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On était à… France-Portugal du 26 avril 1975
Depuis dix matchs, la France a toujours battu le Portugal, en amical comme en matchs de compète. La belle série ! Pourtant, il y a onze matchs, les Bleus avaient perdu à dom' contre le Portugal (0-2). C'était le samedi 26 avril 1975. Un souvenir de fin du monde…
On avait appris la bonne nouvelle à la radio. Ou bien était-ce à Stade 2, par la voix de Robert Chapatte : l’équipe de France jouera « son prochain match amical contre le Portugal le samedi 26 avril au stade de Colombes » . Quoi ? « Stadedecolombe » ? Mais c’est chez nous, ça ! Super. D’abord parce qu’on habitait cette ville magnifique des Hauts-de-Seine – on disait pas encore le 9-2 – et que surtout, c’était le retour des grands matchs de foot dans ce stade mythique qui avait été supplanté depuis 1972 par le nouveau Parc des Princes. Tout se passait là-bas désormais, à la porte d’Auteuil, trop loin, trop cher, trop Paris : finales de Coupe de France, matchs de l’équipe de France de foot et du XV de France… Même le nouveau PSG naissant avait un moment envisagé de jouer au Stade de Colombes. Rumeurs, mais on y croyait. Les salauds ! Plus de foot à Colombes, chez toi, chez moi, chez nous quoi… Alors quand on a appris que l’équipe de France allait venir jouer « ici » , ce fut Byzance. La place n’était pas chère (10 francs ?), mais on savait comment resquiller. Il faut dire que le vieux stade troué de partout tombait en ruine et que la sécurité à l’époque se limitait à quelques dizaines de képis vite débordés.
Ce samedi aprèm’ on avait fait le mur un peu avant les hymnes, prêts à en prendre plein nos yeux de préados de 5e. Sauf que… Cette équipe de France était nulle. Et le pire, c’est qu’on le savait. En avril 1975, le foot français, c’était un peu la D2 du foot européen : nul en clubs dans les Coupes d’Europe (aïe-aïe-aïe le 6-0 pris par l’OM à Cologne deux ans avant !) et nul en sélection. Depuis la Coupe du monde 66 où ils avaient giclé au premier tour, les Bleus avaient manqué l’Euro 68, le Mundial 70, l’Euro 72, la Coupe du monde 74 et étaient en passe de se faire éliminer en qualif’ de l’Euro 76. Après la défaite en Belgique (2-1) et le nul au Parc face à la RDA (2-2), la France était mal barrée : on le savait, mais on espérait. Et pourtant… Le sélectionneur de l’époque était l’immense Stefan Kovács, un Roumain bon comme un abbé, qui parlait bien le français et qui fumait comme un volcan sur le banc de touche. Accessoirement, il avait coaché l’Ajax en remplaçant de Rinus Michels et gagné avec les Amsterdamers la C1 1972 et 1973, ainsi que l’Intercontinentale 1972… Il était arrivé à la tête des Bleus en sauveur en septembre 1973. Son contrat avait, paraît-il, coûté bonbon à la FFF, mais on était tellement nuls qu’il fallait bien raquer la compétence. Seulement, le bon vieux Stefan n’aura pas pu faire grand-chose, à part lancer des jeunes. Un bon point que son jeune assistant, et successeur, un certain Michel Hidalgo, poursuivra avec succès…
Un an après la révolution des Œillets
Mais ce samedi 23 avril, on était résignés à voir une petite équipe de France qui baignait dans la lose depuis trop longtemps. C’est simple : à l’époque, un footeux français débarquait sur la pelouse avec un but de retard dans la tronche. Platoche changera toute cette mentalité de perdant un an plus tard. Mais là, en avril 75, c’est le néant absolu. Bien sûr, les Verts commencent à faire bouger les choses. D’ailleurs, trois jours plus tôt, ils ont commis l’exploit de disputer une demie de C1 ! Contre le grand Bayern. Mais le 0-0 à Geoffroy-Guichard laisse augurer un retour difficile en Bavière. Mais on y croit à mort quand même…. Devant le pitoyable France-Portugal qui se dispute sous nos yeux, on pense fort à « Saintétienne » . On y pense d’autant plus qu’il n’y a aucun Vert parmi ces Bleus, retenus qu’ils sont par leur club pour bien préparer la manche retour, à Munich. Le match est pitoyable parce que le Portugal aussi est nul. L’immense Eusébio a quitté la Selecção à l’automne 1973. Depuis c’est l’hiver. Comme pour la France, le Portutu a zappé toutes les grandes compètes depuis la World Cup 1966 (troisième place, quand même !) Les supporters portugais sont évidemment majoritaires parmi les 30 000 spectateurs. Les joyeux exilés de l’immigration économique des années 60 mettent l’ambiance au point que les Bleus jouent à l’extérieur. Et puis les Portus sont gais, vu qu’ils célèbrent le premier anniversaire de leur révolution des Œillets qui a mis fin à la dictature de Salazar. Mais il faut se rendre à l’évidence : ce Portugal est aussi nul que cette France.
À l’époque, le footballeur lusitanien était à l’image de la caricature qu’on se faisait des Portugais : petits – la plupart – et moustachus. La mode seventies fait qu’ils sont aussi comme tous les autres footeux : en cheveux longs. Certains portent la barbe, un truc à la fois hippy et à la fois « révolutionnaire » , à l’image des soldats souvent « barbudos » qui avaient été les premiers adversaires de la dictature en avril 1974… Au milieu de cette Selecção pas terrible, on distingue quand même un petit milieu de terrain très jeune et pas mauvais du tout. C’est João António Ferreira Resende Alves, dit João Alves. Ce milieu de poche porte des gants noirs. Toujours. Oui, oui : comme le futur « Soulé » Diawara ! C’est troublant, ces gants noirs. À l’époque, ces gants noirs renvoient encore au « vieux Portugal » : le noir des habits des femmes, la religion, la tristesse, l’effacement… João Alves viendra jouer au PSG en 1979, apportant sa touche technique lusitanienne dans la mosaïque afro-antillaise et rebeuh (Dahleb) d’un Paris Saint-Germain devenu tout à fait viable en D1. Outre João Alves, il y a d’autres joueurs un peu connus, comme le milieu benfiquiste Toni (futur grand coach du Benfica, et un peu des Girondins) ou le grand défenseur benfiquiste, lui aussi, Humberto Coelho (il jouera également au PSG en 75-77). Et puis il y a Nenê ! Mort de rire, ce nom-là. Nibards, soutif et tout le tintouin… Ce très bon attaquant du Benfica, lui aussi, nous fera nettement moins rire en demie de l’Euro 84 à Marseille quand le Portugal mènera 2-1 en prolong’ contre la bande à Platoche. Morts de peur, qu’on était.
« Pas un honneur, mais une gifle de rentrer à deux minutes de la fin »
Et les Bleus ? Ben, c’est là que c’est intéressant. Sur le papier, il y a des bonnes individualités : le duo Adams-Trésor en défense centrale est pas mal du tout ; au milieu, on a deux très bons stratèges comme les Nantais Henri Michel et le Niçois Jean-Marc Guillou, bien soutenus par un bon Jean-Noël Huck qui complète bien ce midfield. Mais c’est à peu près tout. On le répète : même en y rajoutant quelques Verts (Larqué, Bathenay, Lopez, Janvion), ces Bleus finiront dans le fossé, éliminés pour l’Euro 76. Le mental tricolore est encore trop mazouté par la lose… Et ça se traduit sur le terrain par deux buts idiots, sur deux pertes de balle, sur deux contres pas si rapides, sur deux erreurs défensives : la totale ! En première mi-temps, Nenê profite à la 21e d’un centre venu de la droite complètement cafouillé par Marius Trésor et son gardien René Charrier (remplacé à la pause par Baratelli, faut pas déconner !) Ce but consternant fait la joie des supporters portugais qui se contentent de peu. Normal. En deuxième mi-temps, une perte idiote de Jean-François Jodar sur le côté droit envoie Marino crucifier le pauvre Baratelli en frappe lobée (64e). La-men-table ! On touche le fond avec l’entrée surréaliste du remplaçant de Jodar, Bernard Boissier, à la 89e. Boissier ne jouera qu’une minute en Bleu, un record battu par ce fou de Franck Jurietti quelques années plus tard. De nos jours, des coachs font parfois entrer des joueurs dans les ultimes moments de matchs où ils cherchent à gagner du temps : l’entrant joue ainsi très peu, une minute ou deux. C’est de bonne guerre et l’entrant n’en prend pas ombrage. Sauf qu’en 1975, de surcroît dans un match amical, la minute en Bleu de Boissier est légitiment perçue par tous comme une offense. « J’ai joué exactement deux minutes. Cela dit, je ne l’ai pas ressenti comme un honneur, mais comme une gifle. Je n’ai pas compris M. Kovács. Faire entrer un joueur sans raison valable à deux minutes de la fin d’un match, c’est se moquer de lui » , témoignera le bon vieux Bernard Boissier dans le France Football du 29 janvier 1980.
Et les Verts perdent à Munich…
Le match s’achèvera sur un 2-0 minable, dans un match minable joué par des Bleus minables dans un stade minable. Une envie de gaz, de corde, d’arsenic ou de flingue… On est nuls. C’est désespérant. Un petit Portugal tout en blanc linceul a battu une petite France. D’ailleurs, la France éliminée pour l’Euro 76 laissera partir un Stefan Kovács usé et vaincu par la lose française fin 1975. Deux ans pour pas grand-chose. Snif. Mais qu’est-ce qu’on a de grand en France, à part le Concorde ? D’autant que le chômage de masse s’étend et que Léon Zitrone ne veut pas lâcher le micro… Au secours ! Faites quelque chose ou sinon on va supporter ces clubs anglais fantastiques qu’on découvre tous les dimanches dans la rubrique « les buts étrangers » sur Stade 2 ! C’est foutu. On est nuls. Tiens ! Même Sainté se fera sortir par le Bayern en demie retour : 2-0 ! Saloperie. Parce que, cette année, la finale de C1 se déroulait au Parc et qu’on aurait bien voulu y voir nos Verts. C’est d’ailleurs pour préserver la pelouse pourrie du Parc des Princes qu’on a « délocalisé » ce France-Portugal à Colombes. Les archéologues du foot sont pratiquement tous tombés d’accord pour situer ce France-Portugal du samedi 26 avril 1975 comme le fond du trou du football français. Un trou noir comme la Mort. Pour l’anecdote, le journal L’Équipe signera un édito en français et en portugais après le match. L’histoire ne dit pas si c’était un édito sous forme de faire-part de décès ou bien sous forme d’un rapport d’autopsie…
Par le jeune Chérif Ghemmour