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- Espagne-Tchéquie (1-0)
On a vu Espagne-Tchéquie avec la légende Manolo
La France a Clément d'Antibes. L'Espagne a Manolo. Mais au lieu de trimbaler un gallinacé de stade en stade, Manolo est toujours accompagné de sa grosse caisse. Pour raisons de santé, il a dû rester à Valence pour le début de l'Euro. On est allé voir l'entrée en lice de la Roja dans son bar. C'était folklo.
« Buenas Manolo, ça vous dérange si on prend des photos de vous pendant le match et qu’on discute de votre passion pour la Roja ? » Si un jour, Manolo vous répond non, c’est qu’il y aura vraiment un problème. Depuis 1982, Manolo el Bombo de España écume la planète foot. En tout, le natif de Saragosse a enquillé 9 Coupes du monde et tous les Euros depuis 1984. Sauf que cette année, son médecin lui a dit de se calmer. « J’ai une arythmie cardiaque et j’avais déjà eu des problèmes de santé en 2010. Mais comme l’Espagne est allée en finale, j’étais rentré à Valence avant de repartir en Afrique du Sud. » Situé au pied de Mestalla, son bar est une ode au ballon rond et un petit peu à lui aussi. Manolo avec le roi Juan Carlos, Manolo avec Platini, Manolo avec les joueurs de la Roja. « Je les connais tous, je prends l’avion avec eux quand je me déplace. » N’ayons pas peur des mots : Manolo est une légende et un VIP, même si sa passion lui a coûté de l’argent et un bon bout de sa vie de famille. Pour se financer, il joue sur son image et sa réputation. Chez lui, vous ne trouverez pas de carte des tapas ou des boissons. Seulement la liste des prix des produits dérivés estampillés Manolo : ballons, bouteilles de vin, casquettes, porte-clefs, fanions. Derrière le zinc, il a mis sous verre une réplique de la Coupe du monde 2010. À côté trône un ballon « España » surmonté d’un bonnet du Venezuela et d’une photo dédicacée de Lothar Matthäus. Il a aussi accroché ses grosses caisses et des centaines d’écharpes au plafond. Sur un mur, il a encadré des maillots floqués Antonio Puerta et Dani Jarque.
Caméras, sosie de Sim et marche royale
La presse espagnole est venue en masse pour assister au show Manolo pour sa première représentation en Espagne lors d’une grande compétition internationale. Tout est rouge et or : drapeaux, grosses caisses, serveuses, jusqu’aux baskets de Manolo. La EFE (l’équivalent de l’AFP), la Cuatro, Telecinco et Atresmedia (groupe d’Antena 3, la Sexta et Mega) ont débarqué avec leurs caméras et leurs plus jolies journalistes. Avant le début du match, il donne une interview par téléphone et dégaine ses premiers coups de tambour qui résonnent dans le bar. Manolo fait le spectacle et donne aux journalistes ce qu’ils sont venus voir. Manifestement, il est heureux et son public aussi. Dans la salle, on trouve des habitués qui l’appellent « Manolin » et des touristes venus là un peu par hasard manger une paëlla maison réchauffée au micro-ondes. Quand ils voient le phénomène, ils ont dû mal à y croire. François-Xavier a pris sa voiture et toutes ses affaires pour un trip en Espagne et plus si affinités : « Sur un coup de tête, j’ai décidé de venir en Espagne il y a deux jours en espérant vite trouver du travail, même si je ne parle pas très bien la langue. J’ai choisi le bar par hasard, je voulais juste voir le match. J’ai eu de la chance de voir ça » , rigole-t-il, tandis qu’il multiplie les vidéos sur son portable. Affublé d’un acolyte au physique de Sim et aux lunettes psychédéliques, Manolo met l’ambiance, fait taper des mains en rythme aux personnes attablées. Mais le sommet, c’est au moment de l’hymne. Silence, tout le monde s’écarte, l’instant est solennel. Manolo se met à genoux, grosse caisse à bouts de bras au-dessus de la tête et se recueille pendant que sonne la Marcha Real. Aucun doute, Manolo est habité. Mais par qui ?
« Il te manque quelque chose ? »
C’est pas tout ça, mais Manolo a aussi un bar à faire tourner. Quatre militaires en uniforme se sont greffés au comptoir. Après une rapide discussion avec une collègue, l’un d’eux demande : « Tu aurais de la crema catalana ? Non ? Si tu as du Bailey’s, c’est parfait. » Il est 15h, on est bien. Avec ses trois serveuses, Manolo enchaîne les allers-retours d’un bout à l’autre de la barra, à faire passer Jordi Alba pour un unijambiste. Il adresse des regards à tous ses clients, s’inquiète des verres et des assiettes vides : « Amigo, te falta algo ? » (il te manque quelque chose, ndlr). Merci, on ne manque de rien, sauf d’un but. Shooté par les cadreurs qui ne peuvent rêver meilleur modèle, El Bombo de España sue sang et eau. Des gouttes de transpiration perlent le long de ses tempes. Si son toubib le voyait s’agiter ainsi… La Roja domine, mais Morata loupe l’ouverture du score face à Čech. L’occasion de rameuter la salle à grands coups de caisse claire. Le chrono défile et l’Espagne n’arrive toujours pas à percer la muraille tchèque. Fàbregas sauve la boutique sur la ligne. On s’achemine vers un 0-0, mais, comme dans les meilleures pièces de théâtre, il faut une catharsis. 87e minute : galleta rellena d’Iniesta pour Piqué, l’homme le plus sifflé du pays redevenu instantanément espagnol. Goooool ! Le dies irae de Manolo n’est pas vraiment mélodieux, mais il est à la hauteur de la délivrance. Une vingtaine de coups de tambour et quelques « olé olé olé » plus tard, le match se termine sous les applaudissements. Une nuée de caméras s’agglutine autour de Manolo pour recueillir ses premières impressions.
À Paris le 10 juillet pour le triplé
Les journalistes espagnols rassasiés, le bar vidé, Manolo se pose enfin alors que ses employées débarrassent la terrasse et rentrent les chaises. « C’est plus difficile de suivre le match ici qu’au stade, beaucoup plus stressant, sourit-il entre deux bouchées de pastèque. Je crois que la Roja n’a pas d’égale, mais c’est toujours difficile de gagner une grande compétition. Ce qu’a réalisé cette équipe est déjà immense. Franchement, je ne pensais pas voir l’Espagne gagner une Coupe du monde de mon vivant. » Cet après-midi à Toulouse, malgré la nette domination, les hommes de Del Bosque ont frôlé la correctionnelle, mais Manolo est confiant. « On a eu les meilleures occasions, Iniesta a été excellent et De Gea a l’air d’être bien. De toute façon, pour moi, cette histoire de scandale, ce n’est pas vrai. » Et quand on le chambre sur Piqué qui a souvent publiquement défendu sa catalanité, Manolo se fait pragmatique : « Pour moi, quand ils portent le maillot rouge, ils sont tous espagnols, tous égaux ! » Après avoir offert le café con hielo, Manolo confie voir déjà plus loin que ce premier tour et rêve de quitter son zinc début juillet. « J’ai beaucoup d’amis français et ce serait une grande joie d’aller les voir si l’Espagne va loin. Si la Roja se qualifie pour la finale, j’aimerais beaucoup assister au triplé au Stade de France. » Et ça, aucun médecin ne pourra l’en empêcher.
Par FM Boudet