tribune d’honneur pour débarquer sur le terrain empli d’un enthousiasme juvénile. Vêtu d’une tunique bleue taillée sur mesure, d’un chapelet de prière musulman et d’énormes lunettes de soleil, il est accueilli autour de la Coupe de Russie par deux garçons et deux filles en costumes traditionnels, qui laissent s’envoler des colombes à son arrivée. Poursuivant son travail de sape, il s’empare alors de la Coupe et la remet lui-même aux joueurs, avant de remonter dans les tribunes pour plaisanter avec le sélectionneur russe Fabio Capello.

Le cirque mis en place aujourd’hui par Ramzan Kadyrov est symptomatique de sa gestion de la Tchétchénie. Enfermée dans un culte de la personnalité qui confine souvent au ridicule, cette petite république du Caucase russe multiplie les dépenses somptuaires malgré une économie peu dynamique. Si le sympathique Ramzan est l’objet de railleries perpétuelles pour son amour des survets’, des tigres et des armes dorées, la Tchétchénie reste une terre peu propice au respect des Droits de l’homme et à la liberté d’expression. Et si les deux fillettes présentes autour de Kadyrov lors de la remise du trophée arboraient un voile sur leurs cheveux, c’est pour mieux rappeler la récente obligation faite aux femmes tchétchènes d’arborer en toutes circonstances une tenue conforme aux préceptes de l’Islam, selon une étude publiée en 2011 par Human Rights Watch.

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