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On est dégueu, oui, et alors ?
On pensait l'affaire ficelée, elle fut plus compliquée que prévu. Hier soir, après leur succès étriqué contre la Moldavie (2-1), bastion perdu sur la carte du foot mondial, les Bleus se sont succédé pour exprimer une idée, une seule : l'important, c'est les trois points.
Le dimanche 22 avril 2012, à l’entre-deux-tours des élections présidentielles, Claude Greff, secrétaire d’État à la famille du gouvernement Fillon III, égarait sur un trottoir parisien un document confidentiel. Et puisque « les ennuis, c’est comme le papier hygiénique, on en tire un, il en vient dix » (Woody Allen), au lieu de terminer sa course dans les égouts comme Georgie dans Ça, ledit papier s’est retrouvé collé… sous la semelle de François Krug, journaliste politique pour Rue89. Pas de pot.
Surtout que le François, c’est un bon, il est curieux : en dépliant la feuille encore sèche, il tombe sur une liste d’éléments de langage que la femme devait utiliser le lendemain lors d’une cérémonie d’accueil du président « NS » à Tours, évoquant un certain « FH » . Objectif : marteler une série de mots qui foreront le crâne de l’auditoire, et faire passer ses idées comme on braque une banque : de force. Évidemment, François Krug en a fait un article. Et l’on pourrait être tenté de faire de même, quand bien même aucun papier ne s’est retrouvé hier soir sur le sol de la zone mixte du Stade de France. Parce que les éléments de langage, avant de se lire, ça s’entend. Surtout quand on s’y met à 23.
Critique-éloge-recadrage
C’est Antoine Griezmann qui s’est en premier présenté au pupitre, sans costard-cravate, sans les ors de la République, mais avec le survêtement des Bleus sur les épaules. Devant lui, une assemblée composite, à droite, à gauche, au centre, et les premiers mots-clés : « On n’a pas fait un bon match, surtout en première période. Il n’y a pas d’explications, d’excuses : parfois t’es pas dedans, t’es pas bien. Après on a réagi un peu.(…)On a décroché la victoire, je pense qu’il ne faut retenir que ça. » Honnête, point. Puis Benjamin Pavard s’est pointé : « On a fait une première mi-temps… Voilà, pas très bonne. Mais ensuite on a mis plus d’intensité, on s’est plus projetés vers l’avant, avec plus de mouvements. On va retenir les trois points ce soir. » Vous commencez à le voir ? Tolisso : « En première mi-temps, on a forcé les passes, on n’a pas trouvé de décalages en essayant de passer dans l’axe, alors qu’on savait très bien qu’il y avait beaucoup de densité. Si on a eu beaucoup de situations en deuxième mi-temps, c’est parce qu’on a créé des décalages. Pour la suite, il faut s’appuyer sur notre seconde mi-temps. » Varane, en queue de peloton, n’a fait que s’introduire dans le filon tracé par ses prédécesseurs, avec cette même construction argumentaire, à schématiser ainsi : critique de la première période – éloge de la deuxième – l’important c’est les trois points.
Bref, un triptyque des plus classiques dans le thésaurus du footballeur, mais répété et confirmé par Didier Deschamps en conférence de presse, évoquant dans l’ordre une première mi-temps « très compliquée » puis une deuxième « plus conforme » et enfin le chapeau de la tomate farcie, les « trois points et la première place du groupe » . On savait que le bonhomme était un général en chef capable de faire répéter à l’envi à Benjamin Pavard qu’il serait prêt à se peinturlurer la tronche façon Marlon Brando et porter les armes pour lui, moins qu’il était aussi un ogre politique, disséminant des réponses toutes faites par paquets de dix au milieu de ses causeries d’après-match. Car le bilan n’est pas fameux : une victoire étriquée contre la 175e nation mondiale (son plus bas classement depuis la création de l’indicateur FIFA, en 1993), qui n’avait plus marqué à l’extérieur depuis plus d’une pige, qui a lessivé deux coachs en un an et qui n’a tiré que deux fois au but hier soir. Pas terrible, oui. Mais le message sous-jacent d’hier soir était celui-ci : et alors ?
Mobilisation
Quitte à faire passer des messages, celui-ci est aussi passé : les Bleus savaient avant la rencontre qu’ils étaient qualifiés. Ce qui veut dire qu’ils ont observé le match entre la Turquie et l’Islande (0-0) – pas la meilleure idée – que cela a pu les perturber dans leur entrée dans la rencontre, et que quitte à en parler, tout le monde est bien conscient que ce nul est un cadeau imprévu dans un groupe destiné à se décanter à la différence de buts. Si Deschamps est un commandant en képi, alors son job consiste uniquement à mobiliser à cadence régulière des commandos d’assaut, rôle dans lequel il excelle. La France a ramé ? Oui, c’est assez rare pour être souligné.
Mais tout ceci ne tient qu’à la méforme conjuguée de Griezmann, Mbappé et Clément Lenglet – assez rare pour être soulignée – et si l’on veut y mettre un peu de mauvaise foi, l’équipe de France a rarement fait plus que « faire le taf » dans l’histoire récente de ses éliminatoires. C’est le don des grandes équipes, et les nations ne font pas exception : savoir se transcender lors des grands rendez-vous. Voilà qui tombe bien, l’équipe de France en est une. Et si cela passe par un match raté contre la Moldavie, alors va pour les éléments de langage.
Par Théo Denmat