Comment s’est passée la rencontre avec Alain Chabat ? Qu’est-ce qui a fait que vous avez bossé ensemble sur ce film ?
C’était son premier film et il était un peu anxieux, car il n’avait encore jamais bossé avec des animaux. Et du coup, quand il expliquait un peu ce qu’il attendait du chien, comme par exemple le faire traîner sur le sol attaché à une laisse (une des premières scènes du film, ndlr), tous les dresseurs lui répondaient « bien sûr, aucun problème » . Tu sais dans le métier, on dit amen à tout pour avoir un contrat. Mais quand il est venu me voir et qu’il m’a expliqué un peu le topo, j’me suis dit : « Oh la la la, qu’est-ce que c’est que ce bordel, comment on va faire ça, et ça, et ça, etc ? » Là, il s’est dit : « Bon ok, ce mec est fou, je veux travailler avec lui. » Et vu qu’il est fou comme moi, on s’est tout de suite entendus. Chabat est un mec qui a une idée à la seconde, qui s’adapte entre ce qui est écrit dans le scénar’ et ce qu’on invente en direct. Mais il n’est pas chiant, c’est pas le mec capricieux ni rien. Il est très à l’écoute, c’est quelqu’un de rare dans le métier.
Il s’intéressait à la manière dont tu travaillais ?
Ah oui, il voulait tout savoir. C’est un gourmand de la vie et il n’y a pas grand-chose qui ne l’intéresse pas. Il s’intéresse à tous les métiers sur un tournage. Et encore aujourd’hui quand on a fait le Marsu’ (Sur la piste du Marsupilami, ndlr), c’est toujours le même gars. C’est un passionné qui s’intéresse à tout ce que les autres passionnés font de leur côté.
Comment s’est fait le choix d’Elliot le labrador ?
Alain n’avait pas d’idée précise du type de chien qu’il souhaitait avoir. On lui a présenté des chiens qui avaient déjà un certain bagage dans le cinéma. Mais, même s’il n’avait rien de précis en tête, il savait ce qu’il voulait, il voulait un look, un chien qui marque. On lui a donc présenté 5 ou 6 chiens environ, mais aucun ne lui plaisait. C’est là que j’ai pensé à lui présenter Elliot et il a tout de suite dit : « Ah oui, c’est lui, c’est lui ! » Dès qu’il l’a vu, ça a fait tilt. Il se fichait que ce soit telle ou telle race, ça aurait pu être tout aussi bien un dalmatien, cela n’avait aucune espèce d’importance. Il voulait une gueule, une bouille, des mimiques, un coup de cœur quoi.
Et leur relation sur le plateau ?
Ce qui est génial, c’est qu’il voulait que le chien soit avec lui en permanence sur le tournage, même quand il n’avait pas de scène. Il passait son temps à l’observer, à regarder ses mimiques. Il a tout de suite compris que c’était la bonne manière de travailler son propre rôle. Quand le chien baille, quand il s’ébroue, et ben Alain reproduisait exactement les mêmes gestes. C’est extraordinaire. Peu de gens peuvent le voir à la caméra, mais la ressemblance est criante. Il a fait un véritable copier-coller, c’est incroyable. Je ne suis pas certain que d’autres soient capables de faire ça.
Et tu as pensé quoi du film une fois à l’écran ?
Honnêtement, quand j’ai lu le scénario, j’ai eu du mal à croire en ce film. Mais bon… Et une fois sur le tournage, tu vois certaines séquences et tu te dis : « Non mais attend, ça, c’est obligé que ça marche. » D’une part, parce que l’idée est géniale, et d’autre part, parce que la façon dont il la réalise est géniale également. Il faut aussi tirer un coup de chapeau à Monsieur Claude Berri, un grand bonhomme qui a cru en ce film et qui ne s’est pas trompé. Il avait quelque chose en plus qui faisait que, même les trucs dans lesquels personne ne croyait, lui il savait que ça allait fonctionner.
Et puis quand on voit le résultat, on imagine que tout le monde a dû être content d’avoir cru en cette aventure…
On s’est marrés sur ce film. Il s’est vraiment passé quelque chose, on avait tous la banane, et encore aujourd’hui, quand je les revois, c’est plus qu’un plaisir.
Ouais, il y avait une sorte d’émulation sur le plateau…
Ah, mais c’est inimaginable. C’est facile en même temps avec Chabat, puisqu’il était tous les jours de bonne humeur, toujours une bonne blague pour détendre l’atmosphère. Au final, t’as envie que ce tournage dure des années.
C’est une vraie belle histoire…
Oui, parfois, il existe de belles histoires dans le cinéma. Là, ça a été le cas. Et l’histoire d’Elliot est aussi assez folle : à l’époque, j’avais un cheptel de chiens qui travaillaient pour le cinéma et j’avais un centre de dressage à Épinay-sur-Seine. Un jour, un des gars qui venaient avec leurs chiens de compétition m’a parlé d’un autre chien qui appartenait à un copain de sa sœur. Il me dit : « Un des potes de ma frangine joue au PSG et il a acheté un labrador. Le chien a 5 ou 6 mois, mais vu qu’il va signer à Porto, il voudrait s’en séparer. » Le mec, c’est Ricardo, si ma mémoire est bonne (en fait, à l’été 95, Ricardo signera au Sporting Portugal, ndlr). Bon, j’écoute sans trop écouter, je lui dis de l’amener un jour et on verrait bien ce qu’on peut en faire. Sur le coup, je ne suis pas vraiment intéressé, puisque j’en avais déjà un bon paquet. Donc un jour, il me l’amène, et là, j’ai tout de suite senti que ce chien avait un truc, un look, une façon de se tenir. Un peu comme quand Chabat l’a vu en fait. C’est assez inexplicable. Parfois, c’est comme ça : tu mets 10 chiens devant toi et tu peux être sûr que c’est celui-là que tout le monde va regarder. Et ben ça, c’était Elliot. J’ai donc accepté de m’en occuper, mais vu que j’avais des amis qui voulaient un labrador, je leur ai offert ce chien en ayant pris le temps de le dresser pour éventuellement faire du cinéma un jour. Il a donc vécu une vie heureuse, en famille, entouré d’enfants. Finalement, j’ai fini par repenser à lui, je suis allé le chercher et on a fait un bout de chemin ensemble. Il a fait une petite année avec nous avant de repartir dans son foyer.
À la base, le chien appartenait à Ricardo. C’est fou : le chien d’un joueur du PSG qui fait un film qui parle du PSG.
Le destin a bien fait les choses !
Oui, c’est fou. Le chien d’un joueur du PSG qui fait un film qui parle du PSG. On est allés au Parc des Princes avec lui et tout. C’est incroyable.
Il a tourné d’autres films ensuite ?
Il a dû faire trois longs métrages en tout dans sa carrière : Didier, Sur un air d’autoroute et l’autre, je ne m’en souviens plus… Mais il a fallu attendre des années avant de le revoir dans un film après Didier. Tu sais, une fois qu’un animal fait un carton au cinoche et marque les esprits, comme ça a été le cas avec Didier, les réalisateurs ont tendance à ne plus faire appel à lui avant un bon moment.
Et sur le tournage, t’as eu des demandes difficiles à satisfaire ?
Ouais, parfois, c’est arrivé. Alain est malin, il voit tout. Un jour, Elliot fait un truc rigolo, il se pose et croise ses deux pattes avant devant lui. Là, je vois ça, je me mets directement devant pour pas qu’Alain puisse s’en rendre compte et j’essaye de lui parler d’autre chose. Sauf qu’il avait déjà eu le temps de capter la scène (rires)… Et il me dit immédiatement : « Je veux ça ! » Quand il te dit qu’il veut ça, c’est pas pour le mois prochain, hein, c’est pour une séquence qui va arriver rapidement. Et là, j’me dis : « Oh putain, mais comment je vais faire ? » C’est pas un truc que je lui avais appris, c’est un truc naturel, donc c’est dur de le lui faire refaire. Finalement, j’ai trouvé le truc et on a réussi à lui faire faire ce geste pour la scène. Alain aime bien ce genre de challenge, il te met un peu la pression, mais ça reste bon enfant.
Il faut savoir être réactif dans ton boulot…
Oui, c’est sûr. Un autre exemple : pour la scène où Alain croise une chienne en chaleur dans un parc, il a demandé au premier assistant et à moi-même de lui trouver une culotte rose spécialement faite pour les chiennes en chaleur. C’était le matin et il lui fallait ça pour la scène qu’on tournait dans l’après-midi. Là, je regarde Robert Kéchichian et je lui dis : « Mais putain, comment on va faire ? » Et il me répond que dans une rue du quartier, il y avait un toiletteur pour chien. Du coup, on y va tous les deux, mais manque de pot, le toiletteur n’existait plus. Bon, on a quand même vu une boutique de sous-vêtements féminins pas loin et on y est allés. On tente alors notre chance, sauf qu’au moment où la femme arrive pour voir ce que l’on voulait, cet enfoiré se casse et il fait genre qu’il n’est pas avec moi (rires) ! J’y suis donc allé tout seul, j’ai dit à la dame de la boutique : « Ne me prenez pas pour un fou, n’ayez pas peur, mais on tourne un film à côté et j’aurais besoin d’une culotte rose pour mettre à une chienne » . Finalement, on a trouvé ce qu’il nous fallait et Alain était mort de rire.
On a sorti le DVD neuf ans plus tard et on a refait une séquence avec Alain et le chien. La rencontre était à mourir de rire. Comme entre deux excessifs qui se retrouvent.
Ce devait être un bon moment en effet ! Et donc après…
(Il coupe, ndlr) J’ai aussi réussi à rouler Chabat une fois. J’ai fini par lui avouer la vérité plus tard sur le tournage d’Astérix mission Cléopâtre. C’était pour la scène où Chabat va chez la copine de Bacri et se retrouve nez à nez avec un chat alors qu’il est allergique. À ce moment-là, Alain nous dit : « Dans l’idéal, ça serait super d’enregistrer un vrai bruit de chien qui éternue. Mais bon là, c’est du dressage top niveau. » Et je lui réponds du tac au tac : « Ah oui, en effet, là tu tapes dans le haut du panier niveau dressage, mais je peux quand même te le faire. » Sur le coup, il n’y croit pas, il me dit : « Non, mais arrête tes conneries ! » Finalement, on se prépare sur le plateau, tout le monde se tait, les gens rappliquent pour voir ça. La perche du son est en place, et je dis au chien : « Tousse » . Et là, il te sort un bruit parfait, il éternue trois fois, exactement ce que Chabat avait espéré. Je me retourne alors devant tout le monde et je dis : « Et ouais les gars, c’est un métier ! » En réalité, ce que personne n’avait pigé, c’est que je savais exactement qu’il savait éternuer. J’avais remarqué ça un matin chez moi en lui demandant d’aboyer. Il n’avait pas réussi et il ne sortait que des bruits d’éternuement. Je m’étais gardé ça sous le coude sans imaginer qu’on me demanderait un tel truc. Quand je lui ai avoué ça, il m’a juste dit : « Espèce d’enfoiré ! » (rires).
A priori, avec un film tourné en 1996, j’imagine qu’Elliot n’est plus de ce monde…
Et non, malheureusement. C’est le problème des chiens… Ce qui est marrant sur ce film, c’est qu’on a sorti le DVD neuf ans plus tard et on a refait une séquence avec Alain et le chien. La rencontre était à mourir de rire. Comme entre deux excessifs qui se retrouvent. Alain commence à jouer avec lui et le chien lui permet d’aller très loin dans la connerie. Et dans ce genre de situation, Alain est dans son élément. Quand le chien part dans des délires, il le suit sans souci.
Dans le film, on ne voit jamais Elliot jouer au foot. Il aimait la balle dans la vie de tous les jours ?
Ah oui, il adorait jouer avec une balle, courir derrière et tout. Mais après… (il réfléchit) Quand on tourne au Parc, qu’il court après le ballon et que t’as tous les autres joueurs qui cavalent autour de lui, c’est un peu stressant pour le chien. En plus de ça, on avait une énorme machine à fumée à côté. Bon… il se demande un peu ce qu’il se passe. Donc, dans ces circonstances, le ballon ne peut pas avoir son importance. Parce que si tu mets le ballon au centre de sa concentration, tu ne peux pas avoir un bon rendu. Il y a des problèmes de cadrage, les joueurs ne peuvent pas jouer en fonction du chien. C’est du cinéma quoi !
Et le coup de truffe final qui finit en lucarne, ça n’a pas été trop dur à réaliser ?
Si, clairement. On l’a fait tourner devant un fond bleu évidemment et on essayait de lui lancer toute sorte d’objets qu’il aimait bien afin d’avoir l’image qu’on voulait. Et quand il a mis le bon coup de truffe, Alain a tout de suite su que c’était bon. Moi, j’avais du mal à imaginer ça dans le film, mais Chabat, lui, savait exactement que le rendu serait au top. Avec le recul, ce tournage au Parc des Princes, c’était vraiment quelque chose.
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