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On a rencontré les dealers de vignettes Panini à Rio
Il se vend de tout à Rio de Janeiro. De l'herbe, de la cocaïne, du crack. Et puis des Panini. À la veille de l'ouverture du Mondial brésilien, les vignettes de la marque italienne se vendent au marché noir dans une rue passante du centre ville. Les albums se complètent, les prix flambent. Reportage avec les dealers de Panini.
Il n’y a plus de joueurs, il ne reste que des numéros. Le 25, le 134, le 432. Il y en a 640, et il faut tous les avoir pour compléter l’album Panini de la Coupe du monde 2014. Nous sommes rue Uruguaiana, dans le centre de Rio de Janeiro. Alors que la nuit tombe, les précieuses vignettes autocollantes s’étalent sur des tabourets en plastique, se vendent et s’échangent sur le bord du trottoir. C’est un marché noir, où l’on ne trafique que du Panini. Barbara a 22 ans, est aussi haute que large et recherche le numéro 51. « C’est l’écusson de la Croatie, explique-t-elle, très excitée. Je fais ça pour Miguel, mon amoureux. On est supporters de Vasco, on aime le foot, c’est un peu notre truc à tous les deux. » Barbara n’est pas seule. Ils sont, d’après l’entreprise italienne, environ 8 millions de collectionneurs, faisant du Brésil le plus grand acheteur de vignettes au monde. Campé sur son tabouret, les deux pieds coulés dans le béton et un ventre nourri au churrasco, Luiz est un des dealers de Panini. Il confirme la folie nationale : « Ici tout le monde collectionne des vignettes, toute l’année, que ce soit des images Harry Potter ou des cartes du championnat brésilien. Pendant la Coupe du monde 2010, l’Allemagne avait été le plus gros acheteur, le Brésil second. Mais là, en ce moment, ça marche très fort. »
Gros chiffres, grosses montres
La rue Uruguaiana accueille les stands d’une dizaine de dealers de Panini, installés de part et d’autres du trottoir. C’est un deal de rue certes, mais il y a des lois. « Tu ne peux pas venir ici n’importe comment, expose Luiz. Il faut que tu connaisses les vendeurs qui sont là tous les jours. Il y a moi, il y Alan, il y a Marcos et il y a le chauve. Certains font seulement la saison, pendant la Coupe du monde, ils veulent l’Amérique et essayent de faire monter les prix. Mais il y a des règles, et nous on a des prix unifiés. » Les tarifs « officiels » oscillent entre 0,30 real pour les vignettes les plus communes et 10 reais (environ 3,3€) pour la plus rare, celle de Neymar. La cote du moment : Messi et Ronaldo sont à 3 reais chacun, les membres de la Seleção à 2. La France ? « Ça vaut rien du tout, explique Alan, un autre revendeur. Il y a des Français partout dans les paquets. Ce qui est compliquéo c’est la Hollande et le Cameroun, va savoir pourquoi. » L’album entier, vendu sous plastique avec toutes les vignettes classées par équipe mais pas collées – pour préserver le plaisir – se négocie, lui, environ 250 reais.
Dealer du Panini n’est pas une passion, c’est un métier. Alan est en CDI depuis 2006. « J’avais pas de travail, j’échangeais des vignettes, reconstitue-t-il. Alors je me suis mis à mon compte. Aujourd’hui, j’ai arrêté de collectionner. Ce que j’ai, je le vends. » Les revendeurs de la rue Uruguaiana s’approvisionnent dans les boutiques officielles, où ils achètent les vignettes en gros, 20 à 30% moins cher que le prix du marché, où le paquet de 5 est vendu 1 real. Ensuite, ils ouvrent, trient et revendent. Alan travaille de 10 heures à 20 heures, vend un millier de vignettes par jour. Un business qui rapporte ? « Suffisamment pour payer le loyer et les bières » , rigole-t-il pour dire comment il vit et cacher combien il gagne. Luiz tente lui aussi d’esquiver la question, mais finit par chuchoter son bilan d’activité. Les chiffres sont secrets, parce qu’ils sont gros. « En ce moment, je vends 3000 vignettes par jour et je me fais 6000 reais (environ 2000 euros, ndlr) par semaine, confesse-t-il, une énorme montre au poignet attestant de la réussite de son entreprise. Je travaille ici dans le centre du lundi au samedi, et le dimanche, je suis à Campo Grande, dans la banlieue de Rio. J’ai une boutique là-bas, et il n’y a personne. Juste mon fils et moi. Ça rapporte beaucoup. » Le business est tellement florissant que, comme toute marchandise rare, les vignettes sont devenues convoitées. Particularité du système économique de Rio de Janeiro : quand un produit prend de la valeur, on le braque. En avril dernier, 300 000 cartes Panini ont été ainsi été dérobées à Rio. « En fait, il y a eu deux ou trois casses, corrige Luiz, bien informé. Les mecs prennent d’assaut les camions à main armée. Mais les vignettes ne sont pas arrivées jusqu’ici encore. Pour le moment, ce ne sont que des rumeurs. On entend qu’elles sont ici, qu’elles sont là-bas, mais personne ne le sait vraiment. Pas moi en tout cas. »
Dilma, Toni Tornado et Barbara
Alors que le Brésil attend son match d’ouverture face à la Croatie, la soirée est plutôt calme selon les intéressés. Une centaine de collectionneurs traîne devant les stands, là où ils sont parfois des milliers le week-end. Roberto Bernardo est sorti du travail en chemise, et s’est rendu directement sur le marché noir. Il n’achète pas, mais troque ses doubles contre les vignettes manquantes. Roberto a 46 ans et recherche les émotions de l’enfance : « Je collectionne depuis 82. Je viens ici tous les jours, le midi et le soir. J’aime la magie de cet endroit, l’interaction avec les gens. On échange des vignettes, et après on discute de tout. » De fait, l’album Panini est un sport national qui dépasse les âges et les classes sociales. Dilma Rousseff collectionnerait elle-même des vignettes pour un neveu. Alan dit compter parmi ses clients quelques célébrités, citant notamment Toni Tornado, un acteur et chanteur brésilien, qui a introduit la soul au pays. « À l’heure de collectionner, il n’y a plus de différence sociale, statue le dealer. Ici, tu peux voir apparaître un juge comme un ouvrier. » Soudain, Barbara lève les bras en l’air, crie victoire. Elle a enfin mis la main sur le numéro 51. Adossé à un mur recouvert de femmes nues, Alan observe la scène d’un regard indifférent. « Tu sais, moi j’en ai rien à foutre de la Coupe du monde. Je suis Flamengista, rien d’autre. Après, j’espère quand même que le Brésil va gagner. Ça fera monter les prix et, surtout, on va faire la fête toute l’année. »
Par Pierre Boisson (texte) et Renaud Bouchez (photos), à Rio