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  • Reportage

On était à Berlin-Ouest

Ali Farhat et Julien Méchaussie, à l'Olympiastadio
7 minutes
On était à Berlin-Ouest

Berlin, c'est hype, qu'ils disent. Berlin, c'est la place où être, qu'ils disent. Meilleurs clubs électro et DJ résidents, musées dans tous les sens, vie pas chère et esprit libertaire. Voilà les ingrédients pour attirer les hipsters du monde entier. Et le foot dans tout ça ? Bah, c'est pas folichon. Seule capitale des championnats majeurs à ne pas compter de club parmi l'élite, le foot berlinois déprime. On a quand même fait le Mur et on est allé voir ce qui se passe à l'Ouest, du côté du Hertha.

Dès qu’on monte les escaliers pour sortir de la station de U-Bahn, le métro local, on tombe sur un étal qui vend des T-shirts bien énervés, avec des messages du type : « Deutscher nach Geburt – Herthaner durch die Gnade Gottes » (Allemand de naissance – Membre du Hertha par la grâce de Dieu), « Gott mit uns – Wir gegen alle » (Dieu avec nous – Nous contre tous) ou encore « Kniet nieder, ihr Bauern – Die Hauptstadt ist zu Gast » (À genoux, bande de paysans – La capitale est votre invitée). Le tout écrit avec de jolies lettres gothiques. Un accueil chaleureux, somme toute. Il ne faut pas pour autant faire l’amalgame : des déclinaisons de ces T-shirts existent dans tout le pays. À la sortie de la gare, deux cabanes en bois se font face. Des échoppes qui permettent aux premiers affamés et assoiffés de se remplir la panse. La bière Berliner Kindl est de la partie, bien sûr, ainsi que le Glühwein (vin chaud) de saison. Quant à la Wurst, elle est classique, elle dépasse de son petit pain et est copieusement arrosée de ketchup et/ou de moutarde.
Construit en 1936 pour accueillir les Jeux olympiques d’été et rénové pile à l’heure pour la Coupe du monde 2006, l’Olympiastadion et ses alentours ont gardé des traces de son passé. Le visiteur d’un soir devine rapidement la mégalomanie national-socialiste avec cette très large allée sous les arbres qui débouche sur une route à trois voies. Le match se déroulant en semaine à 20h15, les supporters n’ont pas eu le temps d’ingurgiter leur ration de bière habituelle. Du coup, l’ambiance d’avant-match est assez morne. Le faible taux d’alcool dans le sang des 34 000 spectateurs présents se fait ressentir.

« Tu kiffes les bonhommes ou quoi ? »

La grande place située devant l’entrée principale du stade offre tout de même assez de place pour finir tranquillement sa binouze achetée à la sortie du métro. L’occasion d’admirer les cinq anneaux olympiques qui trônent encore aujourd’hui devant l’enceinte. La pluie et les premiers froids du long hiver berlinois n’effraient pas vraiment les fans du Hertha. Les portiques passés, place à la fouille traditionnelle. Jambes et bras écartés, ça tâte de partout. Même la capuche et les cheveux, on ne sait jamais. Une fois le devant passé au peigne fin, on propose de se retourner pour faire le dos. C’était sans compter sur l’humour berlinois, connu pour être l’un des plus cassants d’Allemagne. Sanction immédiate de la part du stadier : « Tu kiffes les bonhommes ou quoi ? » Sur ces belles paroles, la fouille prend fin brusquement.

Bizarre. En même temps, tout ce qui peut paraître étrange, c’est un peu la norme au Hertha. Un club qui a gagné deux championnats dans les années 30. C’est tout. Même pas une Coupe d’Allemagne. D’ailleurs, la dernière fois que le club a joué la finale de la DFB-Pokal, c’était en 1993. Et encore, c’est l’équipe réserve (car les « Amateure » avaient eux aussi le droit de participer à la compétition, à l’époque) qui s’était courageusement hissée jusqu’en finale, qui sera remportée par le Bayer Leverkusen. L’équipe première, elle, s’était fait sortir en quarts par… le Bayer Leverkusen. « Die Alte Dame » , la vieille dame comme on l’appelle ici, a beau avoir la peau toute fripée, elle possède de bonnes infrastructures, un stade magnifique (qu’elle ne remplit jamais) et la crème de la crème des sponsors : Nike, Deutsche Bahn, Air Berlin, Coca Cola, Audi, Carlsberg. Bref, il y a bien là de quoi organiser un Euro ou un Mondial. Alors ok, Berlin est un marché intéressant pour les investisseurs, mais le Hertha ne pèse rien sur la balance de la Bundesliga. Sportivement, le club fait l’ascenseur depuis quelques saisons, c’est le boxon en coulisses et le directeur sportif Michael Preetz n’a pas l’air plus inquiet que ça. Le club a beau descendre en 2.Bundesliga, les cadres sont encore là. Bref, ce club est un mystère.

12 minutes et 12 secondes de deuil

Toutes les grandes villes allemandes ont une équipe – voire deux – qui transcende la cité. À Berlin, aucune trace de cette tradition. Le Hertha reste le club de l’ancien Berlin-Ouest. Qu’il soit en première ou deuxième division, la ville s’en tape. Les journaux berlinois se gaussent régulièrement de cette frigidité dès qu’il s’agit du Hertha. Public de beaufs, en majorité masculin et agressif, des fans qui ne chantent que lorsque l’équipe tourne bien, etc, sont quelques-uns des clichés qui font corps avec la vieille dame. Niveau ambiance, difficile de juger sur pièce ce soir. Mouvement lancé lors de la journée précédente, tous les ultras des clubs professionnels allemands se sont mis d’accord pour la fermer. 12 minutes et 12 secondes. En référence au 12 décembre prochain, date à laquelle la Ligue professionnelle rendra un rapport pour sécuriser les stades. Au programme, suppression des places debout et Algeco pour effectuer des fouilles au corps, entre autres. Pour les ultras, la mort de leur football. Mais après ce long moment de silence, c’est l’explosion dans la Ostkurve, LE virage de l’Olympiastadion. Un tifo s’étire lentement sur tout le virage. Une croix barrée de la date 12.12.2012 qui transperce un ballon, avec pour seul texte : l’enterrement du football.

En soi, la rencontre n’est pas plus intéressante que ça. Kevin McKenna ouvre le score de la tête pour Cologne suite à un service de Mato Jajalo à la 34e minute. Ronny égalisera dix minutes plus tard pour le Hertha après plusieurs feintes qui ont fait danser les défenseurs du « FC » . Rien d’autre. Le spectacle offert par les joueurs n’excite pas plus que cela les supporters. Quelques courageux, qui ont eu le temps de se mettre bien avant le match, vocifèrent à intervalles réguliers des charmants « Deine Mutter ! » (Ta mère !), sans que l’on sache vraiment à qui ils s’adressent. Il faut dire que la DFL a pris quelques mesures. Les supporters du Hertha et de Cologne ayant été classés parmi les plus dangereux suite aux événements de la saison dernière (lors des matchs Fortuna Düsseldorf-Hertha et Bayern-Cologne), la teneur en alcool du houblon servi ce soir est plus faible qu’à l’accoutumée. Du coup, on ferme les yeux très fort et on se met à penser à tous les événements marquants qui ont eu lieu ici : le poing levé de Jesse Owens, le coup de boule de Zinedine Zidane, le record d’Usain Bolt. Sans oublier Alex Alves et son but de l’année 2000. Un lob de 50 mètres, face au 1.FC Cologne justement. Alex Alves qui a été emporté par une leucémie à la mi-novembre.

Des ultras qui marchent ensemble

Apparemment boostés par l’action « 12:12 » , les Herthaner donnent de la voix et font mentir leurs détracteurs. Ils enfilent les chants comme des perles avec du gros db. La seconde mi-temps reprend dans une belle ambiance, mais moins bruyante qu’en première. Et pour cause, de part et d’autre du stade, on s’affaire. Il y a des banderoles à déplier, des messages à faire passer. Et c’est à ce moment qu’intervient toute la créativité à l’allemande. « Ob der Gegner Bayern oder Aalen heisst… » (Que l’adversaire s’appelle Bayern ou Aalen…), exhibent les Harlekins de la Ostkurve ; « Gästeblock zum gleichen Preis » (Le parcage visiteurs au même prix), sort la Wilde Horde de Cologne. Avant que des deux côtés n’apparaisse le même texte : « Volkssport Fussball ist für alle Schichten da ! » (Ce sport populaire qu’est le football est là pour toutes les couches sociales). Boum, trois messages en quatre tifos. Une coordination juste géniale, un travail main dans la main qui se finit par des « Scheiss DFB » (Fédé de merde !) renvoyés par les deux tribunes. Si le 21 décembre est synonyme de fin du monde chez les Mayas, les ultras voient en la date du 12 décembre la fin de LEUR monde. Toutefois, les supporters de Cologne ne perdent pas le Nord et enchaînent très vite par des « Berlin, Berlin, wir scheissen auf Berlin! » (Berlin, Berlin, on chie sur Berlin) sur l’air entonné par les fans dont l’équipe dispute la finale de la Coupe d’Allemagne, qui se déroule chaque année dans la capitale.

Alors qu’il commence à cailler sérieusement, l’arbitre a la bonne idée de siffler la fin du match. Un partout, score final. Le Hertha rate le coche et ne sera pas champion d’automne. Le stade se vide en quelques minutes et le peuple bleu et blanc se retrouve sur les quais du métro. Au fur et à mesure que le train se rapproche de l’ancien tracé du Mur, les wagons se vident. Arrivé à la station Potsdamer Platz, autrefois no man’s land entre les deux Berlin truffé de barbelés, plus aucune trace des Herthaner. Ils sont tous descendus à Zoologischer Garten. L’ancien centre de Berlin-Ouest. Hertha/Härter geht nicht (Plus dur, ce n’est pas possible).

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