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On était à la dernière de Klopp à Dortmund

Par Ali Farhat et Sophie Serbini, à Dortmund
On était à la dernière de Klopp à Dortmund

Après sept années passées sur le banc de touche du Westfalenstadion, Jürgen Klopp a fait ses adieux hier à un public de Dortmund déchaîné. Des adieux d'autant plus déchirants qu'ils coïncidaient avec ceux du capitaine emblématique du Borussia façon Klopp : Sebastian Kehl. Et c'est peu dire qu'on a gueulé et versé des larmes pour vous.

Depuis quelques semaines, tout le monde à Dortmund redoutait ce samedi 23 mai. Personne ne souhaitait voir le chrono du « Temple » indiquer la 90e minute. D’aucuns savaient que le coup de sifflet indiquerait la fin. La fin d’une saison, oui, mais surtout la fin d’une ère. Celle de Jürgen Klopp. Certes, il reste un match à disputer, et pas des moindres : la finale de la DFB-Pokal à Berlin, contre le VfL Wolfsburg. Mais pour ce qui est du Westfalenstadion, c’est fini : après sept ans, le déjà mythique entraîneur du Borussia Dortmund tire sa révérence. Sept années au cours desquelles il aura fait le kéké sur son banc de touche, parfois à s’engueuler avec les arbitres assistants, parfois à recueillir le fruit de son travail en fêtant les buts de son équipe comme un supporter lambda. Un septennat durant lequel il aura également remis le BvB sur la carte de l’Allemagne et de l’Europe, grâce à un style de jeu chatoyant, et surtout des titres : Meisterschale en 2011, doublé coupe-championnat en 2012. Grâce à Jürgen Klopp, Dortmund est entré avec fracas dans le XXIe siècle, et est devenu le club de tous ceux qui aiment le frisson. Celui procuré par les joueurs, mais aussi celui procuré parmi le public. Néanmoins, cette saison, cela ne pouvait continuer ainsi. La « bête » qu’avait créée Klopp était devenue difficilement maîtrisable. Pour qu’elle mute et qu’elle continue à vivre, il fallait « qu’une grosse tête s’en aille – et c’est la mienne » , avait-il déclaré en avril dernier. Et comme un « malheur » n’arrive jamais seul, il a fallu qu’une autre icône fasse ses adieux le même jour : Sebastian Kehl, l’éternel capitaine, qui met les crampons de côté après 360 matchs pour les Schwarzgelben.

« Klopp reviendra »

Forcément, toute cette tension est palpable quand on arrive aux abords du Westfalenstadion. En sortant du métro, on croise les premières échoppes qui vendent des produits officiels. Inutile de dire que ce jour-là, les plus vendues sont celles qui remercient le coach et son lieutenant. Les maillots aussi sont de sortie. Et pour cause. « Il n’y a pas un jour où j’ai été déçu par Jürgen Klopp » , s’extasie « Winnie » , un quinquagénaire qui a floqué le nom de celui qui lui vend du rêve depuis 2008. « Il avait fait de belles choses à Mayence, j’étais convaincu que ça marcherait. Je n’ai franchement rien à lui reprocher, si ce n’est peut-être le fait qu’il a toujours un peu exagéré avec les arbitres assistants. Mais bon, ça fait partie du personnage, ça me fait surtout rire. » Comme beaucoup d’autres, « Winnie » est convaincu que Kloppo reviendra un jour au Borussia. « Il a gardé sa maison, c’est un signe. Et qu’importe s’il va au Bayern un jour, on l’aimera toujours. Néanmoins, pas sûr qu’il y aille tant que Sammer sera là » , analyse-t-il, avant de s’enflammer tout seul : « En revanche, si un jour Mario Götze revient ici, je ne mets plus jamais les pieds au stade. »

Squatteur assidu de la Südtribüne, Torben ne retient que de bonnes choses du mandat de Klopp : « Il a redonné ses lettres de noblesse au club, et il a fait plus que ce qu’on espérait. » Néanmoins, on ne la fait pas à quelqu’un qui squatte la tribune la plus bruyante d’Europe depuis son plus jeune âge. « Beaucoup disent qu’il y a un véritable culte de la personnalité autour de Jürgen Klopp, qu’il est devenu plus grand que le club ; c’est faux : nous, dans la Süd, on vient pour supporter le BvB sur le terrain, pas un mec qui se trouve sur la ligne de touche. » Les joueurs, entraîneurs et dirigeants passent, le club reste. « Après, il est difficile de s’imaginer le Borussia sans Jürgen Klopp du jour au lendemain… » Sans Jürgen Klopp, et sans Sebastian Kehl. D’où une première banderole « Danke Jungs » (merci les gars) avec les portraits des deux héros du jour, suivi d’un tifo hissé par la Südtribüne entièrement consacré à Kloppo.

Business as usual…

Mais comme il serait un peu dommage d’oublier un homme qui a consacré au club 13 ans et demi de sa vie, le Borussia a décidé de rendre hommage à son capitaine avant la rencontre. Brassard au bras, Kehl doit mener les siens pour ce qui constitue sa dernière maison dans son « salon » : la victoire face au Werder Brême, une victoire qui serait synonyme de Ligue Europa. Comme pour faire plaisir à leur coach et à leur capitaine, les joueurs du Borussia Dortmund donnent en première mi-temps tout le football qu’ils n’ont pas eu l’occasion de trop montrer cette saison : Kagawa, esseulé comme à la grande époque, ouvre le score, et deux minutes plus tard, Pierre-Emerick Aubameyang d’un enroulé que n’aurait pas renié Robert Lewandowski, l’ancien buteur maison. Bien évidemment, tout ne pouvait pas marcher comme sur des roulettes, et dix minutes plus tard, Levin Öztunali (le petit-fils d’Uwe Seeler) réduit la marque. Pas impressionnés, les Schwarzgelben plantent quelques minutes à la mi-temps, grâce à un Mkhitaryan de gala : sprint, contrôle parfait, accélération, petite pichenette par-dessus Koen Casteels pour conclure. Le tout sur une contre-attaque, suite à un corner mal négocié par le Werder. Le Dortmund de la grande époque, qu’on vous dit.

… and risky business

Le stade est en fusion, comme s’il n’était qu’à quarante-cinq minutes de remporter le championnat. En soi, c’est compréhensible : finir européen après avoir été dernier à la trêve, cela relève un peu du miracle. Après la pause, le Borussia Dortmund repart à l’attaque, mais comme d’habitude, il pèche dans la finition. Et comme d’habitude également, il concède des buts. La réalisation de Gebre Selassie en fin de match permet à Jürgen Klopp de stresser encore un peu en cette fin de rencontre, comme s’il ne l’avait pas suffisamment fait durant sept ans. Mais quelques secondes plus tard, le but du 3-2 est oublié : à la 86e minute, le grand, l’immense Sebastian Kehl est remplacé, et reçoit une standing ovation digne de ce nom. Norbert Dickel, ancien joueur devenu speaker du BvB, fait scander trois fois le nom de famille du numéro 5. Le Westfalenstadion gueule à s’en péter les cordes vocales. Les minutes défilent, un message apparaît sur les écrans du stade : « Chers fans, restez à vos places au coup de sifflet final pour le départ de Jürgen Klopp et Sebastian Kehl. »

Les larmes de Klopp et Kehl

Évidemment, lorsque l’arbitre Manuel Gräfe donne du sifflet, tout le monde s’exécute et se lève comme un seul homme pour célébrer ses héros. La qualification en Ligue Europa est acquise, mais là n’est pas le plus important. Le taux d’adrénaline, déjà haut, ne cesse de grimper. Jeunes et vieux applaudissent si fort que les mains deviennent de véritables steaks. « JÜRGEN KLOPP, JÜRGEN KLOPP, JÜRGEN KLOOOPP ! » Les joueurs se mettent en ligne devant la « Süd » , le coach tire sa casquette et fait plusieurs révérences aux fidèles parmi les fidèles. S’ensuit un premier tour d’honneur, conclu par un sprint et le fameux poing serré qui fait lever les bras du Mur Jaune.

Toute l’équipe se tient la main et jubile avec la Südtribüne. Comme un symbole, Jürgen Klopp est à côté de Nuri Şahin, le premier dont il a exploité tout le potentiel, et dont il a fait le joueur de l’année 2011. L’émotion est palpable. Les larmes, discrètes, mouillent les yeux du coach, qui sait déjà ce qui va lui manquer. Les glandes lacrymales de Sebastian Kehl fonctionnent elles aussi très bien à l’heure de se retrouver face aux 24 500 supporters debout. En 13 saisons et demie, le numéro 5 a tout connu : les trophées, les joies de l’Europe, mais aussi les mauvais classements, et un club qui a failli mettre la clé sous la porte. Ce sont toutes ces images de joie et de tristesse qui traversent l’esprit du capitaine du BvB au moment de faire ses adieux. Un capitaine porté en triomphe, de manière un peu maladroite, mais un peu à l’image du joueur : même quand il n’est pas là, Sebastian Kehl est quand même là.

Dernière mission : Berlin

Entre les jubilations et les tours d’honneur, le discours pré-enregistré du coach, qui ne voulait pas parler avec des trémolos dans la voix. Un discours dont chaque supporter pouvait deviner chaque mot : évidemment, Jürgen Klopp a apprécié ses sept ans passés à Dortmund. Évidemment qu’il reviendra. Mais avant de parler de l’avenir lointain, il faut se concentrer sur l’avenir proche. Quand Sebastian Kehl quitte la pelouse sur une ultime haie d’honneur, les « Berlin, Berlin, wir fahren nach Berlin » déboulent des travées du Westfalenstadion. Il reste une dernière mission à accomplir à Jürgen Klopp : ramener la Coupe à la Borsigplatz, dans le centre-ville de Dortmund. Pour que la fête soit totale. Et pour qu’une fois de plus soit célébré l’ « Echte Liebe » , l’amour véritable.

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