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On était à Casablanca pour la finale de la Ligue des champions africaine

Par Alexandre Doskov, à Casablanca
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On était à Casablanca pour la finale de la Ligue des champions africaine

Samedi soir, le Wydad de Casablanca a remporté le deuxième titre de champion d'Afrique de son histoire dans un stade Mohammed V complètement taré. Entre une vente de billets désordonnée, des cafés qui se préparent à faire salle comble, un match de mauvais garçons et une victoire finale aux forceps, c'est toute la ville de Casablanca qui a vécu dans la fièvre pendant quelques jours.

Posté au milieu d’une longue avenue sablonneuse de l’Ouest de Casablanca, Ali fixe la foule. Il est le seul de l’assistance à avoir une énorme paire de Ray-Ban Aviator sur le nez, à fumer sa cigarette comme un cow-boy et dont le talkie-walkie fait une grosse bosse sous son polo rose. Mais chut, personne ne doit savoir qu’il est policier en civil. De toute façon, Ali peut se faire griller tant qu’il veut, quelques dizaines de ses collègues sont dans les parages. « Environ soixante » fanfaronne-t-il. Certains sont comme lui, en civil, radio mobile planquée au font de la poche. D’autres honorent l’uniforme et patrouillent lentement, arme à la ceinture et sourcils froncés, devant les murs roses et les grilles rouges du complexe Mohamed Benjelloun. Toute la journée, le siège du Wydad – club le plus titré du pays de Mohammed VI – va être assiégé par des milliers de supporters venus arracher leur ticket pour la finale de la Ligue des champions africaine du lendemain. Le bouquet final d’une vente de billets apocalyptique, qui aura duré quelques jours et qui a conduit à des scènes de chaos devant les guichets.

Mais ce vendredi 3 novembre, Ali peut tirer sur sa cigarette sans s’affoler, la foule est disciplinée. La file avance lentement, certains feront la queue pendant plusieurs heures, mais tout le monde sera servi puisque seuls ceux ayant réservé leur place en ligne sont présents. « Aujourd’hui, c’est seulement les gens qui ont commandé sur internet, enchaîne Ali alors que quelques fans lancent un chant pour passer le temps. Les ventes au guichet sont terminées depuis avant-hier. » Mais en ville, les rumeurs tournent. On entend que la Fédé s’apprête à mettre 15 000 billets supplémentaires en vente, ou encore que le Wydad va faire entrer quelques milliers d’ultras sans tickets. Seule certitude : le stade Mohammed V sera plein à craquer et prêt à exploser.

Une grande vache

La fièvre dépassé les murs des lieux de vie du WAC (Wydad Athletic Club) pour se répandre sur le reste de la ville la plus peuplée du Maroc. Car pour remporter son deuxième titre continental, le Wydad cravache depuis sa victoire de 1992, un temps que les moins de vingt-cinq ans ne peuvent connaître. Revenu du match aller à Alexandrie avec un solide 1-1 dans les bagages (la finale de la CAF Champions League se joue en deux matchs), le club est clairement en ballottage favorable pour mettre KO Al Ahly, l’ogre égyptien huit fois champion d’Afrique. Dans les quartiers anciens de Casablanca, les amateurs de contrebande au portefeuille solide peuvent trouver des places au marché noir s’ils acceptent de lâcher quelques mois de loyer.

« Normalement, une place de match coûte trente dihrams (environ trois euros, ndlr). Là, ça monte à plus de 400 dihrams » , pleure un client du café Sabrine, petite terrasse animée coincée entre les vendeurs ambulants. Le patron du rade, lui, est dans un état proche de l’extase et a déjà tout prévu : « Demain, je vais mettre un écran géant à l’extérieur. Tout le monde va venir, toute la place sera remplie. » Et si le Wydad l’emporte ? « Il va célébrer en égorgeant un mouton devant le café » , annonce un client, rapidement balayé par le chef : « Un mouton ? Non. Si on gagne, je vais égorger une grande vache. » Et au milieu des projets d’abattoir et des concerts de pronostics, les seuls à faire la gueule sont logiquement les fans du Raja, l’autre club de la ville, qui osent tout de même se balader ça et là avec les couleurs vertes de leur équipe.

Klaxons à l’hôtel

Les fans du Wydad, de leur côté, ont déjà repeint la ville en rouge. À quelques rues du port, les murs de l’ancienne médina sont drapés d’un gigantesque maillot de quinze mètres de haut. Un peu plus au sud-ouest, sur les routes qui mènent au stade Mohammed V, des groupes de supporters s’agglutinent le long des bâtiments. Retranché derrière les remparts vétustes de l’arène, à un peu plus de 24 heures du coup d’envoi, le directeur du stade regarde le spectacle et commence déjà à paniquer. « Demain, ça va être très dur. Il y aura au moins 80 000 personnes dehors. » La veille, un homme a été tué en pleine rue à Marrakech dans un règlement de comptes, ajoutant au stress de ceux censés maintenir l’ordre.

Mais en attendant la folie du match, les hostilités commencent par une conférence de presse organisée dans un chapiteau dressé à la hâte contre le stade comme pour un mariage, dans une odeur abominable de peinture fraîche et de produits d’entretien qui filent des cancers. Scrutés par le portrait du roi du Mohammed VI placé sur l’estrade, les entraîneurs d’Al Ahly et du Wydad se succèdent pour livrer la soupe habituelle de ce genre d’exercice, avant de s’éclipser pour passer leur dernière nuit avant la grande bataille. Un dernier dodo forcément compliqué pour les Égyptiens, qui ont passé la nuit à supporter les klaxons des petits malins nichés sous les fenêtres de leur hôtel. Sauf que les Casablancais ont beau faire les fiers, répéter à tout bout de champ qu’ils sont confiants, que le match est déjà plié et que le plus dur a été fait à l’aller, une fois samedi arrivé, une tension évidente s’empare de la ville.

Abraracourcix pour lancer les chants

Au milieu d’une circulation follement dense, même les policiers oublient de gérer le trafic, sans qu’on sache si cela est dû à l’angoisse ou à la flemme. On apprend également que le roi ne sera pas présent, et un ancien chauffeur de taxi nommé Toufik donne l’astuce pour savoir si le king est en ville ou non : « Quand le roi est là, les policiers portent des gants blancs. » Soit. Le stade, lui, est déjà plein trois heures avant le coup d’envoi et attend patiemment le coucher du soleil et le coup d’envoi dans un vacarme démentiel, tandis que dans les couloirs, les policiers en service depuis le petit matin tuent le temps et récupèrent en s’envoyant des siestes dans leurs armures d’intervention.

Du côté du virage Nord, le kapo est porté sur les épaules de quatre camarades comme un Abraracourcix sans bouclier. Un spectacle auquel assistent quelques célébrités pas toujours dans leur élément, mais invitées sur le terrain par les partenaires de la CAF, comme la starlette égyptienne Shimaa Saber, qui envoie son paquet de selfies duckface, ou encore le rappeur local Dizzy Dros. Le premier coup de sang arrive au moment où débarquent les fans d’Al Ahly, venus par petites dizaines et envoyés dans un parcage improbable et potentiellement hyper dangereux, simplement séparé des Wydadis du virage Sud par des cordons de policiers. Dans un vacarme indescriptible, au milieu des pétards, des bouteilles d’urine balancées sur la piste d’athlétisme qui cercle la pelouse, des fumigènes et des rouleaux de tickets à carte bleue balancés pour faire des rubans, le match peut enfin démarrer.

Merci aux ramasseurs de balles

Comme on pouvait s’y attendre, personne n’avait apporté de fleurs. Les joueurs posent les bases d’un match de bouchers dès le début, les tacles ne visent pas le ballon, le WAC démarre en se faisant bouffer par un Al Ahly obligé de marquer, et le public continue de brailler avec une puissance inouïe. À la mi-temps, le score n’a pas bougé, et les esprits peuvent continuer à chauffer. Les débuts de bastons s’enchaînent, les cartons aussi. À la 69e minute, après un débordement furieux de Bencharki, El Karti récupère le centre de la tête et ouvre le score. Au top de la déontologie, les photographes de presse sur le bord du terrain lâchent leurs appareils pour courir dans les bras du buteur qui célèbre devant un virage Sud qui a basculé dans le délire.

La fin du match n’y changera rien, le Wydad résiste en étant bien aidé par les ramasseurs de balles tous fans du club et qui font tout pour rendre fou Al Ahly en rendant les ballons en retard, loin du joueur, ou en en balançant deux sur le terrain pour faire perdre du temps. Après une cérémonie de remise du trophée en forme de grand n’importe quoi, la coupe est embarquée dans le vestiaire du WAC où à peu près n’importe qui peut aller se prendre en photo avec. Une folie furieuse qui a envahi le reste de la ville, où des milliers de voitures zigzaguent drapeau du Wydad au vent, dans un brouhaha de klaxons assourdissant. Du bruit, des cris, de la musique, du rouge partout, des rues impossibles à arpenter en voiture… La médina et la corniche sont de loin les lieux les plus assaillis. Deux mille kilomètres plus au nord, même les Champs-Élysées parisiens finissent bloqués par les expatriés marocains. Bref, encore une nuit où trouver le sommeil a dû être compliqué pour les gars d’Al Ahly.

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Par Alexandre Doskov, à Casablanca

Props recueillis par AD

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