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- 32e journée
- Red Star/Istres (4-0)
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On était à Bauer pour voir le Red Star monter en L2
En atomisant Istres (4-0), le Red Star, vénérable institution du foot français, va donc retrouver un certain standing en L2, digne de sa riche histoire et surtout des attentes que placent en lui politiques – François Hollande en tête – et presse spécialisée dans l'avènement d'un second « grand » parisien. Sauf que, l'an prochain, tout deviendra différent pour les joueurs, le staff et les supporters, avec chacun leurs préoccupations bien spécifiques. Vendredi soir, la « grande famille » du club a feint de partager la joie de cette montée si longue à se concrétiser. Dernier Pogo à Bauer…
Le match ne fut qu’une formalité. Vite expédié. Le Red Star a explosé dès la première mi-temps – 3 à 0 – un FC Istres qui semblait n’avoir emmené que ses U19, peut-être pour économiser ses faibles chances de maintien. Dans les travées du kop, dès la mi-temps, des feuilles d’émargement circulent pour demeurer informé de l’organisation de la saison 2015-2016. Tout le monde s’est fait une raison. Malgré les chants clamant « le Red Star, c’est à Bauer » , la L2 se déroulera inévitablement ailleurs, et sans assurance, pour être honnête, d’y retourner. À l’entrée de la tribune populaire d’un stade plein pour une fois – 3000 personnes – le gars de la sécu qui tente avec bonhomie de contenir les flots contraires de sortie et d’entrée souffle qu’il espère continuer à bosser pour le Red Star et que le contrat de sa boîte concernera la prochaine enceinte. Car il faudra donc quitter le stade historique, sûrement pour celui de Sannois-Saint-Gratien, voire le Stade de France, pour quelques rencontres de prestige (contre Lens par exemple, si les Sang et Or passent l’été). « C’est ridicule, s’amuse Julien, un ancien du kop, le Red Star en L2, ce sera 7000 personnes maxi, qu’est que cela va donner au SDF ? »
Pendant ce temps, à chaque but, de gros pétards claquent, provoquant la panique des stadiers et de l’encadrement, avec appel au micro du speaker « pour ne pas gâcher la fête » . On campe déjà la comédie des grands. La sécu se met en rang devant les supporters, avec un « chef » aux mains gantées, comme dans un rap de MC Jean Gab1. Des CRS se positionnent un temps dans l’angle contre une grille, auxquels des gamins hilares balancent « flic, arbitre ou militaire, qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour un salaire » . L’éducation politique par le foot ? Les fumis viendront un peu illuminer de leur bonne odeur de soufre cette nuit estivale. Comédie toujours. Au coup de sifflet final, les premiers téméraires qui s’aventurent sur le terrain – déroulement pourtant prévu et annoncé dans un tract distribué à l’entrée – se font ceinturer comme lors d’une bonne vieille interpellation aux Halles. De guerre lasse, le temps de maîtriser ces éclaireurs, déjà la foule déborde et une Birds se promène nonchalamment sur le terrain. L’ouverture des portes déclenche la ruée sur le synthétique. Et le fouler amène inévitablement à se demander comment il est possible de prendre plaisir à jouer dessus.
« Impossible de lâcher cet espace social de résistance, si rare en région parisienne »
Dans une ambiance bon enfant, le public d’un Bauer pour une fois à guichet fermé se lâche, comme lorsqu’on quitte un appart pour une dernière fête entre amis. On crie « bonjour papa » devant les rares caméras présentes. Les gamins du club et les autres réquisitionnent les buts et improvisent des matchs, y compris à coups de petites bouteilles de Cristalline vides. Une maman voilée portant un tee shirt « Red Star en L2 » félicite les joueurs par leur prénom, pendant que des skins s’embrassent avec leurs écharpes « Bauer United » . On fait la promo d’un tee-shirt de « supportrices féministes » qui sera vendu pour le dernier match. Et les hipsters qui commencent à fréquenter le club se saoulent de selfies sur le terrain, à l’instar d’une Nationalmannschaft un soir de finale de Coupe du monde. Que va-t-il advenir de ce joyeux mélange une fois l’exode entamé. Mieux que le plan Leproux, ce passage en L2 ? « On profite jusqu’au bout, clame un des leaders du kop. Pour l’année prochaine, nous irons à certains matchs et en déplacement, impossible de lâcher un tel espace social de résistance, si rare en région parisienne. » Du coté du club, la tête est ailleurs. Au prochain budget, au recrutement, au « nouveau public » qu’il faudra séduire, et qui commence timidement à se faire voir en talons aiguilles et costards, pour lequel des batucada ont mis l’ambiance juste avant le début de la rencontre.
La der du bar d’en face
En tribune honneur, l’ambiance est en effet un peu différente, le Fred Perry plus propre et les places assises. Notre voisin est un jeune joueur de CFA à Fleury, ici pour la première fois, débarqué avec son agent qui vous assure que le Red Star « courtise » certains de ses « jeunes » . Le Red Star, nouveau centre d’attraction du foot francilien, comme en rêve Patrice Haddad, son président haut en couleur ? Comme essaie de le vendre Pauline Gamerre, sa DG, invitée récemment à l’Élysée ? Nous en sommes encore loin. Quelques articles et une petite hype ne font pas le printemps footballistique. Y compris dans le kop, les kids demandent à leur père de prendre des nouvelles du PSG sur leur smartphone. Une fois sur le terrain, des gosses des sections jeunes portent les couleurs du club d’Ibra et Pastore sous leur survêt vert. La montée va faire en tout cas deux grandes victimes collatérales. Akli, qui tient L’Olympique, le bar en face du stade, et qui devait avoir le sentiment ces dernières années de gagner au loto tous les quinze jours, étanchait la soif du kop. Et enfin une certaine symbolique. Bauer, le dernier endroit où il était possible de croire sincèrement que Saint-Ouen restait encore une « banlieue rouge » . C’est la nouvelle mairie UMP qui va être contente…
Par Nicolas Kssis-Martov