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Fratelli di Germania

Par Julien Duez, à Wolfsburg

En Allemagne, Wolfsburg est considéré comme le « village gaulois » de la communauté italienne. C’est en effet dans la cité des Loups qu’est arrivé au début des années 1960 un important contingent d’ouvriers transalpins pour travailler chez Volkswagen. C’est aussi à Wolfsburg qu’est né le tout premier club communautaire du pays. Six décennies plus tard, l’USI Lupo-Martini est toujours bien vivante et c’est là qu’il fallait impérativement être pour suivre le match de la Nazionale contre la Croatie.

Fratelli di Germania

Situé sur les hauteurs de Wolfsburg, le Stadio Lupo héberge l’Unione Sportiva Italiana (USI) Lupo-Martini depuis un peu plus de 20 ans, dans un cadre résidentiel et verdoyant. Une petite tribune couverte, un synthétique d’entraînement, un terrain annexe et un club-house qui propose une carte digne de n’importe quelle bonne trattoria transalpine : pas de doute, c’est bien un petit morceau de foot amateur italien qui s’offre au visiteur en plein cœur du Land de Basse-Saxe. Le parking de ce pensionnaire d’Oberliga (D5, régionale) ressemble en revanche à celui d’une concession Volkswagen. Mais quoi de plus normal quand on sait que l’USI Lupo-Martini est née de la fusion de deux clubs communautaires locaux, le premier ayant été fondé en 1962 par la marque automobile pour occuper ses ouvriers, alors tout juste arrivés en provenance de l’autre côté des Alpes pour aider à assembler des bagnoles au service de la jeune RFA.

Aujourd’hui encore, dès l’arrivée en gare, le ton est vite donné : Wolfsburg est une ville moyenne – 126 000 habitants – qui vit par et pour Volkswagen. Ainsi, l’office du tourisme propose-t-il par exemple des paquets de pâtes qui commémorent le 50e anniversaire de la Golf, modèle qui s’est écoulé à 2000 exemplaires par jour depuis son lancement, excusez du peu, tandis qu’au supermarché local, on peut se procurer de la currywurst et du ketchup fabriqués par VW et considérés – tout à fait objectivement – comme « les meilleurs du pays ». Dans les rues, rouler pour une autre marque relèverait presque du crime de lèse-majesté. Logique quand elle emploie 60 000 personnes sur un site grand comme trois fois Monte-Carlo. « Mon père était cependant l’un des rares en ville à ne pas rouler en VW. Il avait sa vieille Citroën dont il était très content, rejoue Pietro Ficara, troisième génération et vice-président de l’USI. Un jour, Volkswagen l’a retrouvé grâce à son numéro de plaque et envoyé un courrier à la banque où il travaillait pour demander pourquoi il ne roulait pas dans un modèle de la marque. » Le paternel a finalement changé de chignole, mais pour une Mercedes, histoire de rester dans la provoc jusqu’au bout. Son fils, lui, est plus consensuel et s’affiche au volant d’un SUV fabriqué par son employeur, chez qui il officie en qualité de développeur technique.

En traversant le Mittellandkanal, le plus long d’Allemagne avec ses 325 kilomètres, on accède directement au Disneyland local : Autostadt. Un parc d’attractions ouvert par la firme en 2002 et qui, en plus d’un musée à sa gloire, propose le temps de l’été une foultitude d’attractions gratuites allant de structures gonflables à un circuit de petites autos électriques, en passant par une plage artificielle et des balades en pédalo en forme de cygne à l’ombre de l’ancienne centrale thermique, l’un des bâtiments historiques du site, toujours en activité depuis son érection en 1938, année qui coïncide avec la fondation de Wolfsburg, passé d’un petit hameau connu pour son château du XIVe siècle à une place forte de l’industrie automobile mondiale.

Inaugurée par le régime nazi, l’usine est destinée à assembler les Coccinelles promises par Adolf Hitler à son peuple, mais la Seconde Guerre mondiale la reconvertira temporairement au profit de l’industrie de l’armement. Après la capitulation allemande, elle retrouve sa fonction première, mais le pays, en ruines, manque de main-d’œuvre. Le nouveau PDG, un catholique fervent du nom de Heinrich Nordhoff, profite de ses bons contacts avec le Vatican pour solliciter l’envoi de travailleurs italiens à Wolfsburg afin de renforcer ses effectifs. Le début d’une relation entre la cité des Loups et le pays de la Botte partie pour durer.

Fête à la baraque

La chose est moins connue, mais les premiers ouvriers italiens sont en réalité arrivés à Wolfsburg dans les années 1930, pour aider à construire l’usine Volkswagen, au nom de l’amitié entre le Duce et le Führer. Aujourd’hui, l’histoire retient surtout les Gastarbeiter, ces « travailleurs invités » arrivés par wagons entiers trois décennies plus tard et dont on estime que 10% des centaines de milliers d’appelés sont finalement restés en Allemagne. Rocco Lochatto était de ceux-là. Né en Calabre il y a 73 ans, il a fait partie de la première génération : « Je suis arrivé par le train de Milan en 1961, on nous attendait à la gare de Wolfsburg avec un panneau Volkswagen et on nous a directement emmenés remplir les formalités administratives pour être prêts à travailler le jour suivant. C’est ça l’efficacité allemande ! », se marre-t-il. On le retrouve quelques heures avant Croatie-Italie à la terrasse du club-house, où les licenciés le saluent encore comme le « Presidentissimo », bien qu’il ait rendu son tablier depuis maintenant des années.

Quand Rocco parle, on l’écoute. Nul ne s’autoriserait en effet à interrompre la mémoire vivante du club, qui commence par rappeler que les ouvriers italiens étaient entassés dans des baraques à proximité du Berliner Brücke, le pont de Berlin, où s’élève aujourd’hui le stade du VfL Wolfsburg, baptisé – ça ne s’invente pas – Volkswagen Arena. « Plus de 7000 personnes vivaient dans ces baraques, et au départ, les loisirs étaient peu nombreux en dehors du travail. C’est pour cette raison que le service social de VW a décidé d’organiser des tournois de foot, en sachant bien que les Italiens sont connus pour être fous de ballon, narre-t-il en choisissant posément ses mots, dans un allemand soigné. Chaque baraque avait son équipe. Puis, avec l’aide d’un prêtre italien, Don Parenti, le SC Lupo [en référence au loup, animal totem de Wolfsburg, NDLR] a été créé. » « Il faut dire que c’était aussi un moyen d’éviter les débordements. Mon père était là lui aussi et il m’a raconté que VW avait un service de sécurité qui gardait le camp – car c’en était bien un, prolonge Giuseppe Genetiempro, deuxième génération. De plus, beaucoup d’ouvriers étaient communistes ce qui, un an après la construction du mur en RDA, était assez mal vu ici. » Le foot comme bon moyen d’empêcher les masses laborieuses de se rebeller contre leurs patrons, donc. Et de leur faire oublier leur solitude, loin de la mère patrie où ils ne retournent que pendant les deux mois d’été, grâce à un train spécialement affrété par l’entreprise : « Il existe des photos sur lesquelles on voit des ouvriers qui attachent carrément une machine à laver sur le toit, sourit Pietro Ficara. Le plus souvent, ils revenaient en Allemagne seuls, car à l’époque, l’offre en matière de logements était insuffisante. Et par la suite, il était interdit à plus d’une famille étrangère de résider dans un immeuble pour éviter un effet de ghettoïsation. »

Fusion progression

Au mitan des années 1970, la population italienne de Wolfsburg franchit la barre des 10 000 âmes. Les baraques disparaissent peu à peu, le regroupement familial devient une réalité, et la fédération régionale abandonne une règle qui interdit à une équipe de faire jouer plus de deux étrangers dans son effectif. « Pour un club de Gastarbeiters comme le nôtre, ç’a été une libération puisque nous avons pu commencer à participer à des compétitions officielles », souligne Rocco Lochiatto. En parallèle du SC Lupo, une deuxième équipe communautaire voit le jour : l’US Martini.

Quand la saison débutait en août, on rentrait de six semaines de vacances en Italie et autant de kilos en trop. Autant dire qu’on commençait à marquer des points à partir du mois d’octobre.

Pietro

Une légende raconte qu’elle tire son nom de la célèbre marque de boissons alcoolisées, dont les fondateurs espéraient qu’elle entendrait parler d’eux et les soutienne financièrement. « Mais ce n’est finalement jamais arrivé, précise Giuseppe Genetiempro. Et en 1981, les deux équipes ont fini par fusionner pour unir leurs forces, plutôt que de s’affronter dans la même division. » Avec un certain succès sportif qui lui fait gravir les échelons, d’abord locaux, puis régionaux. Le tout, souvent devant plus de 1000 spectateurs survoltés et tranchant avec les ambiances habituellement mornes dans la région. « Malgré tout, ce n’était pas toujours simple contre nos adversaires. Même si les Italiens s’intégraient bien dans la société, on se faisait traiter de “spaghettis”, ce genre de chose, poursuit-il. Et quand on a commencé à s’ouvrir à des joueurs non italiens, les Allemands qui signaient chez nous étaient vus d’un mauvais œil : on les insultait parce qu’ils jouaient pour une équipe de basanés… »

À regarder l’effectif actuel de l’équipe première, le « I » de USI pourrait signifier « Internazionala » plutôt qu’« Italiana ». 90% des joueurs sont en effet allemands et les noms à consonance italienne sont devenus des exceptions. « Si on n’a pas changé de nom, c’est pour garder notre identité, on reste un repère culturel pour la communauté italienne », explique Rocco le patriarche. Pietro, le vice-président, estime pour sa part qu’il fallait mettre une touche de germanité sur le plan sportif, afin de permettre à l’USI de casser son image de social club pour concurrencer sérieusement les rivaux locaux. Le nom du révolutionnaire : Wilfried Kemmer. Un coach à la dure qui a fait ses preuves chez les voisins surpuissants du VfL Wolfsburg. « C’est Wilfried qui nous a apporté le professionnalisme dans les années 1990. Avant lui, quand la saison débutait en août, on rentrait de six semaines de vacances en Italie et autant de kilos en trop, se souvient l’ancien numéro 6. Autant dire qu’on commençait à marquer des points à partir du mois d’octobre et qu’on devenait vraiment sérieux après la trêve hivernale ! »

Astérix et Obélix à Wolfsburg

L’anecdote peut prêter à sourire, n’empêche que dans les années 2010, Lupo-Martini a joué deux saisons en Regionalliga, le quatrième échelon allemand. Soit l’accomplissement de décennies de travail acharné, démarré par des ouvriers immigrés de Volkswagen qui n’avaient même pas vocation à rester. La saison prochaine, l’objectif sera d’y retourner, après avoir manqué de peu la promotion lors de l’exercice 2023-2024. Trèves de calculs, Fratelli d’Italia vient de retentir et les Lupi se ruent autour d’une table où de succulentes pizze viennent d’être servies. Sur le pré, les Azzuri n’en mènent pas large, au grand dam des spectateurs qui, malgré la double culture qu’ils se sont construite avec les années, n’ont pas de sélection de substitution quand on touche au football. Heureusement, le but salvateur de Mattia Zaccagni à la toute fin du temps additionnel est venu libérer tout un peuple, à commencer par la trentaine d’Italo-Wolfsburger désormais en quête de billets pour assister au huitième de finale contre la Suisse, prévu ce samedi à Berlin, à seulement 200 bornes de leurs bases.

Sur le chemin du retour, Pietro râle contre la police qui a bloqué l’accès au centre-ville pour empêcher les célébrations. « De toute façon, je crois qu’on a intérêt à ne pas trop la ramener vu le football qu’on pratique en ce moment », marmonne-t-il en désignant une poignée de supporters klaxonnant joyeusement à proximité du Consulat d’Italie qui dispose d’une antenne dans la cité. Puis, il dégaine son smartphone et montre une vidéo de la célébration de la victoire à l’Euro 2021, lorsque les rues de Wolfsburg étaient noires de monde et le ciel illuminé de feux d’artifice vert blanc rouge. « Ici, c’est un peu le village gaulois des Italiens en Allemagne, conclut-il. On revivra à coup sûr des scènes comme celle-ci si on atteint au moins les demi-finales. » En attendant, la ville s’endort paisiblement. Sauf les ouvriers de Volkswagen qui s’apprêtent à démarrer leur service de nuit. « Ça concerne d’ailleurs certains de nos joueurs, glisse Pietro. Aujourd’hui encore, presque tous travaillent directement ou indirectement pour VW. » Comme un rappel qu’à Wolfsburg, tous les habitants ont deux équipes dans leur cœur, qu’ils soient allemands ou italiens.

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Par Julien Duez, à Wolfsburg

Photos : JD et archives de l’USI Lupo-Martini

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