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« On dit aux gamins : « Entre Stamford Bridge et la Syrie, tu choisis quoi ? » »

Propos recueillis par Ugo Bocchi
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Le docteur Shamender Talwar est le cofondateur du TUFF FC. Un club londonien que l’on surnomme désormais l’équipe « anti-Daech ». Voici pourquoi…

Pour commencer, c’est quoi le TUFF FC ?

L’anagramme pour The Unity of Faiths Foundation Football Club. Et « Tough » , ça veut aussi dire « difficile » en anglais, car notre objectif final l’est. En gros, on aide des jeunes et on souhaite les « dé-radicaliser » par le football.

Comment vous faites ça ?

On les suit au jour le jour. On leur redonne des objectifs et des bases. Le rôle de TUFF, c’est de fournir un terrain, des équipements, des encadrements, des entraîneurs adaptés. Pour que les jeunes dont on s’occupe pensent qu’on croit vraiment en eux. En retour, ils ont vraiment confiance en nous. Ils sont de plus en plus à venir chez nous, et ça réduit le risque de radicalisation, de traîner dans les rues et d’avoir des chances de mal tourner. On leur donne envie d’être anglais à travers le foot. On va trouver des jeunes défavorisés qui ne connaissent pas vraiment leur identité. Certains sont d’origine pakistanaise, somalienne, israélienne, polonaise, et on leur dit : « Ta culture est celle que tu veux. Mais ton identité est britannique. » On construit une famille en fait, les jeunes nous font confiance et nous parlent ouvertement. Quand ils ont des doutes, on discute beaucoup avec eux. J’ai l’habitude de leur dire ça : « Si tu as les portes de la Syrie qui s’ouvrent à toi, ou bien les portes de Stamford Bridge, avec Mourinho qui t’attend… Lesquelles tu choisis ? » Et forcément, ils choisissent le foot. On discute beaucoup avec eux, avec leur famille.

Vous avez suivi ce qui s’est passé à Paris ?

Oui, et ça confirme le fait qu’on veut aussi faire ça en France. Coïncidence malheureuse : juste deux jours avant les attentats de Paris, j’ai été contacté par un Français qui voulait créer une TUFF à Paris. Car c’est un problème international. En Inde, en Australie, en Espagne, c’est aussi un problème. On a d’ailleurs créé une autre association, Football For Unity, pour s’étendre à l’international. Avec ce petit programme, on peut faire de grandes choses. Si on se bat contre l’État islamique, ils répondront de la même manière. Mais si on rééduque les jeunes, qu’on leur fait comprendre que la France est leur maison, on peut y arriver. Que les jeunes comprennent qu’ils sont français, européens, qu’ils retrouvent leur vraie identité, celle de là où ils sont nés.

Comment le foot peut « dé-radicaliser » ?

Imaginez dix personnes qui ne se connaissent pas, dans une salle, avec un ballon au milieu. Tout le monde va se lever et jouer au foot, non ? À l’heure actuelle, le foot, c’est le meilleur moyen de créer des liens sociaux. Mais chez nous, il n’est pas seulement question de ballon. Il y a aussi de la confiance. De la confiance et du foot, je pense que c’est la bonne recette. Les parents, les habitants de notre quartier savent qu’ils peuvent nous confier leurs enfants, et qu’ils sont entre de bonnes mains avec nous. À travers le football, on leur apprend la démocratie, le respect, la cohabitation en société.

Comment vous arrivez à trouver et à « recruter » ces jeunes en difficulté ?

Ce sont eux qui viennent à nous. Le foot les attire. L’année dernière, on était une dizaine, et puis le bouche-à-oreille a fait son travail. Aujourd’hui, on est plus de 250. Et les proches conseillent désormais aux jeunes en difficulté, un peu limite, de venir chez nous.

Et vous parlez avec eux de leurs doutes, des « contacts » qu’ils reçoivent ?

Oui, bien sûr. C’est l’une des clefs de notre club. Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont très puissants, mais très dangereux aussi. Les jeunes y ont tous accès facilement. Les jeunes musulmans particulièrement sont très sensibles aux problèmes qui touchent leur religion. Ils sont très curieux. Ils se demandent souvent pourquoi d’autres musulmans critiquent la société occidentale. Ils lisent des articles, surfent sur des sites bizarres, pour comprendre ce qu’il se passe en Syrie, en Afghanistan… Ils creusent. De plus en plus profond. Et quand on creuse trop profond, on est contactés. Il y a tellement de jeunes qui sont contactés. D’ailleurs, un jeune est venu me voir il y a quelques semaines, il m’a montré son téléphone en me disant : « Regardez ça » . J’ai très rapidement compris les intentions de l’interlocuteur. Je lui ai dit de le supprimer de WhatsApp. Et ensuite, je suis allé voir son Facebook, son Instagram, parce qu’ils les contactent sur tous les réseaux sociaux possibles. Ils contactent ensuite les amis des amis et ça devient inarrêtable. Si le jeune a des doutes, c’est là que je lui parle de Mourinho, de football, pour savoir ce qu’il veut vraiment, pour qu’il comprenne ce qu’il peut gagner à ne pas communiquer avec ces mauvaises personnes.

Vous jouez combien de fois par semaine ?

Deux fois. Enfin deux entraînements par semaine et on les a aussi inscrits dans une ligue. La ligue FA (Football Association) de Londres. Et bientôt, des jeunes de tout le pays vont pouvoir bénéficier de ce programme. Des gens de Liverpool, de Manchester, d’Écosse nous ont appelés pour reproduire ce que l’on fait ici. Ça va devenir national. Je suis sûr qu’on peut faire de grandes choses.

Vous paraissez vraiment ambitieux quant aux pouvoirs du football…

C’est quand même arrivé aux oreilles de Barack Obama. Il nous a même envoyé un mail et invité à la Maison Blanche, ce n’est pas rien…

Effectivement. Et vous comptez aller à Washington avec tous vos jeunes ?

J’ai dit à l’ambassade américaine que c’était la condition sine qua non pour qu’on se déplace. Pas un, pas deux, pas une dizaine… TOUS les jeunes. On voulait aussi rencontrer François Hollande avant d’y aller. On a pris contact avec l’ambassade française. Pour lui montrer ce que l’on peut faire avec le football. Qu’on peut aussi s’occuper de jeunes « Tough » à Paris.

Et si les jeunes dont vous vous occupez tombent malades, se blessent, ne peuvent plus jouer au foot, vous continuez de les suivre tout de même ?

Oui, certains vont à l’université ou font autre chose. Et même s’ils prennent un autre chemin que le foot, ils continuent à venir nous voir. Le projet a démarré en août 2014. À ce moment-là, il n’y avait que quinze jeunes. Ils jouaient au foot sur des terrains non adaptés. Mais depuis, on a bien évolué et on s’occupe d’au moins 250 jeunes. En un an, avec des ressources limitées, on a fait de grandes choses. On peut être fiers de nous.
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