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On a regardé Marseille – Atlético chez la famille de Lucas Ocampos
Vibrer pour l'OM à 11 000 kilomètres de Marseille, c'est possible. Dans sa ville de Quilmes, la famille de Lucas Ocampos s'est réunie pour vivre le « match le plus important de la carrière » du petit dernier. Entre superstition, maté et noms d'oiseaux, trois générations ont tremblé, à l'argentine.
« Terrible. » On joue la 55e minute à Lyon, et Lucas Ocampos est remplacé par Rudi Garcia. Marseille perd 2-0, et Victor, son grand frère, n’en croit pas ses yeux. C’en est trop pour lui. Sans même un au revoir au reste de la famille, il saisit Bastian, son fils de deux ans, et quitte amer l’appartement de sa sœur. L’épilogue d’une finale festive, puis douloureuse où la tristesse se mêle à la colère.
« Luquito » , soirée avec Abidal et barra brava
À Quilmes, l’après-midi avait pourtant débuté dans l’enthousiasme. C’est dans cette ville populaire au sud de Buenos Aires, célèbre pour sa bière, qu’ont grandi et vivent toujours les Ocampos. Depuis 14 heures, toute la famille est réunie dans la résidence cossue de Griselda pour encourager « Luquito » . Les parents, eux, sont à Lyon et rêvent qu’il soulève le deuxième trophée européen de l’histoire du club. Victor, maillot gris de l’OM sur les épaules, partage les empanadas qui garnissent la table de la cuisine avec ses oncles et tantes, ses neveux et sa grand-mère. La ressemblance du frère et de la sœur avec le numéro 5 est troublante.
À quelques cuadras de la maison où Lucas a tapé ses premiers ballons, la tribu Ocampos s’est mise aux couleurs phocéennes. L’excitation s’empare de Thiago et Juan, les fils de Griselda, âgés de 10 et 14 ans. Le duo squatte les réseaux sociaux de l’OM à la recherche de photos de leur oncle en costume. Les autres joueurs, qu’ils ont rencontrés à Marseille en décembre – selfies à l’appui – n’ont pas de secrets pour eux. Les « aux armes » ou « oh hisse enculé » , souvenirs du Vélodrome, non plus. Au rythme des bières et du maté, dans le spacieux appartement, tout le monde se plonge dans le match avec confiance. « L’ambiance dans le groupe est formidable. Lucas est heureux, très concentré et a hâte de jouer » , résume Victor en relisant les derniers messages échangés avec celui qu’il a suivi à Monaco pendant deux ans. La grand-mère Ocampos, 85 ans, préfère s’en « remettre à Dieu » et prévient qu’en cas de tirs au but, « il faudra appeler une ambulance » .
À l’entrée des joueurs sur la pelouse, dans la maison on se sépare. Deux salles, deux télévisions, deux ambiances. Dans le salon, affalés sur les canapés, les garçons sont tendus, et Victor retrace sa rencontre en boîte de nuit avec Abidal. Dans la cuisine, les filles composent leur « barra brava » et se font plus expressives. « Ici, quand on vit un match, on vibre, on crie, on insulte » , s’excuse par avance Griselda. Premier d’une longue liste à en prendre pour son grade, Dimitri Payet, le boludo. « On ne doit jamais toucher ou regarder la coupe, répète la sœur Ocampos, il va nous porter la poisse. » En Argentine, on est superstitieux. Les cris se font plus forts lorsque Germain rate son face-à-face. Victor jette sa casquette contre le mur, et dans les deux pièces, les « concha de tu madre » pleuvent. La grand-mère, anxieuse, fait des allers-retours. Le bon début de match de Marseille et de Luquito fait monter les décibels. « Muy bien ! Dale hermano ! » Tous louent sa grinta.
« La malédiction de la coupe »
« Pas en finale ! » hurle Victor en frappant le canapé lorsque Zambo rate son contrôle et Griezmann ouvre le score. « La malédiction de la coupe » , n’en démord pas Griselda, à la sortie de Payet sur blessure. L’ambiance est tendue jusqu’à la mi-temps, mais les Ocampos y croient. « Il joue très bien, se bat, je parie que c’est lui qui va égaliser » , assure l’oncle. Thiago embrasse l’écusson de son maillot, les neveux ne tiennent plus en place. Le 2-0 douche les derniers espoirs de l’appartement. Les « hijos de… » se font plus fréquents. Le coup de grâce intervient après dix minutes, au remplacement sévère du petit frère. « Pourquoi ne sort-il pas un défenseur ? » Le choix de Rudi Garcia passe mal. « C’est fou, Lucas doit être bouillant » , décrypte sa sœur, la tête entre les mains. « Il doit vraiment souffrir, là. » Les yeux fixés sur la télé, les mains croisées, la famille vit quarante dernières minutes de souffrance. Le poteau de Mitroglou et la sortie tardive de Germain, loin de faire l’unanimité à Quilmes, réveillent les « por dios » . L’extérieur du pied de N’Jie et sa « mayonnaise dans les cheveux » s’attirent les foudres des Ocampos, une dernière fois. 3-0, clap de fin pour le rêve familial. Les noms d’oiseaux volent dans tous les sens.
Un Quilmes – River Plate
« Ne pleure pas hermanito, ne pleure pas. » Les larmes de Lucas et celle du niño Lopez ramènent un peu de calme. « Il fait tellement de sacrifices que ça fait mal » , explique la grand-mère, des sanglots dans la voix. « Il y a un monde entre les deux équipes, c’est un Quilmes – River Plate » , rationalise Griselda, tandis qu’à Lyon, Lucas Ocampos retire de son cou sa médaille. « Jette-la » , l’exhorte sa grande sœur qui éteint la télévision pour ne pas voir la remise du trophée. Le portable vibre. Une tante qui n’a pas pu venir lutte pour ne pas pleurer. Et Lucas ? « On ne va pas lui écrire avant vendredi ou samedi. Depuis tout petit, lorsqu’il perd un match, il ne parle pas. Cela peut durer plusieurs jours… C’est un Argentin, sa vie, c’est le foot. »
Par Ken Fernandez