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On a vécu le quart de finale du FC Versailles à domicile et à l’extérieur

Par Julien Duez (à Périgueux), Bilal Bey et Florian Porta (à Versailles)
14 minutes
On a vécu le quart de finale du FC Versailles à domicile et à l’extérieur

Au terme d'un scénario déconseillé aux cardiaques, c'est finalement le FC Versailles qui a décroché son ticket pour les demies. Une journée royale pour les supporters yvelinois, à commencer par la centaine de courageux qui ont avalé 500 bornes en plein milieu de semaine pour voir Bergerac tomber aux tirs au but. Sur leurs bases, aux abords du château du Roi Soleil, ils étaient près d'un millier à vivre l’épopée à distance. Dans les deux cas, la fête était belle.

Gare de Versailles-Chantiers, sortie principale, au feu à gauche. La boulangère n’a pas encore fini de ranger les sandwichs du midi derrière la vitrine, la journée commence comme d’habitude, tranquillement. Et tout à coup, une commande qui tombe, pleine d’aplomb et d’assurance : « Bonjour madame, quinze baguettes s’il vous plaît. » Un peu décontenancée, l’artisane s’exécute en remplissant le sac ramené exprès pour repartir avec le butin. « C’est pour le déplacement des supporters du FC Versailles », ajoute-t-on avec un sourire. Un rapide coup d’œil sur le comptoir permet de constater que l’établissement ne semble pas très porté sur le ballon rond : pour preuve, cet autocollant de sponsor du Rugby Club de Versailles qui s’affiche en bonne place.

Qu’importe, à dix minutes de là, les 56 personnes qui se sont donné rendez-vous à l’entrée du stade Montbauron savent très bien pourquoi elles sont là : leur FC Versailles s’apprête à défier Bergerac, autre pensionnaire de N2, autre surprise de la Coupe de France, à Périgueux. Les 56 courageux veulent en être. Le bus est plein, et le trajet est gratos. Seule une contribution au pique-nique aller et retour est requise. D’où les baguettes. Et la charcut’. Et les bières. Et les cubis de blanc et les quilles de rouquin. Et les chips. Et les mandarines. Bref, il y a de quoi faire un sacré banquet gaulois, et c’est mérité car, hormis quelques retraités et chômeurs, tout le monde a sacrifié quelque chose pour se farcir 1000 kilomètres aller-retour en pleine semaine. Ici, un jour de congé, là, une présence en cours, au lycée ou à la fac, mais à chaque fois, la justification est la même : « Ça n’arrive qu’une fois, on ne va quand même pas manquer ça ! »

On the rodage again

Non, clairement, on ne va pas manquer ça. Sauf ce gars qui s’est pointé sans pass sanitaire. Tant pis pour lui, les règles édictées sur le groupe Whatsapp des organisateurs étaient claires dès le début. « De toute façon, il n’aurait pas pu entrer au stade sans », lâche Bruno, clope au bec, en faisant le comptage. Bruno, c’est pas loin de 30 ans de FC Versailles dans les pattes. « Un club familial, un vrai. Du genre où on se tape des huîtres un jeudi à 22h30 et où on prend l’apéro sous un parapluie quand il pleut », illustre ce vétéran parmi les vétérans, déjà présents lors des déplacements à Sarre-Union et à Toulouse, lors desquels l’écurie yvelinoise a contribué à écrire l’une des plus belles épopées de son histoire. « Ce n’est pas facile d’organiser un déplacement pareil, souffle Anthony, président de l’Association sportive du FC Versailles 78. Surtout dans un délai si court. On est pour ainsi dire encore en rodage. » Ça tombe bien, Versailles est une ville qui s’y connaît en matière de rodage : « Plein d’artistes viennent chez nous pour y roder leurs spectacles. C’est vrai que le foot est un peu le parent pauvre de la municipalité, mais culturellement, il y a plein de choses à faire ici », assure Stéphanie, l’épouse d’Anthony, qui effectue son premier déplacement avec la troupe.

Après trois heures à rouler sous un soleil d’hiver qui réchauffe les cœurs, il est temps de se poser sur une aire d’autoroute pour découper les baguettes et les garnir de victuailles. L’occasion d’apprendre que, contrairement à Stéphanie, tous les joyeux drilles du jour ne sont pas des Versaillais pur jus. À l’image de Paulo, qui réside à Marly-le-Roi et s’est découvert une passion FC Versailles voici quelques mois : « J’étais du déplacement à Toulouse et, en championnat, je ne manque plus aucun match à domicile », confie le jeune homme, devenu la mascotte du groupe. Clément et Nico, tous deux étudiants expatriés en école de commerce, ont renoué avec leurs origines yvelinoises, hypés par la vague Coupe de France et vibrent davantage qu’avec leur équipe de cœur : les Girondins de Bordeaux. Dans le bus et dans la tribune, impossible de les manquer, coiffés de leur perruque style Louis Croix-V-Bâton. Une excentricité qui leur a valu quelques passages à la télé et un coup de projecteur supplémentaire pour l’équipe de la ville des rois de France : « C’est totalement calculé, avouent-ils en s’enroulant les épaules d’un large drapeau à fleurs de lys. On joue sur l’image de la ville, le club est en plein développement, c’est un moyen de le mettre en avant avec des symboles que tout le monde connaît. » Les deux futurs diplômés visent juste : à leur sortie du car, ils sont les premiers sur qui sautent les médias présents sur le parking du stade Francis-Rongiéras de Périgueux.

Il aura fallu sept heures de route, pauses comprises, au commando pour arriver à bon port. C’est-à-dire, à cinquante bornes de Bergerac, dont l’enceinte habituelle n’était pas aux normes pour accueillir la rencontre. « On voulait jouer la rencontre au Matmut Atlantique, rejoue Orlando, un autre taulier de la maison versaillaise. Mais le président du FCBP a fait le forcing pour que le match ait lieu à Périgueux, soi-disant parce que c’était moins loin pour eux. Ça a donné lieu à un petit clash par réseaux sociaux interposés », glisse-t-il. Et à quelques chants maison, répétés à foison dans le bus : « Oh Christophe Fauvel, le Kop du Roy est descendu ! Oh Christophe Fauvel, on va t’envoyer à Intermarché ! », lancent une nouvelle fois les Versaillais avant d’entrer dans le parcage. Le boss périgourdin est prévenu.

Versailles, place du Marché Notre-Dame, 17h30

Il ne faut pas se laisser avoir par les quelques hommes et femmes qui occupent la place encore quasi vide en débarrassant les étals ayant servi au marché juste avant. Dans peu de temps, ils seront mille. Tout a été préparé pour l’occasion : l’écran géant, les routes barrées tout comme l’arrêt de bus fermé qui oblige à se taper une petite marche depuis la gare. Il y a des airs de Champs-Élysées un soir de 31 décembre ou de finale de Coupe du monde. Laurent, speaker du soir, aura la lourde tâche d’animer la soirée qui s’annonce déjà chaude et pas seulement à cause des températures quasi printanières : « Ça me rappelle un certain 18 mars 1993, PSG-Real Madrid, il flottait un peu la même chose dans l’air », ose-t-il carrément.

Peu après 18h, la place est pleine à craquer ! Tout comme le stade Francis-Rongiéras de Périgueux d’ailleurs. Si les locaux peinent à trouver un siège en honneur, où le placement est libre, les visiteurs, rejoints par une cinquantaine de têtes venues par leurs propres moyens, ont eu la désagréable surprise de constater que l’organisation leur a imposé de cohabiter avec des supporters bergeracois, et ce, sans une quelconque forme de séparation entre les blocs. Après les incidents lors du match PFC-Lyon, on croit rêver. Et on n’espère aucun débordement. À Versailles, la place du Marché a fini de se remplir et l’engouement est bien présent. D’après Thomas, un jeune supporter habitué du stade Montbauron, c’est à souligner : « Versailles n’est pas une ville très branchée foot, donc c’est cool de voir autant de monde aussi chaud pour un quart ! L’engouement autour de Versailles est partout maintenant », s’enthousiasme le jeune homme. 18h15, le coup d’envoi approche. Laurent en profite pour narrer l’histoire du club à la foule dans laquelle se cachent peut-être de futures recrues pour les travées du FCV. Et alors que l’arbitre s’apprête à dégainer son sifflet, il se fend d’un prono : « Tiré par les cheveux : 1-0 pour Versailles ! », assène-t-il en retirant sa casquette qui dévoile son crâne chauve. Éclat de rire général. Force est de constater que ce type est très bon.

Steve Ier, roi du chambrage

Dans leur kop, animé par une banda – pays de rugby oblige -, les supporters de Bergerac ont démarré les hostilités d’entrée de jeu : « Versailles, les seuls demis que vous verrez, c’est ceux de la buvette. » Pas plus cordiale, la tribune d’honneur se fend d’un « C’est pas Versailles ici, éteignez-les ». Au tambour, Pierrot se marre en désignant d’un coup d’œil l’une des nombreuses banderoles bâchées par le parcage : « On l’a piqué aux supporters de Sarre-Union au mois de décembre. Eux aussi avaient écrit « C’est pas Versailles ici ». Depuis, elle nous porte bonheur, on n’a pas perdu un match avec ! » Si le public local est timide, se contentant de rugir aux nombreuses fautes commises par les Yvelinois, ce n’est pas le cas des visiteurs, qui ne se sont pas « tapé 500 kilomètres pour ne pas y croire », dixit Bruno au micro du reporter de France Bleu Périgord. Message reçu par Steve, en charge du mégaphone et qui assume sa tâche comme un capo un soir de Ligue des champions. Pas question de laisser une seconde de répit aux adversaires : « Allez les gars, on fait du bruit ! En face, ils ont envoyé le centre de loisirs ! On les entend pas ! Ils ne sont même pas chez eux ! Mais nous, on est chez nous, allez ! »

À Versailles, la rapide ouverture du score d’Inza Diarrassouba a permis à l’esprit du supportérisme d’envahir la place du Marché. « On essaye de mettre l’ambiance parce que ce n’est pas trop les habitudes ici, mais les gens sont très très chauds », se réjouit Thomas, dont le groupe sert de relais local à Steve. Bien aidé par Laurent, il faut le dire, et les commentateurs d’Eurosport qui, en évoquant en direct le rassemblement public, ont enflammé un peu plus le millier d’aficionados. À la pause, Versailles est devant et c’est un public fier de son équipe qui va se ruer dans les nombreux bars à proximité. C’est avec une bonne bière à la main qu’Arthur joue au consultant après cette première période : « Versailles bien au-dessus, Bergerac en dessous. On a facilement 60% de possession. » Rien que ça, il prédit également une seconde période encore plus fastueuse : « Djoco va marquer son but, Pham Ba également. Pour moi, ça se terminera en 4-0 pour Versailles. » On a connu meilleur pronostiqueur, mais la confiance en son équipe est bien présente !

Coup de pouce céleste

Cette confiance, on la devine également sur le visage d’un supporter providentiel ? Un peu à l’écart de la foule, un homme d’une cinquantaine d’années encourage le FCV78 avec, dans sa main droite, un instrument détonnant pour un match de foot, mais qui a toute sa place dans la cité royale : un clairon. Cet éphémère ultra, c’est l’abbé Pierre Amar. « Le stade Montbauron est sur le territoire de ma paroisse », lance-t-il, comme pour justifier sa présence.

Suivi par plus de 24 000 personnes sur Twitter, l’équivalent de quatre Montbauron, l’homme d’Église, à la suite de la qualification de ses protégés en quarts de finale, poste ce message : « Promis : je dépose un cierge dans l’église Saint-Symphorien pour favoriser la victoire lors du prochain match. » À sa grande surprise, le club lui répond, demandant à voir ça. Le vicaire ne se débine pas : « J’ai mis un logo sur le cierge et l’ai déposé à l’église. Je pense que le bon Dieu a autre chose à faire que de soutenir les équipes de foot. Mais bon, la joie commune, la fraternité, le respect des règles, l’effort physique, ce sont des valeurs qui me parlent. »

Non sans avoir fait résonner son clairon, il se marre : « Si le curé de Bergerac a fait pareil, on est mal ! » Pour le moment, il faut croire que non. Pour remettre tout ce petit monde dans le match, Laurent passe la main, ou plutôt le micro, à Alexandre Nedeljkovitch, vice-président du club : « Évidemment qu’on va gagner », martèle-t-il. Avant de se mettre à rêver de deux nouveaux buts afin de pouvoir se la jouer France 98 et faire résonner le mythique « Et un, et deux, et trois zéro ! » jusque sous les fenêtres du Roi Soleil, tant pis pour son sommeil.

Le roi du silence

La partie reprend enfin au moment du deuxième « qui ne saute pas n’est pas versaillais » de la soirée. Alors que le match patine et commence à se tendre, le public reste pris à ce nouveau jeu. À la 63e, un pogo est lancé dans la foule avant que deux fumigènes, véritable dédicace à la LFP, ne viennent faire rougir l’esplanade.

L’arbitre reçoit ensuite son quota de huées en adressant un premier carton jaune à Christopher Ibayi. Les sifflets redoublent lorsque l’officiel l’expulse finalement deux minutes plus tard. La foule commence à imaginer le pire. Chaque raté des Bergeracois est désormais accueilli comme une occasion versaillaise : avec de chaleureux applaudissements. Du côté de Périgueux, c’est l’inverse qui se produit. Les locaux commencent à y croire, tandis que dans le parcage, il faut le tambour de Pierrot, la trompe de Bruno et le mégaphone de Steve pour éviter de tomber en syncope. Le chronomètre défile, lentement, mais rapproche un peu plus le FCV78 de l’ivresse du prochain tour au rythme des « ça sent bon » et autres « on va le faire ». Tout d’un coup, la stupeur. Bergerac vient d’égaliser. Au stade, quelques locaux tentent d’approcher les visiteurs pour lâcher toute la frustration accumulée par 90 minutes de chambrage non stop. Réactifs, les gars de la sécu forment un cordon improvisé pour empêcher un éventuel affrontement. Dans la minute qui suit, la place du Marché, comme un seul homme, se remet à pousser derrière ses ouailles, plus fort que jamais. La séance de tirs au but, qui se profile au bout des quatre minutes de temps additionnel, devient, désormais, leur nouvel objectif. En espérant que d’ici là, les joueurs d’Erwan Lannuzel ne doublent pas la mise. Les trois coups de sifflet de Jérôme Brisard mettent finalement fin à leurs angoisses ou en annoncent plutôt de nouvelles. Tout va se jouer sur ce que certains comparent à un coup de dés. Mais tous ne peuvent pas compter sur l’abbé Amar.

Après avoir vu ça…

La cité royale s’embrase à chacune des tentatives réussies par Melvyn Vieira et ses coéquipiers. Les tireurs adverses sont, eux, accueillis par des « il va le rater ». Comme pour donner tort au vicaire, la chance, le destin ou peut-être bien une intervention divine va exaucer leurs prières. Versailles rejoint le dernier carré, faisant exulter la place. Cris de joie et fumigènes viennent troubler une nuit versaillaise, d’ordinaire si paisible. À Périgueux, les Versaillais savourent la communion avec leurs joueurs et le feu d’artifice offert par le FCBP, tandis que ceux qui espéraient que celui-ci leur soit destiné quittent lentement le stade, la tête basse, mais fair-play. « Merci Fauvel, fallait pas ! », lance-t-on. Hormis cette nouvelle démonstration de « folklore », aucun incident à déplorer.

Laurent, tout sourire, se saisit une dernière fois de son micro pour annoncer que « Versailles est en demi-finales de la Coupe de France », comme pour se persuader lui-même. Il se dit « soulagé et très fier pour ces joueurs ». À tel point qu’il en perd ses mots : « Je ne sais pas comment l’expliquer, c’est humain, on ne les connaît pas tous, on ne les a pas beaucoup vus jouer, ils représentent Versailles et on est juste heureux. » Encore accoudé à une barrière, Philippe, soixante et quelques années, dont vingt passées sous le maillot du FC Versailles, est dans le même état : incrédule. « Je ne pensais pas voir ça de mon vivant, mon ancien club en demi-finales, avoue-t-il, écharpe du club autour du cou. C’est une fierté, beaucoup d’émotions surtout. Au fil des tours, on s’est mis à y croire parce que les équipes d’en face n’étaient pas supérieures à la nôtre, à part Toulouse », confesse l’ancien joueur. Speaker d’un soir, Laurent se verrait bien renouveler l’expérience lors du prochain tour et espère que ce coup de projecteur, inattendu, permettra à la ville de se débarrasser des « nombreux clichés qu’elle trimbale ».

« Je souhaite que Versailles reçoive en Île-de-France plutôt que d’inverser le match comme face à Toulouse. On a les moyens de trouver un stade dans la région plutôt que de se déplacer encore », surenchérit le sexagénaire. Et pour le futur adversaire, il a, là encore, sa petite idée. « Pourquoi pas Monaco au prochain tour. Les princes face au roi, ça serait sympa, non ? », rigole-t-il. Le tirage au sort a finalement désigné Nice comme futur adversaire des Yvelinois. « On s’en fout, on craint personne ! », lâche Paulo dans le bus, en même temps que sa douzième bière, avant de sombrer dans le sommeil du juste. En arrivant aux abords de Montbauron sur les coups de 4h du mat’, quelqu’un lâche en s’étirant : « Ouah ! J’ai fait un sacré drôle de rêve. » Quel genre ? « J’ai rêvé qu’on se qualifiait pour les demi-finales de la Coupe de France ! » Malgré l’épuisement, tout le monde trouve la force de se marrer une dernière fois. Ce n’est pas tous les jours qu’on passe une journée aussi royale.

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Photos : BB, JD et FP

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