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On a vu France-Albanie à Guingamp avec Stéphane Guivarc’h
C’était annoncé dans la presse locale quelques jours avant : à l’occasion du match France/Albanie, le bar guingampais Le Lapin rouge se mettait en mode Euro avec ambiance de fête, jeux à gogo et un invité spécial, l’ancien buteur local et de l’équipe de France Stéphane Guivarc’h, à l’histoire tourmentée avec les Bleus. Une belle soirée de n'importe quoi.
« J’aime pas plus que ça le foot, mais en revanche, je suis fan des PMU ! » Perruque tricolore sur la tête, Annie l’annonce tout net : elle n’est pas venue dans son troquet préféré pour voir Stéphane Guivarch ( « Je connais pas, qui c’est ça ? » ), ni pour observer sur la grande télé du bar les changements tactiques opérés par Didier Deschamps pour ce match France-Albanie. Non, elle est là autant par habitude que « pour la fête » . Et de fête, il est bien question en ce mercredi soir de match au bar Le Lapin rouge, d’ordinaire QG officiel des supporters du club de Guingamp (le Roudourou est à 500m à peine), exceptionnellement redécoré aux couleurs bleue et verte. Le bleu de l’équipe de France, le vert de PMU, partenaire FFF qui organise l’événement. « C’est une opération nationale qui a pour but d’animer de gros établissements estampillés foot, avec un gros potentiel de clientèle PMU » , annonce Yohann, commercial de la société des paris sportifs, qui chapeaute la soirée guingampaise. Le vendredi précédent, pour le match d’ouverture France-Roumanie, c’est un bar finistérien qui avait été choisi pour les animations. « À Lambézellec, du côté de Brest. Tu sais, comme la chanson de Matmatah, viens donc faire un tour à Lambé. »
« Une casquette pour Michel ! »
Vendredi dernier comme ce mercredi soir, les mêmes recettes sont appliquées : un speaker avec le smile qui déambule entre les clients, fait monter l’ambiance ( « Est-ce que vous êtes chaud ce soir ?! » ) et pose des questions ( « Pour gagner une casquette, qui peut me dire l’international français qui a disputé le plus grand nombre de matchs d’affilée avec la sélection ? Oui, c’est ça, c’est Patrick Vieira, une casquette pour Michel ! » ), des hôtesses façons Tour de France qui distribuent les lots et, last but not least, un invité de marque en la personne de Stéphane Guivarc’h. Le champion du monde breton est une légende locale dans les Côtes d’Armor, puisqu’il a été l’artisan au début des années 90 de la première montée historique de l’EAG en D1, à l’époque des maillots Rippoz et de sa doublette offensive magique avec Lionel Rouxel. Une bonne heure et demie avant le coup d’envoi de France-Albanie, la guest star est déjà sur place, au départ pas forcément très à l’aise à enchaîner les selfies, les dédicaces et les petites discussions avec ses fans. Rapidement néanmoins, la soupe de champagne aidant, il se détend et explique à l’occasion d’une pause clope la raison de son retour à Guingamp le temps d’un match des Bleus. « C’est une opération nationale combinée de la FFF et de PMU. Le comité des anciens internationaux a rameuté du monde, je me suis porté candidat, ça fait toujours du bien de revenir ici. J’ai passé quatre saisons et demie incroyables avec l’EAG, je me sens un peu comme à la maison. »
« J’aurais dû enlever les boîtes à chaussures »
Sa vraie maison, depuis sa retraite sportive en 2002, c’est Trégunc, dans le Sud-Finistère, à côté de Concarneau, où il vend toujours des piscines, tout en entraînant l’équipe locale, l’UST. « On était en DH, mais on vient de descendre pour un point ! C’est rageant, mais je ne m’inquiète pas, on jouera la remontée la saison prochaine. » Sa fin de carrière pro ? « J’ai fait le maximum de ce que je pouvais faire dans le milieu. En plus à l’époque, ma maman était très malade, j’ai fait ce choix de revenir auprès d’elle, puis de rester auprès de mon papa. C’est un équilibre de vie que j’ai retrouvé, c’est comme ça. Je vends des piscines parce que les circonstances ont fait qu’à ce moment, un de mes meilleurs potes m’a proposé cette opportunité. Je suis très heureux aujourd’hui dans ma vie normale, loin des caméras. » Une deuxième clope, les confidences se poursuivent, sur les Bleus et le Mondial 98 cette fois. « Si j’ai un petit regret dans ma carrière, c’est celui-ci : ne pas avoir marqué en finale. Je dis parfois que j’aurais dû enlever les boîtes à chaussures parce qu’il faut bien en rire. » Sauf qu’il a du mal à en plaisanter justement et que le deuil n’a pas l’air complètement fait. « Je suis arrivé à la Coupe du monde complètement carbo. Avec Auxerre, on commence la saison en juin avec l’Intertoto et je dispute 72 matchs. On me diagnostique une distension ligamentaire, normalement c’est trois semaines de repos minimum, mais c’était la Coupe du monde, alors on a accéléré les soins… » Les images de Guivarc’h dans Les Yeux dans les Bleus ne sont effectivement que des rictus de souffrance : sur la table de massage, au footing… « Si c’était à refaire, je le referais, mais… Après ça, j’ai jamais pu retrouver mon niveau. C’était fini, je l’ai payé cher. » Les échecs à Newcastle, aux Rangers, le retour mitigé en France… Tout s’explique.
« C’est la tournée du patron ! »
On comprend alors qu’une soirée comme celle au Lapin rouge lui fasse du bien. Ici, il n’a que des fans et des avocats en pleine opération réhabilitation. Comme Pascal, qui a eu droit à sa dédicace avec son idole. « Les critiques l’ont descendu et je ne trouve pas ça normal. Il n’avait pas un rôle facile avec Jacquet, mais il libérait l’espace pour les autres. C’était le premier défenseur, il a pris des coups. » Abonné au Roudourou depuis 15 ans, il est passé au Lapin rouge « complètement par hasard » et restera finalement jusqu’aux buts tardifs de Griezmann et Payet, le temps de s’enfiler quelques godets, les joues maquillées en bleu blanc rouge. Son copain Dur-Dur – c’est son surnom – est quant à lui reparti avant même le coup d’envoi, satisfait néanmoins d’avoir fait signer son vieux poster de l’EA Guingamp soulevant la Coupe de France 2009. « T’es pas dessus Stéphane, mais c’est pas grave, signe quand même. » Jordi, c’est son T-shirt PMU qu’il a fait parapher, bien qu’il ne connaisse pas l’homme au bout du marqueur. « Je suis pas connaisseur, mais le foot, c’est d’abord la fête. Ça fait du bien une soirée comme ça, ça réveille la flamme qu’on a dans le cœur et qui a parfois tendance à vaciller. Il manque le grattoir, ou l’allumette. Enfin, tu vois ce que je veux dire. » Pas trop non, si ce n’est qu’on a affaire à un poète. Jordi est le fils d’Annie, la fan des PMU. Ils sont venus avec Marie-Dominique et mettent l’ambiance, surtout en avant-match. Pendant, ce sont Yoann et Romain qui l’assurent, deux frangins aspirants footballeurs actuellement en vacances et venus au troquet entre copains, enchaîner les demis et lancer quelques chants ( « Si t’es fier d’être un Français tape dans tes mains ! » ou encore « C’est la tournée du patron, on s’en va pas tant que y en a pas ! » ). « J’ai un contrat stagiaire pro avec Nancy, mais là je suis en off, donc je me lâche » , dit Romain, qui interpelle Guivarc’h, l’œil inquiet rivé sur la télé, avec ces Bleus accrochés plus que prévu : « Avec toi sur le terrain, on marquait plus tôt, sûr ! » Jocelyne, la patronne, est heureuse : « Il y a moins de monde que pour les matchs de Guingamp, mais c’est sympa, ça donne de la vie en semaine. » 23h, les Bleus sont qualifiés, les bols de soupe de champagne et de punch sont vides, les clients sont pleins, il est temps de se rentrer. Vivement le prochain match.
Par Régis Delanoë, à Guingamp