- Premier League
- J30
- Liverpool-Burnley
On est allé boire une pinte au Royal Dyche
En cas de scénario apocalyptique, soit si Burnley devait lever des murs pour se protéger des assaillants et vivre en autarcie, c’est probablement Sean Dyche qui serait porté à la tête de la ville. En attendant, l’entraîneur des Clarets compte des légions de fans et un pub à son nom. Un rade chaleureux à quatre minutes du stade, où l’on vient vider des coups, parler football et mettre de la couleur dans une vie grise.
De la gare au pub, il faut marcher vingt minutes. Un trajet fait de parkings de supermarchés, d’un McDo et de trottoirs mal entretenus. Sans surprise, Burnley, 80 000 habitants, n’est pas ce qui se fait de plus beau en Angleterre, une petite ville comme un tableau qu’il ne vaut mieux pas éclairer. La cité du Lancashire appartient à un pays aux couleurs ternes, dont la lumière descendue du ciel est filtrée par une couche de nuages qui paraît accrochée au plafond depuis toujours et n’éclaire que faiblement des rues mornes. Dans l’artère de Turf Moor, le stade de l’équipe locale, les parois sont décaties et on imagine, à l’intérieur, des papiers peints fleuris sans éclat, dessinés par des ouvriers qui semblent ne jamais avoir vu de vraies fleurs.
Bottes en caoutchouc
Derrière une porte en bois, cachée par une foule de collégiens en uniforme, on entend résonner un vieux tube des Kinks. La chaleur est là. On imagine déjà la tête du patron, un homme un brin bourru, entre deux âges, avec de l’embonpoint, mais des bras saillants. On a complètement tort. Dévalant les escaliers à toute vitesse, sur la pointe des pieds, le visage impassible, le boss des lieux tend une main gracile. Justine Lorriman, en blue jean et fin col roulé gris, des cheveux noirs tirés en arrière, est un peu pressée. Elle a une valise à finir avant de filer à l’aéroport de Manchester, direction des vacances méritées aux Philippines. « Vous savez, j’ai l’habitude, lâche-t-elle, à peine posée sur un tabouret au coussin bleu ciel. Parfois, des clients entrent dans le pub, cherchent le patron et sont surpris quand je m’approche d’eux. Puis on leur explique. » Le regard du client passe de l’inquisition un brin agacée au respect, à l’idée qu’une jeune femme de 27 ans ait « les tripes » de reprendre un pub, qui plus est dans un quartier loin d’être huppé.
Il faut dire que Justine est une gamine du quartier. Elle a grandi à dix minutes de là et était très jeune lors de sa première fois à Turf Moor. « Tellement que je me suis endormie pendant le match, sourit-elle. J’avais des bottes en caoutchouc roses. Une est tombée et je ne m’en suis même pas rendu compte. Quelqu’un nous l’a ramenée deux jours après. » Justine a commencé au pub, détenu par un ami de son père, en juin 2013, huit mois après l’arrivée de Sean Dyche à la tête du club. Rapidement, elle est promue au poste de gérante. En parallèle, en tant qu’abonnée, elle assiste à autant de matchs que possible, y compris à l’extérieur. « La première fois que j’ai compris que Sean était un mec bien, c’était à Wigan, dévoile-t-elle, avec une grande douceur. C’était sa première ou peut-être sa deuxième saison. Beaucoup de joueurs ont tracé alors qu’on attendait un autographe. Lui est venu. Il était très souriant, il a a signé et nous a tous remerciés d’être venus. »
« Tu l’as promis, tu dois le faire »
En plus d’être « gentil » , Sean Dyche obtient des résultats. Remontés chez les grands en 2014, les Clarets font l’ascenseur avant de se stabiliser en Premier League depuis 2016. « La première fois qu’il nous a maintenus, on a mis un signe dehors qui disait qu’il pouvait boire gratuitement, se marre Justine. C’était très excitant de rester en Premier League. Ça a engendré beaucoup d’attention dans le pays et on se disait qu’il viendrait peut-être. » Puis, la saison passée, contre toute attente, Burnley réussit même à jouer les premiers rôles. Lors d’un entretien réalisé en février, à retrouver dans le So Foot #164, le boss Dyche expliquait : « On propose quelque chose de compact, basé avant tout sur la solidité et l’impact physique. En Premier League, c’est le meilleur moyen pour nous de gagner des matchs, de faire la différence. On a toujours eu cette approche. C’est de la logique et du réalisme. » Burnley est sans doute la dernière incarnation d’un jeu à l’anglaise brut et sans chichis.
Dans cette ville laborieuse, au taux de chômage de 5,3%, qui votait à 66% en faveur du Brexit, cela ne pouvait que plaire. En décembre 2017, les Clarets se hissent à la 5e place du classement. Dyche n’est toujours pas venu au pub, qui s’appelle alors encore The Royal Princess. « La saison se passait très bien, reprend la patronne. Au comptoir, on réfléchissait à comment le faire venir. Alors, en plus de lui offrir tous ses verres, on a proposé de donner son nom au pub, si on jouait l’Europe. Mais c’était juste une blague. On ne pensait jamais y arriver ! » À la suite des victoires en coupes de Manchester City et Chelsea, Burnley, qui finit septième, se voit catapulter en Ligue Europa. Évidemment, les fans, fous de joie, insistent auprès de Justine : « Tu l’as promis, tu dois le faire. » Certains proposent de rebaptiser le pub The Ginger Mourinho, d’autres le Princess Dyche. Plus sobrement, The Princess Royal devient The Royal Dyche.
The Human League et des émeutes
Au comptoir en bois, on retrouve les grosses bouteilles de Jameson et Jack Daniels renversées habituelles des pubs de l’Angleterre moyenne, en cohabitation avec des fûts de Guinness et de Carling. Mais ici, on vend aussi la Royal Dyche lager, dont le logo reprend celui du pub, avec le manager grimé façon Henri VIII. En revanche, on ne sert rien à manger. Pour déjeuner, la serveuse conseille Miners, un rade adjacent tout droit sorti de The Full Monty, dont la moquette psychédélique a l’air de sentir encore la cigarette. À table, un adolescent handicapé chante Don’t You Want Me, le tube 80s de The Human League, alors qu’on sert le pire fish and chips du monde, sans citron pour en faire passer le goût. C’est pourtant bien The Princess Royal qui portait jusqu’à récemment la plus mauvaise réputation du quartier. « En 2001, Burnley a été agité par des émeutes, lâche Justine.J’étais trop petite pour comprendre, mais c’était, en gros, entre la communauté asiatique et la communauté blanche. Le pub était très associé à ça. » À l’époque, Justine n’a que dix ans et Dyche est encore un joueur de Milwall.
Dans cette ambiance, le British National Party, mouvement néofasciste, fait une percée électorale dans cette ville à 87 % blanche. Parmi les élus, un hooligan, Luke Smith, ne reste en poste que trois mois avant d’être suspendu pour avoir éclaté un verre dans la gueule d’un fêtard lors des universités d’été du parti. Plus tard condamné à 17 mois de prison pour hooliganisme et banni à vie de Turf Moor, Smith réitère un soir, au Princess Royal, en éclatant sa pinte à la face de l’ancien propriétaire. En 2008, à quelques jours de son procès, il vient se pendre juste en face du pub. « Comme pour un individu, c’est facile de se faire une sale réputation, philosophe Justine. C’est plus dur de s’en débarrasser. Le changement de nom à aidé. Avec l’attention médiatique, les gens se sont dit qu’en fait, c’était un pub sympa. »
De l’amour et des honneurs
Niveau déco, Justine y va à fond. Dans le beer garden, un immense logo du club est peint sur un mur de briques. L’intérieur est orné de paroles de chants, de nombreuses écharpes, d’un portrait du leader charismatique et d’un, plus étonnant, d’Albert Einstein, les mains croisées, représenté avec un combo gilet et polo long aux couleurs du club. Au dessus d’un vieil homme coiffé comme Mr. Burns, qui se lève en direction du comptoir toutes les cinq minutes avec une mission claire, avant de retourner sur ses pas, est accroché un maillot signé par l’ancien attaquant David Nugent. Près de lui, c’est celui de John Walters qui veille sur un couple de quinquagénaires en hoodies orange et gris, qui vide des lagers en pleine conversation animée. Dans ce tableau, il ne manque en fait qu’un élément : Sean Dyche lui-même. « Je l’ai rencontré une fois, brièvement, reprend Justine. Il était sympa, il m’a donné son accord pour changer le nom. Je sais qu’il était flatté, mais il n’est jamais venu. Même quand on l’a invité pendant les heures de fermeture. » En vrai, le coach, sans être vraiment gêné, ne sait pas trop comment gérer les honneurs, surtout ceux de ce type. Ce qui, paradoxalement, contribue probablement à l’amour que lui porte son peuple. « Pour moi, Sean Dyche, c’est Burnley, conclut la patronne. Il a construit une équipe de joueurs entiers, qui travaillent dur, sans sournoiserie, pétris de valeurs morales comme le respect. Tout ça vient de lui. Et ça ressemble aux gens de Burnley. »
L’interview de Sean Dyche est à retrouver dans le So Foot n°164, actuellement en kiosques.
Par Thomas Andrei, à Burnley