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- Algérie-Nigeria (2-1)
On a vécu l’incandescente nuit algérienne
Au bout du temps additionnel, l’Algérie a validé son ticket pour la finale de la CAN aux dépens du Nigeria (2-1), ce dimanche soir. Dans une ambiance bouillante, les supporters algériens ont retourné le quartier de Barbès (Paris, 18e). Et comme jeudi dernier, la fête s’est prolongée tard dans la nuit sur les Champs-Élysées. On y était.
Riyad Mahrez a marqué et Barbès a chaviré. La centaine de supporters qui regardait le match dans un restaurant de la rue de Chartres — à travers une vitre sale, un poteau central et un store à moitié baissé pendant une bonne partie de la première mi-temps — était soudainement silencieuse après l’égalisation nigériane d’Odion Ighalo. Tout au long de la soirée, pourtant, l’ambiance était particulièrement chaude, « même beaucoup plus que jeudi et la qualification contre la Côte d’Ivoire » , estime Yanis, supporter des Fennecs venu vivre le match en plein air. Dès l’avant-match, on avait pu sentir l’électricité s’emparer du quartier quand, sur les coups de 20h45, au milieu de la rue de la Charbonnière, une petite délégation sénégalaise célébrant la qualif des siens avait traversé la bouillante marée vert et blanc, sans réussir à se faire entendre outre-mesure. Et les débordements qui sont survenus sur les Champs-Élysées à la suite de la qualification des hommes de Djamel Belmadi dans le dernier carré, ce jeudi, n’ont en rien altéré l’envie et l’enthousiasme des Algériens de célébrer leur sélection.
29 ans d’attente
À Barbès, les supporters se massent devant les rares kebabs et restaurants qui diffusent la rencontre avec des téléviseurs bien trop petits pour la foule. Des petits groupes se forment à même le trottoir, on s’agglutine par quinzaine pour suivre la rencontre sur un smartphone ou on quitte le match des yeux pour communier au rythme d’un tambour ambulant qui ne cesse son boucan qu’au moment d’une éphémère embrouille. Avant que tout le monde ne converge dans la rue principale, une poignée de secondes seulement après que la frappe de Mahrez a transpercé les filets de Daniel Akpeyi. Les gorges se dénouent soudainement, et chants fraternels, tambours, pétards, fumigènes et même feux d’artifices viennent colorer cette nuit du 14 juillet. Croisé boulevard de la Chapelle, celui que l’on surnomme « West Coast » est au top de son affaire et c’est la raison pour laquelle il se montre un peu pressé : « Je dois aller vendre des drapeaux, ils m’attendent. Tout le monde nous en prend ! Les maillots, on est même en rupture de stock ! »
Pendant que les containers et poubelles retournées servent d’estrades aux supporters les plus chauds, Rachid profite de la scène, en retrait, drapeau algérien noué autour du cou : « Cette foule est incontrôlable. Incontrôlable ! » lâche le cinquantenaire au visage rougi par la lueur des fumigènes, venu exprès du Kremlin-Bicêtre (94) pour vibrer. « Je vous parie qu’il y aura encore des débordements, mais il faut comprendre pourquoi. Ils sont jeunes, et ne se sentent pas intégrés en France. Ils ont besoin de se faire entendre, à l’image des manifestations qui ont lieu en ce moment en Algérie. Alors ils foncent, ils ne réfléchissent pas aux conséquences et ce trop plein d’émotions peut laisser place à des dérives… » Juste à côté de lui, Mammar filme les scènes de joie en direct. À la Goutte d’Or depuis 1974, l’homme de 63 ans a troqué sa télévision pour la rue. « J’habitais déjà là en 1990 quand on a gagné la CAN (la dernière finale de l’Algérie, N.D.L.R.), mais ce n’était pas du tout la même atmosphère. Maintenant, avec Internet et les réseaux sociaux, tout le monde a envie d’être présent. »
Yassine, lui, n’était pas encore né il y a vingt-neuf ans, mais il était déjà présent à Barbès pour le quart de finale quatre jours plus tôt, finissant la soirée sur les Champs. « Malgré les débordements de la dernière fois, on va y retourner pour fêter ! » s’enthousiasme-t-il avant d’enchaîner. « Cette fois en revanche, ils ont fermé toutes les stations de métro aux alentours, du coup je ne sais pas trop comment on va faire. Mais on y sera, c’est une certitude, pourquoi pas dans un cortège géant. » « Sur ordre de la préfecture de police en raison de la Coupe d’Afrique des nations, certaines stations ont été fermées au public » , avait effectivement prévenu la RATP, renforçant l’idée que l’événement égyptien se passe aussi en grande partie dans l’Hexagone. Le supporter des Verts ne ment pas : à 23 heures à peine, le métro est déjà progressivement envahi et secoué à base, évidemment, de « One, two, three, viva l’Algérie » , sous les regards médusés de Parisiens qui pensaient peut-être jusqu’ici passer un dimanche sans saveur. Qu’importe : bientôt, la plus belle avenue du monde est submergée par les Fennecs au moment où le spectacle pyrotechnique clôturant les longues festivités de la fête nationale arrive à son terme, pour un changement d’ambiance assez lunaire de la contemplation à la folie communicative. Bref, on ne sait plus trop ce que l’on célèbre, mais on le célèbre bien.
364 jours plus tard
Escortés par la police, beaucoup de supporters se rendent sur les lieux à pied, suivis par une odeur de pilon qui met un bout de temps à se dissiper. Si les forces de police veillent au grain, le cortège s’époumone dans la bonne humeur malgré l’impatience d’arriver. Sur l’artère, encore dans son costume du 14 juillet, les voitures affluent par milliers et le concert de klaxons retentit. Un immense drapeau français au cœur de l’Arc de triomphe et des centaines vert, blanc et rouge tout autour de la place de l’Étoile, voilà le tableau. Dans les voitures ou sur leur toit, les effusions de joie sont légion. Farid, 31 ans, a accouru dès le coup de sifflet final depuis Boulogne-Billancourt, où il a suivi la rencontre au resto. Et c’est peu dire qu’il est comme un gosse. « Il reste une étape ! J’étais trop petit en 90. C’est exceptionnel ! On espère que la fête va durer longtemps. Et bien se terminer cette fois. » Perdus dans la masse, quelques Sénégalais refont également leur apparition, partageant même parfois la voiture de leurs futurs adversaires. On peut même apercevoir un peu de Tunisie et de Maroc. À quelques mètres de l’Arc, l’ambiance devient de plus en plus chaude et la circulation s’arrête soudainement, laissant place à des scènes de liesse aussi nombreuses que bruyantes. Sur les trottoirs, séparés de la chaussée par des cordées de CRS, les commerçants ont baissé leur rideau et se sont barricadés, mais aucune violence n’est à déplorer.
Vers minuit et demi, une voiture tente de se frayer un chemin à travers le cortège, mais elle tombe nez à nez avec une autre, sur laquelle deux jeunes Algériens brandissent fièrement le maillot des Fennecs. Autour, hommes, femmes et enfants sont réunis et paradent comme si cette CAN 2019 était déjà la leur. Sous l’œil perplexe des forces de l’ordre, l’allégresse est communicative et quelques mouvements de foule sèment le trouble par moments. Les feux d’artifices et les fumigènes reprennent de plus belle et éclairent de vert l’étendard tricolore qui orne encore l’Arc de Triomphe. Justement, le triomphe se lit sur le visage des supporters algériens. Les incidents seront moins graves qu’après le quart de finale, même si la préfecture de police de Paris comptera 169 interpellations et de nombreuses voitures incendiées – en marge de la célébration du 14 juillet ou de la fête algérienne – dans la capitale et en petite couronne le lendemain. Ici et là, à l’écart du tumulte de l’artère double championne du monde, des petits groupes paradent et chantent dans leur coin. Comme un an plus tôt quasiment jour pour jour, lors du sacre mondial des Bleus, une fois la fête terminée et les supporters évacués, le silence reprend peu à peu ses droits sur les Champs-Élysées. Les klaxons s’éloignent, la fumée s’évapore et l’avenue s’offre du répit, au moins pour quelques nuits : il reste une marche, la plus haute, à franchir ce vendredi. Pour tomber, définitivement cette fois-ci, dans la folie.
Par Arthur Stroebele, Jérémie Baron et Maxime Renaudet
Tous propos recueillis par AS, JB, MR.
Crédits photos : AS et MR.