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On était à la Coupe du monde de football en pente
Du dénivelé, de l'alcool, et des équipes motivées sous le soleil bordelais : la 3e édition de la Coupe du monde de football en pente a battu son plein dans le parc de Cenon. Montées d'adrénaline garanties.
« La Fédération internationale de football incliné (FIFI) existe depuis 2014, dans le seul but de se marrer. » Postée en haut de la butte qui surplombe deux petits terrains de foot en pente, Charlotte Hüni, l’autoproclamée présidente de cette Fédération qui n’a rien d’officiel, ne boude pas son plaisir. Il est 16h, ce dimanche 3 juillet, et le soleil assomme le parc Palmer de Cenon, en banlieue bordelaise, où la troisième Coupe du monde de foot en pente touche à sa fin. Face à elle, le tableau gribouillé à la main affiche les deux équipes qui s’affronteront en finale d’une compétition débutée sept heures auparavant : les Shaladais et le Géniforce. Soit l’élite d’une bande de forçats répartis en seize équipes venues tester ses mollets sur des terrains de 30 x 15 mètres, tracés dans une pente à 10%. Une idée folle, que la jeune quadragénaire explique très simplement : « On voulait que les gens viennent dans ce parc autrement que pour profiter de tous les équipements sportifs officiels dont il dispose, simplement pour pique-niquer ou se détendre. On a hésité entre la pétanque à boules carrées ou le foot en pente, et c’est le foot en pente qui l’a emporté, se marre l’organisatrice, avant d’avouer que sa culture foot est assez limitée. Tout ce dont je me souviens, c’est que quand on était petits, on posait des cartables et des blousons par terre, et ça faisait des buts. Ici, on n’est pas loin de ça. » Sauf que les buts sont bien réels, et les matchs disputés à six contre six en deux mi-temps de cinq minutes, avec un seul remplacement autorisé, demandent une sacrée condition physique.
« Il y en a qui mettent des coups »
« Nique sa mère, j’te jure, quand on a seize ans on les nique. » Le physique, c’est justement ce qui a manqué aux Funambules, emmenés par Axel et sa bande de potes de treize-quatorze ans, sortis en demi-finales par des Shaladais qui ont fini leur croissance il y a un bout de temps. Car même épaulés par Eric, tout juste cinquantenaire, et quelques anciens, les gamins n’ont pas fait le poids face à la puissance adverse, même s’ils affirment que « le plus dur, c’est la technique. C’est chaud, parce qu’il y a des trous partout, on ne peut pas dribbler. La pente, on l’oublie quand on est dans notre match, on joue juste au foot entre potes. » L’ambiance a beau être amicale, les ados n’ont pas oublié de se munir de protège-tibias. « Parce qu’il y en a qui mettent des coups. » Parmi ces « mecs qui mettent des coups » , on retrouve les Dauphins du Mékong. Clairement l’équipe qui a ambiancé la journée, tout en finissant à la position assez obscure de « meilleure quatrième » , que Pascal, le capitaine, tente de définir : « On n’était pas mal partis, avec deux matchs nul, puis on a décidé d’attaquer un peu sur le troisième match, et on a pris 4-0. Mais surtout, on n’a pas étudié le règlement, on ne savait pas qu’on pouvait être qualifiés avec un autre nul. On peut parler d’erreur administrative de notre part. Mais tout cela s’est bien fini, après un coup de pression à l’organisation, qui nous a finalement repêchés. » Le récit est épique, mais perturbé par la sono, qui lance la cérémonie d’ouverture de la finale.
Au milieu de la butte qui sert de stade, deux rangées de choristes prennent places, microphones posés devant eux, pour interpréter en canon des chants de supporters revisités à la sauce vaguement lyrique. Au milieu d’eux, une personne vêtue d’un costume en fourrure bleue, à mi-chemin entre un Télétubby sous acide et BenGi, la mascotte des Girondins, exécute une chorégraphie visiblement très étudiée, bien que peu lisible. Le volume de la sono, poussé à fond, happe littéralement toute l’assemblée, qui n’a d’autre choix que d’assister à cet étrange spectacle, dont on ne sait s’il tient plus de la performance d’art contemporain ou de la kermesse de fin d’année d’une classe de CM2. Au bout de longues minutes d’une représentation qui ne provoquera que peu d’applaudissements, il est temps pour les membres des Dauphins du Mékong de reprendre le récit de leur journée à Cenon. « Au début de la compétition, on a essayé de manger des oranges avant les matchs, mais ça ne fonctionnait pas trop. Puis vers 10h ce matin, on est passé au whisky, et c’est vrai que ça marche mieux, cela permet d’oublier la pente » , explique Pascal en montrant fièrement le logo de son équipe, surplombé par trois étoiles. « D’après ce qu’on a compris, plus une équipe a d’étoiles sur son maillot, plus elle est forte. Trois, on trouvait ça bien. On a choisi ce nom d’équipe, parce que Mickaël, le philosophe de l’équipe, aime bien les dauphins, une espèce protégée. Et Mékong est un petit village du Cameroun, le pays d’où vient « la Pépite », notre dernière recrue. » Imparable. Mais au fond, qu’a-t-il manqué à la joyeuse bande pour aller plus loin dans le tournoi ? « La technique, répond sans hésiter Maxime, dit « l’artiste » . On n’est pas footballeurs, donc on joue tout au physique et au vice. On peut baisser le short d’un mec sur un corner, par exemple. Notre plus belle victoire, c’est ce 4-0. Contre une équipe de filles, OK, mais il n’y a pas de petites adversités. » Et Vincent, dit « le Musicien » , d’ajouter sans aucune honte : « C’est vrai que j’ai joué dur contre les filles. »
Tee-shirts JPP et coupe en plastique
Sur le terrain principal – celui qui a le moins de trous –, c’est enfin l’heure de la grande finale. Une rencontre que les Shaladais, qui débutent en attaquant côté montant, plient dès la première période grâce à un doublé d’Anthony, leur attaquant de pointe et capitaine. « Un doublé en finale de la Coupe du monde de foot en pente, il n’y a rien de plus beau, jubile le buteur, après un match finalement gagné 3-0. C’est l’apothéose de ma carrière, je réfléchis à m’arrêter là-dessus. » La bande de potes, qui défend d’ordinaire les couleurs de l’US Illats, dans le district des Graves, peut clore la journée en soulevant la coupe en plastique vert, et en brandissant les T-shirts signés Jean-Pierre Papin promis aux vainqueurs. Charlotte Hüni, de son côté, pense déjà à une édition de la Coupe du monde de foot en pente sur la dune du Pyla. D’ici là, Axel et ses potes auront peut-être seize ans.
Par Mathias Edwards et Raphael Gaftarnik, à Cenon