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On a vu « Die Mannschaft », le film sur les champions du monde
Mardi dernier, la plupart des champions du monde s'étaient rendus à Berlin pour recevoir des mains du président allemand Joachim Gauck la « Silbernes Loorbeerblatt », une feuille de laurier en argent, la plus haute distinction nationale pour les sportifs de haut niveau. La fédé en a profité pour organiser le soir même la diffusion en avant-première de Die Mannschaft, une sorte de Les Yeux dans les Bleus, mais pas tout à fait.
Alors que tout le monde semble avoir oublié que Bonn fut pendant près d’un demi-siècle la capitale de l’ex-Allemagne de l’Ouest, la ville aux 320 000 âmes a encore quelques privilèges. Comme celui de diffuser Die Mannschaft un mercredi – alors qu’outre-Rhin, les sorties ciné ont lieu le jeudi. Au WOKI, une petite salle avait été mise à disposition pour le film, et les 80 tickets s’étaient écoulés en moins d’une heure. Parmi les spectateurs, une équipe de jeunes du Bonner SC (le club local), dont la moitié était coiffée comme Marco Reus, ainsi que quelques personnes âgées qui devaient avoir l’âge de ces gosses quand Fritz Walter a soulevé le trophée suprême pour la première fois de l’histoire de la RFA. Le film commence avec les moments les plus mémorables de cette épopée, avec un Thomas Müller qui explique que oui, il a fait exprès de se ramasser face à l’Algérie, que c’était une tactique travaillée à l’entraînement. On enchaîne avec ce bon vieux Cacau, qui apprend à un Philipp Lahm pas très doué en langues comment prononcer trois mots de portugais. Et là, en moins de deux, on se retrouve directement à Belo Horizonte le 8 juillet, pour ce qui restera probablement comme le match de football le plus dingue qui soit. On a de nouveau la chair de poule en revoyant les sept buts allemands, les ados applaudissent comme s’ils voyaient ce carton pour la toute première fois. Bref, en moins de dix minutes, on nous en a mis plein les yeux, on se dit que ça va être un film génial. Sauf que pas tout à fait.
Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil
À partir de là, le film adopte une structure chronologique. Les séances d’entraînement très physiques sont suivies de moments de franche camaraderie. Les matchs sont précédés de causeries. Le staff prépare le matos. Les joueurs plantent des buts. Bref, on n’apprend pas grand-chose. Pire encore, tout paraît facile pour cette équipe. Trop facile. Si Les Yeux dans les Bleus et autres documentaires type Intérieur Sport s’attardent autant sur les difficultés que doit surmonter une équipe que sur sa réussite, ici on n’évoque que cette dernière. À part le match contre l’Algérie, il n’y pas l’ombre d’un problème au tableau. Alors qu’en vrai, des problèmes, il y en a eu plein, surtout au niveau des blessures : Reus avant le départ, Neuer, Lahm, Khedira et Schweini au repos forcé encore quelques jours avant le début du tournoi, Hummels qui manque de rater la fin du tournoi. Et au final, on ne nous montre que celle de Mustafi, le gars le moins connu de cette équipe. Sont aussi passés sous silence les problèmes de certains joueurs (quid des performances parfois moyennes de Mertesacker ou Özil ?). En fait, le documentaire fonctionne un peu comme une œuvre de propagande (laissez Godwin tranquille). On y voit une jolie équipe d’Allemagne où tout le monde est gentil, consciencieux et fort. Neuer est certes présenté comme le héros sportif dans les résumés de matchs – et la réal a intérêt à avoir envoyé les bandes aux votants pour le Ballon d’or – mais au final, tous les joueurs sont traités de la même façon. Le politiquement correct, ou le mal allemand moderne.
« When You Say Nothing at All »
Néanmoins, malgré un parti pris très consensuel – du moins sur le plan du parcours sportif -, le film arrive à toucher, et cela n’en est que plus frustrant. Si l’on en croit le public, les meilleurs moments ne sont pas ceux que le réalisateur a privilégiés. Müller déguisé en paysanne bavaroise et qui assure le service suite à un pari perdu au golf, Kramer qui chante à pleins poumons When You Say Nothing at All de Ronan Keating sur le bateau qui ramène les joueurs à l’hôtel, Mertesacker et Mustafi qui se déchaînent sur le dance floor, Matthias Ginter (le benjamin de la bande) qui galère comme un malade pour aligner trois mots parce qu’il est trop bourré… tous ces moments où la personnalité bon enfant des mecs ressort devraient composer le cœur du film. Même Joachim Löw qui tripote un Blackberry en 2014, c’est rigolo. Ce sont ces moments qui, si l’on en croit les rires et autres applaudissements de l’assistance, ont embarqué les spectateurs. Pour voir et revoir les buts, pas besoin de payer 8 euros, une bonne connexion internet suffit. Idem pour les interviews face caméra des joueurs après chaque palier franchi. Die Mannschaft est un bon film, bien réalisé, et dont les meilleurs passages se situent à chaque extrémité : au début, avec le 7-1 (par la force des choses), et à la fin, avec les célébrations qui s’étalent sur quelques jours. On est dans le vestiaire, dans les bus, dans l’avion, sur le podium avec eux. On partage leur joie. La joie d’une vie.
Par Sophie Serbini et Ali Farhat, à Bonn