- Allemagne
- Reportage
On était à Berlin-Est
Berlin, c'est hype, qu'ils disent. Berlin, c'est la place à être, qu'ils disent. Meilleurs clubs électro et DJ's résidents, musées dans tous les sens, vie pas chère et esprit libertaire. Voilà les ingrédients pour attirer les hipsters du monde entier. Et le foot dans tout ça ? Bah, c'est pas folichon. Seule capitale des championnats majeurs à ne pas compter de club parmi l'élite, le foot berlinois déprime. On a quand même fait le Mur et on est allés voir ce qui s'est passé à l'Est, du côté du 1. FC Union Berlin.
Ex-RDA, fin des années 70. Un club survole le football de l’ancienne Allemagne de l’Est : le Dynamo Berlin. Une époque où les clubs étaient sous la férule de l’armée ou encore de la société des chemins de fer. Le Dynamo était, lui, aux mains de la Stasi, la police politique du régime communiste. En tribune d’honneur, siégeaient les officiers de la sécurité d’État avec leurs enfants, dont Erich Mielke, ministre de la Stasi et président du BFC (Berliner Fussball Club) Dynamo. Plutôt pratique pour engranger 10 titres de champion d’affilée, de 79 à 88. Un club financé directement par le Parti qui est rapidement haï par la classe ouvrière. Et à Berlin-Est, l’équipe du prolétariat, c’est le 1. FC Union, ancré dans le quartier industriel de Oberschöneweide. Délaissé par le régime, Union revêt les habits du petit qui tient tête au Dynamo, donc à Erich Mielke et donc à la dictature communiste. Les jours de derby, quand le Dynamo accueillait Union au Jansportpark, le Mur de Berlin longeait la tribune Nord, le kop du BFC. Quand un coup franc était sifflé pour Union et que se formait un mur, les gars d’Oberschöneweide scandaient « Die Mauer muss weg, die Mauer muss weg! » (virez le mur, virez le mur). Et ça en plein dans la face d’Erich Mielke. Tout le monde savait de quel Mur on parlait, Mielke le premier. Une identité d’underdog qui transpire de partout encore aujourd’hui.
« Quand ta maison menace de s’écrouler, tu fais les travaux toi-même »
Pour basculer à l’Est, il faut prendre la S-Bahn (équivalent du RER) à Ostkreuz et descendre à Köpenick. Les immenses usines et les cheminées qui fument, le froid et la neige font revenir deux décennies en arrière. Les supporters de l’Union aussi. Piercings, tignasses colorées, nuques longues, bidons proéminents et absence des dents de devant pour certains : chaque type a une histoire à raconter. Mais ce n’est pas le moment, l’heure est à vider les bouteilles de houblon avant de se rendre au stade. Il est midi. Pour se rendre à la Alte Försterei (la vieille maison forestière), il faut traverser… une forêt. Logique. Au bout d’une dizaine de minutes à marcher comme un soldat pour ne pas se dégueulasser avec la boue, l’enceinte apparaît. Un petit stade tout mignon, quatre tribunes posées pour accueillir une vingtaine de milliers de spectateurs (un peu moins en ce moment, l’une des tribunes est en travaux), pour qui l’on n’a pas prévu de places assises. En même temps, ce n’est pas vraiment le but. On ne vient pas pour voir un match de foot, on vient supporter l’Union. Il y a bien des sièges dans le Familienblock (coin réservé aux familles), mais quand on voit ce grand-père, le père et son fils qui se tiennent debout, on se dit que cette idée de s’asseoir est quelque peu absurde. Surtout quand on sait qui a sué pour prendre son pied dans ce stade à l’ancienne.
Petit flash-back. Nous sommes en 2008. Le FC Union doit rénover son stade sous peine de perdre sa licence. Et il y a urgence. Les travées des places debout sont recouvertes de mauvaises herbes et le béton se détache de partout. Mais les caisses du club sont vides. Et impossible de se tourner vers la ville, Berlin est endettée jusqu’au cou. Alors on se souvient d’une phrase qui revient souvent à l’Alte Försterei : « Normalement, les clubs ont des fans mais chez nous, ce sont les fans qui ont un club. Alors quand ta maison menace de s’écrouler, tu fais les travaux toi-même » . Des centaines de bénévoles retroussent les manches et se relaient sur le chantier. Les Unioner passent leurs cinq semaines de congés annuels dans leur stade, leur salon à eux. Des millions d’euros d’économisés, une enceinte de 23 000 places et des mecs qui peuvent se tenir bien droit et dire « j’étais là, j’ai construit ma propre place debout » . Cette fierté d’appartenir à la famille se retrouve dans l’hymne du club, gueulé par Nina Hagen, chanteuse mythique du punk est-allemand. Le début de la première strophe met les choses rapidement au clair avec « Wir aus dem Osten… » (nous qui venons de l’Est…). Balancée avant l’entrée des équipes sur le terrain, la voix nasillarde de Nina assure toujours le frisson. Les Unioner ont rajouté une phrase, sous forme de dédicace à la réunification allemande : « Wir lassen uns nicht vom Westen kaufen » (Nous ne nous laissons pas acheter par l’Ouest).
Entre-temps, Christian Arbeit avait fait son show sur la pelouse. L’attaché de presse est aussi le speaker du stade. Cheveux longs, barbe de trois mois, celui qui a un look de métalleux est aussi un sacré blagueur. Et en profite pour se positionner sur le sujet brûlant du moment : l’action « 12:12. Ohne Stimme Keine Stimmung » (Sans voix, pas d’ambiance). « Si on marque durant les 12 premières minutes, ne faites pas la fête. D’ailleurs, ces douze minutes ne vont jamais compter. On les fêtera plus tard » . À Union comme ailleurs, on prend cette histoire de grève très au sérieux. Bien plus qu’ailleurs, sans doute, vu que là, c’est clairement le club qui se positionne en faveur de cette action. De plus, les ultras ont décidé de ne pas participer à la réunion organisée par le DFL le 12 décembre prochain, une réunion qu’ils considèrent comme une véritable mascarade… Ce qui ne les empêchera pas de continuer les actions communes, la grève, mais aussi une marche avec les fans du 1.FC Kaiserslautern en marge du prochain match à domicile. Après quoi Arbeit reprend son travail normal et donne la composition de l’équipe du jour, et chaque joueur se voit gratifier du titre de « Fussballgott » (Dieu du football). Avant de disparaître, Arbeit rappelle à tous : « Und niemals vergessen: Eisern ! » « Union » , répond le public. Trois fois. (Ne jamais oublier : Union de fer/inébranlable).
Les Dieux du football
Le match commence, et des « Chut » se font entendre dans le public. Il ne faut pas faire de bruit pendant 732 secondes. C’est difficile, ça l’est encore plus quand Union ouvre la marque par l’intermédiaire de Markus Karl au bout de trois minutes. Mais globalement, ça tient. Au bout de douze minutes et douze secondes, les 14 373 spectateurs explosent, et Christian Arbeit annonce enfin le nom du buteur. Du côté des supporters de Bochum, une banderole « Fuck DFB » est brandie. Bref, grâce à l’engouement des supporters, la rencontre prend une autre dimension. Zlatko Dedic l’apprend d’ailleurs à ses dépens : pour avoir refusé de reculer sur un coup franc pour Union et pour avoir trop voulu bavarder avec le directeur de jeu, le Slovène de Bochum se prend des « Halt die Fresse » (Ferme ta gueule!) en pleine face. Dedic se vengera quelques minutes plus tard en signant le but de l’égalisation pour le VfL. Le public ne laisse pas le temps à ses joueurs de se décourager et les pousse de plus en plus fort. Les chants sont très variés, et à deux ou trois exceptions près, il n’y a pas de répétition. Seule curiosité notable, ce « Wir sind eure Hauptstadt, ihr Bauern ! » (Nous sommes votre capitale, bande de paysans!) qui ne colle pas vraiment à un club qui ne faisait pas le malin à l’époque où la vie était en noir et blanc.
Un chant dédié au stade
Mi-temps. Il fait soif. Une jeune dame bien charmante malgré son maquillage à la truelle revient de la buvette, armée de plusieurs pintes. Son chemin est bloqué par un gros bide qui exige un bisou pour la laisser passer. Miss waterproof s’exécute sans sourciller, sur la bouche en plus. Opportuniste, un Unioner en manque de tendresse sent la bonne affaire et barre à son tour la voie. Sûr de lui, il veut aussi faire payer le péage. Peine perdue. Il se prend dans ses (rares) dents un « c’était mon père, non mais tu me prends pour qui!?! » . Vive la célèbre repartie berlinoise. Tout cela est bien charmant, mais pas autant que ce beau gosse complètement déchiré en gabardine qui, avec son bandage au poignet et son arcade sourcilière à moitié ouverte, semble être directement sorti des urgences pour encourager son équipe. Un vrai.
Tout comme à l’Olympiastadion, c’est un peu plus calme au début de la seconde période. L’heure est aux messages, même si avant ça, Adam Nemec a donné un avantage (qui s’avérera définitif) à l’équipe locale . « Liberta per Antonio Speziale » , en référence à ce mec de Catane incarcéré pour un homicide involontaire, ou encore « Wer die Freiheit aufgibt um die Sicherheit zu erlangen / Der wird am Ende beides verlieren » (Qui abandonne sa liberté pour obtenir la sécurité / Risque de perdre les deux à la fin). Faut dire qu’ils ont un problème avec le concept de sécurité assurée par l’État, à l’Union. 55e minute: il est temps de donner une occasion au public de chanter à la gloire de l’un de ses joueurs, Torsten Mattuschka, qui s’apprête à entrer. « Torsten Mattuschka, du bist der beste Mann, Torsten Mattuschka, an dich kommt keiner ran, Torsten Mattuschka, mach ihn rein für den Verein! » Le tout sur l’air de « Can’t take my eyes over you » , avant d’enchaîner pendant une demi-heure sur la chanson la plus simple et la plus significative des rapports entre le club et le public. « FC Union, Uns’re Liebe. Uns’re Mannschaft, unser Stolz, unser Verein, Union Berlin, Union Berlin » (Notre amour. Notre équipe, notre fierté, notre club). Point d’honneur mis à chaque fin de rencontre, les Unioner entonnent un chant dédié à la Alte Förtserei.
2-1, score final. Le 1. FC Union Berlin grimpe à la septième place. Les fans peuvent penser tranquillement à l’un des jours les plus attendus de la saison : « Weihnachtssingen » , la soirée des chants de Noël programmée le 23 décembre prochain. Plus de 10 000 personnes se retrouveront encore cette année dans le salon familial, à l’Alte Försterei, bougies et livres de chansons à la main. Le tout ponctué bien sûr de « Und niemals vergessen : Eisern ! Union ! » .
Par Ali Farhat et Julien Méchaussie, à l’Alte Försterei, Köpenick, Berlin
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