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On a testé les derbys dans les Chaudrons
ASSE-OL dimanche dernier dans le Chaudron de Geoffroy-Guichard. Mais aussi derby wallon Standard-Charleroi le vendredi précédent dans le Chaudron de Sclessin. So Foot y était. Bilan comparatif, garanti sans mauvaise foi.
Le week-end dernier, l’attention de la France du football a été centrée sur le Chaudron Vert de Geoffroy-Guichard et sur le principal derby français. Deux jours avant, quelques centaines de kilomètres plus au nord, un autre derby opposait les deux plus grandes villes de Wallonie, Liège via son Standard et Charleroi représenté par son Sporting. Souvent qualifié d’Enfer, le stade liégeois de Sclessin est aussi désigné comme le Chaudron des « Rouches » (rouges en langage local). On a donc décidé de suivre ces deux matchs dans le kop, au premier étage de la tribune 3 avec les Ultras Inferno à Liège, en kop nord avec les Magic Fans à Saint-Étienne. Maintenant que nos doigts, soumis aux rigueurs de l’hiver, ont enfin dégelé, il est temps de dresser un bilan comparatif de ces deux derbys, à partir de 20 critères hautement scientifiques.
Environnement
Sclessin comme Geoffroy sont situés dans des zones patibulaires mais presque. Usine sidérurgique en crise, autoroute et quartier défavorisé à Sclessin. Rocade et zone d’activité en développement – avec pas trop loin le Zénith – à Saint-Étienne. La succession de bars dans la rue derrière la tribune 3, avec la musique à fond, donne un léger avantage à Sclessin. D’autant que le centre de Liège est quand même plus joli que celui de Saint-Étienne.
==> Belgique 1 – France 0
Stade
Rénové pour l’Euro 2000, Sclessin est un stade à l’anglaise, qui s’intègre bien dans son milieu. Sans charme excessif, il en impose quand même. Des tribunes proches du terrain. Trois niveaux bien raides derrière les buts. Des côtés ouverts, comme dans l’Angleterre d’avant. Ca sent beaucoup plus le foot que le Stade de France. Geoffroy-Guichard est, lui, en pleine rénovation. Le nouveau kop nord est impressionnant. En revanche, l’absence de kop sud et les travaux en cours en Pierre Faurand donnent forcément une impression curieuse. Malgré la situation incongrue du caméraman posté tout seul au milieu de l’aile gauche de la Faurand, Sclessin l’emporte haut la main, en attendant que Geoffroy soit achevé.
==> Belgique 2 – France 0
Conditions météorologiques
Au niveau du froid, le match était assez nul. Au rayon neige, Liège a fait plus fort. Région en alerte, de fortes chutes de neige étant prévues le jour du match, une ville qui se pare de blanc le vendredi matin mais un ciel qui se calme rapidement pour que les joueurs puissent s’ébattre sur la pelouse chauffée de Sclessin et, surtout, pour que les spectateurs puissent se rendre au stade sans difficultés. Les quelques hauteurs enneigées de Sainté ne peuvent pas rivaliser. Un point en moins pour les Belges, comme les températures négatives.
==> Belgique 1 – France 0
Football business
La tenue ou le report du match ont suscité de vifs débats en Wallonie avant le derby. Les autorités belges et le club ont préféré maintenir le match à la date prévue (vendredi 7 à 20 h 30) malgré l’alerte à la neige. Les événements leur ont donné raison puisque les chutes de neige ont été moindres qu’annoncées. Comme le maintien du match était notamment lié aux impératifs télévisuels, certains journalistes ont dénoncé les périls que cela pouvait engendrer pour les supporters. En effet, outre les visiteurs carolos (abréviation du nom des habitants de Charleroi), le Standard a pour spécificité d’attirer un public venu de toute la Belgique. Mais que la télé dicte sa loi, ce n’est pas nouveau. L’ASSE, qui joue souvent le vendredi soir alors que le club stéphanois a aussi de nombreuses sections de fans dans tout le pays, est bien placée pour le savoir. Et comme la pub rouge sur les shorts blancs des Verts, c’est indéfendable, la France marque enfin un point.
==> Belgique 1 – France 1
Rivalité
À Saint-Étienne, le derby c’est le match de l’année. À Liège, il y a concurrence avec d’autres rivalités. Le « classico » (eh oui, les Belges aussi sont touchés par le marketing moderne) contre Anderlecht est la rencontre la plus attendue par les fans des Rouches. Standard-Charleroi ne vient qu’en deuxième et motive surtout les Standardmen wallons, certes majoritaires. Pour les fans flamands, qui représenteraient un petit tiers des effectifs, le derby contre Genk a aussi son importance. En plus, ASSE-OL est le derby le plus chaud de France, donc notre pays prend l’avantage.
==> Belgique 1 – France 2
Concurrence sportive
Le palmarès de Charleroi depuis sa création est presque aussi fourni que celui de l’ASSE depuis 1982 (les Verts ont été deux fois champions de D2, les Zèbres une seule fois). Y a clairement pas photo avec le Standard, d’autant qu’actuellement le Sporting se traîne en queue de classement. L’OL et l’ASSE sont deux grands clubs, même s’ils n’ont pas été au top au même moment. Cette saison, les Verts et les Gones sont bien partis, donc il y a une vraie concurrence sportive.
==> Belgique 1 – France 3
Surnoms
Les Verts ou les Gagas contre les Gones, c’est pas mal. Mais comment lutter contre un derby qui oppose les Rouches aux Zèbres ?
==> Belgique 2 – France 3
Affluence
18 605 spectateurs seulement à Sclessin alors qu’environ 28 000 personnes peuvent garnir le stade. 26 579 dans un Geoffroy à guichets fermés. Mais le réservoir de population est plus restreint en Belgique et la neige ainsi que le créneau du vendredi ont pu décourager des supporters. Match nul.
==> Belgique 2 – France 3
Qualité du match
Un derby fermé, trois misérables occasions en comptant large, un but sur un coup franc tiré comme un bourrin à travers le mur et un goal qui se troue, le derby français n’a pas grand-chose à son actif. Alors qu’à Liège on a eu droit, selon le quotidien local La Meuse, à « Des buts splendides, du grand spectacle, des Rouches de rêve » . Le pire, c’est que c’est vrai. 6 à 1 pour le Standard. Un coup franc qui s’enroule délicieusement au-dessus du mur et ne laisse aucune chance au « keeper » carolo Mandanda (le frère de). Un tir de bourrin mais dans la lucarne. Deux combinaisons de grande classe. Un but carolo de la tête pas mal non plus. Le pénalty et le contre-son-camp n’entachent pas le bilan wallon également enrichi par des occasions et des gestes techniques à la pelle. Double point pour les Belges.
==> Belgique 4 – France 3
Suspense
Un pénalty sifflé et une « carte » rouge pour un défenseur carolo au bout de trois minutes. Un pénalty transformé au bout de cinq minutes. Vainqueur, le Français, qui double la mise au bout de 7 minutes, le derby wallon a vite été plié. Mais on savait déjà avant le match que Saint-Étienne ne gagnerait pas le derby. Pour assurer le coup, les Verts ont décidé de ne même pas tenter leur chance. Donc niveau suspense, ça n’a jamais commencé à Geoffroy. Match nul.
==> Belgique 4 – France 3
Ambiance
Les journaux ont salué, dans les deux cas, la superbe ambiance. Pourtant, les ultras locaux n’étaient pas convaincus par leur propre prestation. Certes, Sclessin a été bouillant à quelques occasions. Certes, Geoffroy a parfois poussé terriblement. Mais on espérait plus. Les Magic Fans n’ont pas encore pris leurs marques dans le nouveau kop nord et les supporters stéphanois sont, comme leur équipe, stressés lors du derby. À Sclessin, le suspense tué trop tôt n’a pas incité les fans à se lâcher. La période troublée dont sort le Standard, les tensions entre supporters et club ainsi que la récente grève des encouragements des Ultras Inferno ont sans doute aussi amoindri la ferveur. Les seconds kops (Publik Hysterik Kaos d’un côté, Green Angels de l’autre) et les supporters visiteurs ayant les uns et les autres fait le métier (même si les Storm Ultras de Charleroi sont arrivés à la bourre), on se quitte sur un match nul. Avec un point pour chacun, parce que ça chantait quand même pas mal.
==> Belgique 5 – France 4
Tifos
Ca a envoyé du tifo à Liège comme à Sainté. Mais ceux de France ont eu plus d’ampleur. Exilés en bout de latérale Henri Point, les Green Angels ont réussi à faire participer toute la tribune, pourtant peu habituée à l’exercice, pour un tifo simple mais efficace. Quant aux Magic Fans, ils avaient prévu un voile géant en deuxième mi-temps et un beau tifo célébrant les mineurs en première. L’hommage au Royal Standard Club de Liège de la part des Ultras Inferno mérite aussi d’être noté. Deux points pour les Français, un pour les Belges.
==> Belgique 6 – France 6
Incidents
Des Stéphanois ont attaqué le convoi des supporters lyonnais aux abords du stade. D’autres fans des Verts ont embêté le bus des joueurs lyonnais, sans faire peur à Aulas. Les Lyonnais se sont un peu brassés entre eux. Un pétard a atterri près de Bastos. Roupie de sansonnet face au spectacle des ultras carolos qui, en début de seconde mi-temps alors que leur équipe se prenait déjà un bon 5-0, ont décidé d’intensifier leurs jets de sièges sur le terrain, d’allumer et de lancer des torches et des pétards au point que le match a été arrêté et que les joueurs ont dû rentrer aux vestiaires. 174 sièges démontés, des WC détruits, des fumigènes partout, plus de 5 minutes d’interruption, les Belges avaient mis la barre trop haut. Ils marquent 4 points, les Français seulement 2. Pas de bol, c’est du malus.
==> Belgique 2 – France 4
Police dans le stade
En n’intervenant pas en tribune visiteurs afin de ne pas mettre de l’huile sur le feu, la police belge a fait preuve d’un remarquable sang-froid. Nul doute qu’elle se rattrapera en faisant pleuvoir des interdictions de stade sur les fauteurs de trouble. L’impassibilité des forces de l’ordre postées dans le kop nord juste devant le parcage lyonnais, malgré les insultes permanentes entre les deux camps, est aussi à noter. Mais les survêtements bleus de la SIR (Section d’Intervention Rapide, la police des stades) font vraiment trop mal à l’élégance française.
==> Belgique 3 – France 4
Messages de paix
À Liège comme à Sainté, les speakers et les clubs ont fait leur taf, sans plus, en invitant les supporters à ne pas jeter d’objets, de fumigènes ou de pétards sur le terrain. La campagne de pub de la LFP « Sortons la violence du stade » , diffusée sur les écrans de Geoffroy, enfile les clichés et a dû coûter un bras. Les messages kitsch de Liège « Fais toi plaisir et montre ta rage, mais sans faire le sauvage » ou « Lancer des objets sur le terrain, c’est pas malin » , c’est quand même autre chose.
==> Belgique 4 – France 4
Insultes
À Liège comme à Sainté, ça s’est enculé dans tous les sens. En fredonnant joyeusement « J’encule les Stéphanois, lalalalala » pour fêter leur victoire, les Gones marquent un point, mais les Ultras Inferno font mieux dans le mauvais goût avec « Ce soir c’est la Gay Pride à Charleroi » . En élargissant les pratiques sexuelles via un « Suceurs de Bordelais » , pour reprocher aux Magic Fans leur amitié avec les Ultramarines girondins, les Gones font du bien à la France. Mais la jeune fille liégeoise élégamment posée sur un garde-corps et chantant négligemment « Carolo, on t’encule » avec sa jolie veste et son mignon petit sac en bandoulière fait aussi son effet. Le guerrier « Et si un jour, je meurs à Gerland, il y aura du bâtard rouge et bleu mort à mes pieds » pénalise la France. Hélas pour les Belges, reprendre Charles Aznavour en copiant les Lyonnais (en version liégeoise ça donne « Emmenez-moi au pays noir, emmenez-moi au pays des bâtards, il me semble que la misère, c’est d’être supporter des Zèbres » ), c’est rédhibitoire. Match nul, un point en moins pour tout le monde.
==> Belgique 3 – France 3
Banderoles ironiques
Rien à signaler côté liégeois, sans doute pour mieux ignorer l’adversaire. Chez les ultras stéphanois, l’inspiration a parfois été meilleure, même si les « 25 ans de trompette » envoyés aux Bad Gones par les Green Angels ont pu faire sourire. Malheureusement, le virage sud lyonnais a manqué une opportunité unique de faire rire la France entière. Alors qu’ils avaient réussi à découvrir le tifo stéphanois la veille en piratant la boîte mail d’un Magic Fan, ils se sont empressés d’en avertir tout le monde, leurs rivaux compris, au lieu de préparer en secret une petite surprise qui aurait pu faire son effet. Sans vouloir remuer le couteau dans la plaie, certains Authentiks parisiens avaient la gueule qui pendait quand les Fanatics marseillais leur ont sorti une banderole déchirant leur tifo sur Joey Starr ( « Laisse pas traîner ton tifo » ). Au lieu de ça, on a eu plusieurs messages rapidement peints par les Lyonnais et les Magic Fans ont préparé quelques banderoles pour sauver les meubles. Décevant. Heureusement, les Storm Ultras sont là pour redorer le blason belge avec notamment un « UI 96 champions de la symétrie orthogonale » pour moquer un tifo raté par les Ultras Inferno. Pas transcendant, mais suffisant pour scorer d’autant qu’il faut bien récompenser les « Allez les Zèbres » moqueurs lancés par les supporters du Standard.
==> Belgique 4 – France 3
Politique
Des drapeaux français en parcage lyonnais et sur la bâche des Magic Fans, ce qui peut être pour certains ultras un moyen de montrer leur nationalisme, mais ce qui est pour d’autres une simple référence au pays. Un petit drapeau jamaïcain chez les Green. Rien de bien probant côté français. En sortant un immense drapeau avec leur emblème au milieu de formes stylisées comme une croix celtique, les Storm Ultras laissent beaucoup plus planer l’ambiguïté. Côté Inferno, drapeaux du Che, de la Palestine et de groupes amis du réseau Alerta, lequel lutte contre le fascisme dans les stades. Du coup, les Belges marquent un point, pour la clarté du message.
==> Belgique 5 – France 3
Expulsions
Une seule carte rouge à Liège. Un remake de Zidane à Berlin et un Alonso en transe à Sainté. Un point en moins pour les Belges, deux pour les Français.
==> Belgique 4 – France 1
Communion avec le public
Les joueurs lyonnais sont allés fêter leur victoire devant leurs fans tout en veillant à ne pas s’en prendre plein la gueule par le public local. Une joie de courte durée donc. À Liège, on a assisté à l’un des tours d’honneur les plus lents de l’histoire du football. Et que je pars du centre du terrain vers la tribune 4 saluer le Publik Hysterik. Et que je vais voir tranquillement toute la tribune 2 où le Kop Rouches se tient debout au milieu, à la mode lensoise ou valenciennoise. Et que je finis en apothéose devant la tribune 3. Tous les joueurs et le staff sont aux pieds des Ultras Inferno. Menés par leur capitaine, les joueurs s’accroupissent. Debout derrière ses joueurs, le nouveau coach Mircea Rednic, ancien de la maison rouche, reçoit l’acclamation du kop. Et puis le meneur des Ultras Inferno lance un chant et des gestuelles repris par les joueurs et supporters. Simplement énorme. « C’est le chant de la réconciliation entre les joueurs et le public » explique un abonné de la tribune 3. Double point et victoire finale pour les Belges.
==> Belgique 6 – France 1, comme par hasard le gros score du week-end dernier
Pour voir des belles photos de tribunes, prise par les tribunes pour les tribunes, c’est par ici pour le Standard et par là pour Sainté.
Par Edward Ground-Hopper