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On est allé chez le vrai Super Victor
Super Victor n'est pas né il y a une dizaine de jours, en devenant la mascotte officielle de l'Euro 2016. Pas pour les habitants de Pleurtuit, perdus quelque part entre Dinard et Saint-Malo, en tout cas. Pour eux, il existe depuis déjà 21 ans. Et recouvre toutes les vitrines du coin.
« Avant de vous recevoir, on était sur un chantier. On posait du verre-sécurité dans une fromagerie. Super Victor, c’est pas toujours glamour, hein. » Depuis le 30 novembre, et le baptême officiel de la mascotte de l’Euro 2016, Pascal Porée ne sait plus où donner de la tête. Et pas seulement parce que son carnet de commandes affiche complet. « Mes amis, ma famille, mes voisins, mes clients… Tout le monde m’en parle » , se félicite ce Breton de 53 ans. Et pour cause : depuis plus de vingt ans, Super Victor, le seul, l’unique en France, c’était lui. Ou plutôt, son entreprise d’enseignes publicitaires adhésives, sise à Pleurtuit, aux confins de l’Ille-et-Vilaine.
Super Victor transforme son bavoir en cape
En 1993, lorsque cet ancien électricien se lance avec Catherine, sa femme, dans la fabrication de figurines de trottoir, ces enseignes équipées d’ardoises présentes devant la plupart des boucheries et restaurants de France, il lui faut baptiser sa petite entreprise. Ce nom, c’est son fils, Victor, qui va le lui apporter. Bébé, il a pour habitude de retourner son bavoir, le transformant en cape. Ce qui lui donne des allures de super-héros, et lui vaut rapidement le surnom de « Super Victor » , qui devient également le nom de l’entreprise familiale. « Quand on a trouvé ce nom, les gens étaient étonnés. En général, une société comme la nôtre s’appelle Graphipub, Publicolor, ce genre de choses. Super Victor, tout le monde se demandait ce que ça voulait dire » , rembobine Pascal, plus de vingt ans après les faits. D’où l’étonnement de ce fan du Stade rennais, lorsqu’il découvre que l’homonyme de sa société familiale représentera l’Euro 2016 à travers la planète.
« On est les seuls en France à avoir ce nom-là. Quand on a appris que la mascotte pouvait s’appeler comme ça, on s’est demandé si un gars avait eu l’idée en passant devant notre atelier. » Surtout qu’au début du vote soumis aux internautes, chargés par le comité d’organisation de l’Euro de choisir le nom de la mascotte, Super Victor était loin de faire l’unanimité, se traînant loin derrière ses concurrents. Mais, magie de la démocratie, et surtout du suffrage virtuel, dans les derniers instants de l’élection, la tendance s’inverse. Et Super Victor l’emporte tranquillement, avec 51 781 voix, contre 29 331 pour Goalix, et seulement 26 678 pour le favori, Driblou. « C’est quand même super spécifique, comme nom. Quand vous m’avez appelé la première fois, je n’ai pas bien compris pourquoi. Des copains m’en avaient parlé, mais comme ils sont blagueurs, je n’y croyais pas, surtout que j’avais suivi le début de l’élection. Et puis, je me disais que Driblou et Goalix, cela ne changeait pas de ce qui se faisait habituellement. Super Victor, c’est différent. C’est peut-être pour cela qu’il a fini par l’emporter » , s’interroge encore l’artisan, incrédule.
Figurines de trottoir, fer forgé et adhésif
Depuis 2008, Pascal et Catherine ont laissé tomber les figurines de trottoir, pas assez lucratives pour faire vivre le couple et ses trois enfants, même si les affaires se portent bien. « On n’avait pas de machines, rien. Je mettais les figurines dans le camion, et j’allais les vendre. Je faisais le dessin, et Catherine, qui a étudié aux beaux-arts, peignait. C’était moche, mais on en a vendu dans toute la France. Et puis on a inventé la figurine « porte-menu lumineux », vers 1999. À l’époque, on n’était que deux, en France, à faire des figurines de trottoir. C’était notre passion, mais on faisait de trop petits volumes. » De fil en aiguille, le couple se lance dans la fabrication d’enseignes de magasin en fer forgé, avant de se consacrer, depuis six ans, exclusivement à l’adhésif et à l’impression numérique, pour recouvrir tout ce que le Nord-Bretagne compte comme véhicules utilitaires et vitrines en tout genre.
Avec toujours comme logo Super Victor en barboteuse, crayon à la main. « Parce qu’enfant, il écrivait partout » , explique Catherine. Il y a quelques années, Pascal a bien tenté d’actualiser son identité visuelle en vieillissant l’enfant de quelques années, mais il a renoncé devant le scepticisme de ses clients, habitués au logo historique. « Cela aurait été encore plus dingue si mon Super Victor avait été ado, comme la mascotte » , sourit aujourd’hui l’artisan, sans regrets. L’authentique Super Victor, lui, vit aujourd’hui à Strasbourg, où personne ne connaît son surnom. Au vrai, il n’y a plus qu’au Super U de Pleurtuit, où il travaille l’été, que le sobriquet a encore cours. En Alsace, le jeune homme étudie les sciences du langage, « un truc qui me dépasse complètement, mais qui lui plaît » , élude son père, qui s’est fait à l’idée que son rejeton ne reprendra jamais la boîte qui porte son nom.
La souffrance du supporter rennais
Ravi par toute cette heureuse coïncidence, Pascal et Catherine n’ont qu’un seul regret : celui de ne pas avoir déposé la marque Super Victor à l’INPI. « C’est dommage, mais ça coûte cher de déposer un nom, il faut le faire pour plusieurs domaines, se désole aujourd’hui Pascal. Je pense que le comité d’organisation s’est renseigné avant, c’est la moindre des choses. » Et en se renseignant, le comité d’organisation a également dû se frotter les mains en constatant qu’il n’aurait aucun nom de domaine à racheter, la petite société bretonne n’ayant pas non plus de site internet. « On a juste une page Facebook, parce que notre fils nous avait expliqué que c’était important, avance Pascal. Mais je n’y vais jamais. » Côté financier, même s’ils avouent s’en moquer, les Porée ont donc loupé une occasion qui aurait pu transformer la belle histoire en véritable conte de fées.
Un peu à l’image de cette finale de Coupe de France, perdue en mai dernier face à Guingamp, par ces Rennais si chers à Pascal. « J’ai eu honte, lâche notre homme, le regard noir. Qu’ils perdent, ok. Mais qu’ils se battent ! Là, ils n’ont même pas essayé. (…) En tant que supporter rennais, je souffre, poursuit-il. On a quand même une sacrée tradition de lalose. C’est psychologique. Une équipe qui est sur une mauvaise série, elle sait qu’elle va se relancer contre Rennes. Mais quand on est supporter, c’est à vie. Je me souviens, à l’école, quand on échangeait les images de Cardiet, Cédolin et compagnie… Un de mes plus beaux souvenirs à la route de Lorient, c’est ce but d’Omam-Biyik, contre le PSG, en 1990. On était en pesage avec ma femme, il a sauté plus haut que les bras de Joël Bats. Quel but ! » Et si déjà, à l’époque, le Camerounais était équipé de la cape magique de Super Victor ?
Par Mathias Edwards, avec Régis Delanoë, à Pleurtuit