- Ligue 1
- J35
- Lille-Angers (0-0)
On a regardé Lille-Angers avec Michel Seydoux
D'un match de foot, on voit les joueurs, les supporters, parfois des streakers. Dans les coulisses, il y a aussi, souvent, le propriétaire. Michel Seydoux a ouvert ses portes le temps d'un match. Alors on l'a regardé regarder Lille-Angers. Vis ma vie de Michel Seydoux.
« Chef, 17h, c’est un peu tôt pour les langoustines ! » « Pourtant j’ai un message, regarde : « Des langoustines ce sera très bien pour l’horaire. » C’est signé du président du LOSC. Tu le connais, toi ? » Le chef en question, c’est Yorann Vandriessche, étoilé de l’Arbre. Son gastronomique est situé au mythique carrefour éponyme, sur le tracé pavé du Paris-Roubaix et à quelques encablures du domaine de Luchin. Alors il peut bien tutoyer son client, puisqu’il est aussi son voisin et ami. Et le boss du LOSC, donc. Un Michel Seydoux qui se laisse finalement séduire par les huîtres de Saint-Vaast pour le goûter. Parce que « c’est pas con, l’huître à 17h. Avec un bon petit blanc, c’est pas con » . D’un sourire en coin, Saïd Chabane acquiesce. Le président du promu angevin, lové dans un canapé en cuir, découvre avec plaisir le salon présidentiel de son hôte du jour.
Pierre Mauroy et le ministère du Temps libre
Quelques minutes plus tôt, Michel Seydoux sortait du vestiaire de ses joueurs. Veste à coudières et pull camionneur, pantalon tombant sur Geox, le président lillois est comme chez lui à Pierre-Mauroy. Une poignée de main par-ci, messieurs les arbitres, une tape dans le dos par-là, il balade son sourire débonnaire sur la pelouse, l’air ailleurs, mais prêt à répondre à chaque sollicitation. Son rituel est rodé : rejoindre son équipe pour la causerie du coach, accueillir ses invités, assurer les représentations officielles et médiatiques dues à son rang. Il a d’ailleurs placé son salon privé dans les entrailles du stade, à quelques mètres de la zone mixte et du tunnel. Là où ça se passe. Un salon pouvant accueillir une quinzaine de personnes, de l’adversaire à la famille en passant par les sponsors, dans une lumière tamisée et sur fond de musique lounge. Sur les murs, des photos de ses joueurs côtoient le cliché d’un supporter et l’écran branché sur LOSC TV. Et les discussions courent sur des sujets variés. Pour Seydoux, « la courtoisie est importante, on doit porter l’hospitalité du Nord. On se connaît tous, je suis un vieux de la vieille ! (Michel Seydoux est président du LOSC depuis 14 ans, ndlr). Alors on discute de la vie, jamais des affaires, un peu de foot… » Ce mercredi soir, côté foot, les échanges vont bon train entre les animations d’avant-match et Sofiane Boufal. En attendant que la bière soit autorisée dans les stades, Michel Seydoux compare l’ex-Angevin à son ancien poulain, Eden Hazard. Et il préfère les arabesques du Marocain au talent étincelant mais intermittent du Belge. Car si parfois, cette saison, Sofiane a bouffé la feuille, le président n’oublie pas d’ajouter à la palette du futur ex-LOSCiste sa capacité à reproduire les efforts défensifs, encore tout récemment devant Paris.
Un match contre Paris remis sur le tapis par Éric Charpentier, directeur général du Crédit Mutuel Nord Europe et sponsor historique du club. Encore une fois, le taulier positive. Un échec sur le terrain certes, mais aussi une réussite en matière d’image. Et puis, les féminines nouvellement créées se sont maintenues en 2e division, une bonne nouvelle pour le CMNE, partenaire maillot des filles. Tout va bien dans le petit monde présidentiel. Le temps d’une digression sur les avantages comparatifs du jet – l’avion, pas la picole – ou d’une vanne sur le ministère du Temps libre créé sous le gouvernement socialiste de Pierre Mauroy, et le turbin appelle. Les joueurs embauchent dans quinze minutes.
Franck Béria plutôt que Taittinger
« Ah, là je suis désolé, mais vous ne me suivez pas. » La porte sacrée du vestiaire se referme sur le dos légèrement voûté du président. On ne saura pas si l’homme affable, à l’humour pince-sans-rire, va se métamorphoser en chef de meute sanguinaire ou bien en meneur paternaliste. La deuxième option collerait plus à l’ambiance de la maison, mais la capacité de Michel Seydoux à adapter en un instant son attitude à son interlocuteur glisse le doute. Son visage serein ne donne aucun indice lorsqu’il réapparaît, quelques secondes après le coup d’envoi, dans sa loge présidentielle. Entouré de Saïd Chabane et Damien Castelain, président de la Métropole Européenne de Lille, il prend place au dernier rang d’une tribune d’une petite centaine de places et s’intéresse au terrain. Il ne le quittera plus des yeux. Quelques coups d’œil sur le smartphone pendant les arrêts de jeu et deux-trois mots échangés avec son voisin sont les rares expressions de Michel Seydoux pendant 90 minutes. Ça, et des applaudissements destinés à Franck Béria lors de sa sortie. Un hommage discret au retour sur les terrains d’un de ses plus fidèles employés, au club depuis neuf ans. Pour le reste, seuls une position plus avancée sur son siège ou un pincement de lèvres intempestif peuvent trahir les émotions du patron. Car son boulot, c’est d’analyser : « Un club de foot, c’est beaucoup de personnes qui réfléchissent ensemble. Je veux savoir de quoi on parle, les points positifs et négatifs, pour le débriefing. Je ne critique jamais les joueurs individuellement, mais on fait le point avec le staff. Parce que l’important, c’est le match suivant. » Et quand l’arbitre annonce la mi-temps, le président s’éclipse aussitôt, direction la zone technique.
Pas le temps pour siffler une coupe de Taittinger, ni pour jacter sur la conjoncture quand même pas euphorique ou sur l’exploitation de 1 500 appartements autour du golf. Au milieu d’hôtesses en robe rouge, les habitués descendent crostinis au jambon serrano, chèvre et légumes grillés, ou verrines cœur de bœuf et féta. Quand il remonte, Michel Seydoux est toujours affublé de son sourire bonhomme. N’eut-il été président, on jurerait qu’il s’est éclipsé pour se fumer son petit joint. Il salue chaleureusement Jean-Raymond Legrand, ancien président du VAFC, annonce doctement que tout va se jouer en seconde mi-temps, et regagne sa place. Pas question de rater une minute de jeu.
Incubation, décantation, dégustation
Bis repetita en fin de match. Le président angevin serre la pince présidentielle quelques secondes avant le coup de sifflet final, rapidement suivi par son homologue local. Les vestiaires, encore, puis le salon privé à la photo de supporters au mur. Jugement éclair sur les performances individuelles, coup d’œil au calendrier, attention distraite à la conférence de presse, et basta. Michel Seydoux ne s’éternise pas sur le match, sur les deux points perdus, sur l’Europe qui s’éloigne. Dans sa voiture, pour rentrer à Paris, il discutera avec ses covoitureurs de choses et d’autres. Quand il est seul, il préfère écouter de la musique « sans penser au match. Il a suffisamment incubé pour le laisser décanter pendant quelques jours. On en parlera avec les gens du club » . Ce sera pour mardi ou jeudi, ses traditionnels jours de présence à Luchin. Là, il croisera peut-être les filles de Bénédicte, joueuses au LOSC. En attendant, Bénédicte sert les plats de son chef de mari. Car maintenant, c’est l’heure. L’heure de se farcir les langoustines.
Par Eric Carpentier