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On a suivi les anciens du club de Levallois pendant leur maraude
Certaines équipes ne disparaissent jamais vraiment. Parmi elles, celle du club de Levallois, montée en CFA en 2005-2006. Si les chemins des coéquipiers se sont séparés, les liens ne se sont jamais rompus. Au point que le récent confinement a fait germer l’idée d’un nouveau projet : venir en aide aux plus démunis en faisant dons de denrées alimentaires. Des courses, un point de rendez-vous et une livraison. À l’image de l’équipe, le mode opératoire des maraudes est spontané, humble et efficace. Après tout, l’objectif est simple : se rendre utile et retrouver le terrain.
Des paquets de pâtes, des conserves de légumes, de la farine, du sucre, des briques de lait, des bouteilles d’eau, et une quarantaine de sacs qui jonchent le sol. À 19h30 ce 10 juin, le parking du Lidl d’Aubervilliers, point de rendez-vous du soir, est déjà bien investi. Sur place, onze bonhommes s’affairent à se répartir des produits. En deux temps et trois mouvements, les denrées alimentaires s’empilent. « Cédric, t’es en train de prendre des bras là, fais gaffe ! » raille l’un d’eux. « C’est la quatrième opération. On a commencé par Saint-Denis, puis Villepinte et ensuite Trappes », présente Cédric Rogin, aujourd’hui entraîneur des féminines de l’ES Seizième. Depuis quelques semaines, ces anciens coéquipiers de la promotion 2005-2007 de Levallois se retrouvent régulièrement pour livrer des denrées dans des structures franciliennes venant en aide à des personnes dans le besoin. La destination du jour ? « Un hôtel social à la Courneuve, il y a une vingtaine de familles », annonce Salim Sadi, l’organisateur de cette nouvelle maraude.
« Créer un élan de solidarité »
L’initiative est née d’un constat simple : « En cette période de crise sanitaire, il nous paraissait inconcevable de voir des gens faire la queue pour se nourrir », poursuit Salim. « On a de la chance de pouvoir remplir nos assiettes tous les jours et de manger à notre faim. D’autres n’ont pas ce luxe-là, c’est dur de voir des gens galérer à s’alimenter correctement, soupire Malik Oubala en agitant nerveusement sa casquette. On s’est dit que chacun pouvait mettre 40 euros de sa poche pour subvenir aux besoins de ces personnes. » Interpellés par cet amas de sacs de plus en plus garnis occupant déjà plusieurs places du parking, les passants observent du coin de l’œil, et parfois s’arrêtent. Dans un flot de blagues de potes contents de se retrouver, une jeune femme trouve l’occasion de demander si elle peut contribuer. Le groupe étonne et suscite l’adhésion silencieuse et souriante de tous ceux qui le croisent.
Le projet voit le jour pendant le confinement sur une conversation WhatsApp qui regroupe la vingtaine d’anciens joueurs. L’objectif ? « On voulait donner du temps, parce qu’on en avait, et créer un élan de solidarité, d’empathie, explique Kaou Diallo, désormais éducateur au PSG. Et ça fait du bien. À nous en premiers, mais aussi aux autres. » La collecte de nourriture, financée donc de leur poche, n’est pas la première piste. « Au début, j’avais proposé une cagnotte en ligne, mais on voulait être au contact des gens qui en ont vraiment besoin, rappelle James Kamen, tout en remplissant rapidement les sacs à sa disposition. Et puis ça nous fait très plaisir de se réunir comme ça. Il y a des gars ici que je n’avais pas vu depuis 10-12 ans. » Preuve de la solidité de ce collectif, même à des milliers de kilomètres de là, Walid Mesloub, toujours en activité à Umm Salal au Qatar, n’hésite pas à lui aussi mettre la main au portefeuille pour soutenir ses anciens coéquipiers. « On espère aussi que d’autres groupes se créent », ambitionne Kaou. Sans attendre que d’autres initiatives germent, Salim a déjà lancé un autre groupe sur Drancy. « Je les ai mis au défi en leur disant ce qu’arrivaient à faire les anciens du club de Levallois, raconte-t-il. On a réussi à apporter une trentaine de sacs à un hôtel social de Villepinte, chacun a participé comme il a pu malgré la reprise du boulot. »
Un collectif toujours bien huilé
Les allers-retours s’enchaînent entre les sacs et les différents tas de produits. Entre-temps, les ex-coéquipiers ne peuvent s’empêcher de s’envoyer quelques vannes, tous heureux de se revoir. « Allez allez, on s’active ! » lance Salim à ses amis. Chaque sac est vérifié pour s’assurer qu’il contienne suffisamment de nourriture. « Celui-là est trop léger ! File-moi un paquet de riz ! » On veut que personne ne se sente lésé. Le désordre règne en apparence, les conversations s’entrechoquent, et pourtant, le groupe fonctionne parfaitement. Sous leur apparence bricolée, les maraudes respectent toujours la même organisation. Les lieux de rendez-vous, ainsi que les points de livraison, sont décidés en amont par l’organisateur de chaque action. « Personne ne nous contacte, on prend l’initiative. On s’arrange pour trouver un créneau qui convient à tout le monde et après on fait nos petites courses de notre côté avant de se retrouver au lieu de rendez-vous », résume Cédric. Une fois sur place, les coffres sont vidés et le circuit de passes entre tous les coéquipiers démarre. Très rapidement, tout termine au fond des filets avant d’être de nouveau chargé dans un véhicule. Direction le point de livraison.
Soucieux d’agir de façon uniforme sur le territoire parisien, l’équipe fait en sorte de varier les communes ciblées. Sur ce principe, libre à chacun d’identifier une structure et de prendre contact, à l’image de ce qu’a fait Salim pour la maraude du jour. « J’ai recroisé un ancien ami, on a discuté et il m’a dit qu’il gérait un hôtel social qui héberge des familles en difficulté. Je lui ai parlé de nos actions entre potes et il m’a dit de venir quand on voulait. Le veilleur est au courant, donc là, on va passer. » Comme sur le terrain, il faut savoir saisir les occasions. « À Trappes, c’est moi qui ai géré l’action. Je suis de là-bas, donc je connais un peu et je savais qu’il y avait un hôtel social », raconte Kaou. Les actions sont aussi facilitées par les structures ou les bénéficiaires. « Sur Villepinte, on a carrément eu un habitant de l’hôtel social qui est venu nous aider à mieux cibler les familles dans le besoin en nous disant que lui-même n’avait par exemple pas besoin d’aide, continue Kaou. Ça nous a beaucoup aidé parce que parfois on arrive dans l’inconnu. »
« On s’en fout de la reconnaissance »
Direction La Courneuve, dans un foyer exigu. Le chemin d’entrée est si étroit qu’il oblige les résidents à rentrer en file indienne. Des adolescents patientent déjà au pied de leurs chambres, alignées au rez-de-chaussée alors que les sacs de denrées sont centralisés dans la petite cour centrale. L’ensemble des résidents, gênés de voir tant d’inconnus s’amasser devant leurs portes, sont néanmoins ravis de voir toute cette nourriture. « Dans 99,99% des cas, on a toujours eu un merci ou un sourire », se félicite Cédric. Seule ombre au tableau : des petites tensions qui ont terni la première collecte, en Seine-Saint-Denis. « On a senti des petites frictions entre les gens, chacun voulait repartir avec la plus grosse part, c’est clairement dommage que le partage ne se soit pas fait équitablement », regrette Salim. Les regards émerveillés des enfants suffisent pour combler le groupe. Cédric, lui, a convié son fils de huit ans à se joindre aux opérations. « Bien qu’il soit encore jeune, j’ai l’impression que mon fils se rend compte de la chance des petits bonheurs de la vie », témoigne-t-il. Inculquer ces valeurs est donc aussi un leitmotiv de la bande. « Les petits, dans leur bulle de naïveté, n’ont pas conscience que des gens n’ont pas de quoi remplir leur assiette. Il est impératif qu’ils voient que certains n’ont pas de paquet de pâtes à la maison », ponctue Salim d’un ton grave.
Une fois les sacs distribués, Moussaoui Fatah, le gérant de l’hôtel, s’empresse de remercier chaleureusement les livreurs solidaires. « Il n’y a ici que des femmes seules, dans le besoin, explique-t-il. C’est rare de voir des mobilisations comme celle-là. L’aide ne vient pas toujours de là où on l’attend. L’État nous aide beaucoup, mais des actions concrètes comme celle-là font du bien. » Un coup de pouce forcément béni aux yeux de cet homme, qui côtoie au quotidien ces familles et leurs difficultés. « Les gens ont faim, mais ne le disent pas, c’est quelque chose de honteux pour eux. Ce n’est pas facile de dire qu’on a besoin d’un kilo de riz. »
Nées pendant le confinement, ces initiatives vont forcément se raréfier maintenant que tous doivent doucement retourner à leurs activités professionnelles. Si trouver une date devient tâche ardue, l’organisation de ces maraudes leur reste toujours dans un coin de la tête. Essayer de le faire au moins une fois par mois est l’objectif désormais fixé, d’après Cédric. « On s’en fout de la reconnaissance. Si on avait voulu se faire mousser, on serait pas sur le parking du Lidl en train de trier des œufs. » Avec ces quelques efforts, les anciens de Levallois prouvent surtout que n’importe quel groupe d’amis peut prendre un peu de temps et se mobiliser pour la bonne cause. « On sait très bien qu’on débute, et même nous, cela nous gène. Même après trois maraudes, quand je donne, limite, je baisse les yeux », rigole Cédric. La bande n’a pas encore forcément acquis tous les codes, mais une chose est sûre, le cœur y est.
Par Quentin Coldefy, Chad Akoum et Romain Lamigeon, à La Courneuve
Tous propos recueillis par QC, CA et RL.