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On était à la finale de la Coupe du monde de la ConIFA entre Chypre du Nord et la Transcarpatie
Un petit stade loin de tout, des chants en hongrois, beaucoup de fumée, de la musique traditionnelle, de la pluie, des penaltys et Mark Clattenburg. La finale de la troisième édition de l’autre Coupe du monde a placé la barre très haut. La FIFA est prévenue.
Le match pour la troisième place vient à peine de se terminer que la foule à l’extérieur du stade Reine-Elizabeth II se fait déjà entendre. Nous sommes à Enfield, au fin fond du nord de Londres, et la petite enceinte connaît une effervescence à laquelle elle n’est pas habituée, puisque d’ordinaire, ce sont les joueurs de l’Enfield Town FC, pensionnaire de D8, qui en foulent la pelouse naturelle et fatiguée. Mais ce samedi, le stade de Sa Majesté (dont seul le nom est présent) devient le théâtre de la finale de la Coupe du monde. L’autre, celle des peuples sans États, des diasporas et des ethnies minoritaires, organisée par la Confédération des associations de football indépendantes (ConIFA). Pour succéder à l’Abkhazie (une province séparatiste de Géorgie), c’est la Transcarpatie – la minorité hongroise d’Ukraine – et la République turque de Chypre Nord – qui comme son nom l’indique, n’est reconnue que par Ankara – qui s’apprêtent à en découdre.
Prudence sur le terrain, flambée dans les gradins
Avec 3000 spectateurs présents, le record d’affuence est battu. Et les effectifs en tribune sont équilibrés. L’importante communauté chypriote turque de Londres s’est mobilisée en masse, à grand renfort de drapeaux, d’instruments et de danseurs traditionnels. En face, les Hongrois ne font pas dans la dentelle : fumigènes, feux de Bengale, mégaphone, chants… La panoplie classique d’un vrai kop, là pour encourager les Magyars de l’étranger.
Ici, point d’injonction à cesser d’enflammer le stade, au contraire ! Tout ce qui peut contribuer à mettre en lumière cette compétition dont la troisième édition est sur le point de se terminer, est bienvenu. Pendant les dix jours de tournoi, les trois cent cinquante médias accrédités (un record) se sont régalés devant les innombrables histoires à raconter, loin du football champagne et paillettes. Ici, c’est l’humain qui prime. L’écrasante majorité des participants est amateur ou semi-pro et il n’y a guère que Mark Clattenburg – au sifflet pour le match d’ouverture et la finale, à l’invitation du sponsor de l’événement – que le spectateur lambda parvient à reconnaître. Mais l’homme en noir a peu à faire. La première mi-temps fait office de round d’observation entre vingt-deux joueurs qui passent plus de temps à comparer leurs muscles à grands coups de tacles glissés plutôt qu’à chercher à se créer des occasions.
Il répondait au nom de Béla
Puisque le spectacle n’est pas au rendez-vous sur le terrain, une petite promenade autour de la main courante s’impose. Contrairement à celle de la FIFA, la Coupe du monde de la ConIFA organise des matchs de classement afin de permettre à chaque équipe de rentabiliser leur présence en jouant six matchs minimum. En attendant la cérémonie de clôture, Tibétains, Abkhazes, Tuvaluans, Matabélés et Panjabis observent religieusement leurs collègues s’écharper sous la pluie qui commence à tomber, avec des pintes et des frites pour mieux passer le temps. D’autres, comme les Padaniens qui viennent de remporter la médaille de bronze face au Pays sicule (une autre minorité hongroise, mais de Roumanie cette fois-ci), taillent une bavette entre eux et savourent leur lot de consolation.
Au terme des 90 minutes, aucun but n’est venu départager les deux camps. Mais point de prolongation – spécificité de la ConIFA oblige –, on passe directement à la séance des tirs au but. Côté chypriote, pour le plus grand bonheur des Rouge et Blanc, qui font office de régionaux de l’étape. « L’organisation a eu du flair, glisse un photographe visiblement bien informé. Une grande partie de la communauté habite dans le coin. » Mais à la fin, ce sont les Hongrois qui jubilent. Le gardien Béla Fejér stoppe trois penaltys et offre son premier titre de champion du monde à la Transcarpatie. Pas mal pour une équipe venue remplacer au pied levé la minorité hongroise de Slovaquie et dont sept joueurs avaient quitté le tournoi la veille pour assister à un mariage. Porté en héros, le gardien du club roumain de Sepsi vient communier avec l’infatigable kop. Avant de rejoindre le toit-terrasse de la tribune principale, où l’on procède à la distribution des médailles pour tous les participants. En attendant de savoir où se jouera la prochaine édition prévue en 2020, ce lever de rideau informel du Mondial russe a tenu toutes ses promesses. À commencer par prouver qu’un autre football est toujours possible. Même à l’échelle internationale.
Par Julien Duez, à Londres
Photos : JD