- Disparition de Diego Maradona
On a oublié ce qu’était Diego Maradona
Lorsque l'on évoque Diego Maradona, on pense à des exploits, en Coupe du monde, avec Naples, la finale de 90 et des centaines de gestes de génie. Des événements ponctuels, des exploits, quoi. Mais Diego Maradona, ce n'était pas ça. Et si l'on se trompait à propos de l'héritage de Diego ? Et si l'on avait oublié l'essentiel ? Et si Leo Messi n'avait pas besoin de remporter une Coupe du monde pour égaler le Diez ?
Finalement, qu’avons-nous retenu de Diego Maradona ? Le Mondial mexicain, en 1986, ses cinq buts et cinq passes décisives en sept matchs. Le parcours cabossé du Mondial italien. L’épopée napolitaine. Un coup franc impossible pour le Napoli contre la Juve de Platini. Un contrôle irréel contre le Milan. Des buts légendaires pour Boca Juniors, du milieu de terrain, sans équilibre, en volant, presque. Un beau but de la main, aussi. En tout et pour tout, des démonstrations ponctuelles d’un talent insurmontable. Maintenant, nous sommes dans les années 2010, et un « héritier » a enfin gravi la montagne. Il est gaucher, il est argentin, il est brun et il est petit. L’héritier parfait.
Mais pour que tout soit parfait jusqu’au bout, Leo Messi s’est vu attribuer la quête ultime de remporter une Coupe du monde pour son pays, en occupant le rôle d’acteur principal. Pour les plus exigeants, il devrait même quitter le Barça, rejoindre une équipe « moyenne » et l’emmener tout seul vers les sommets. Il s’agirait d’« électrifier un club », comme le dira Karl-Heinz Rumenigge à propos de l’époque napolitaine de Diego. En Espagne, les autres héritiers Aimar et Riquelme ont tenté leur chance à Valence et Villarreal, avec plus ou moins de succès (la saison 2004/05 de Román, quinze buts et dix-sept assists rien qu’en Liga, pour le « plus »). Mais ce raisonnement est erroné.
Parce que Diego, peu importe sous quel maillot, c’était bien plus que des titres, des buts, des faits. Malheureusement, on n’a pas tous eu la chance de tout voir. En fait, presque personne n’a eu la chance de tout voir. Qui peut se permettre le luxe, autour d’une grillade, de raconter les plus beaux buts manqués par Diego sous les couleurs de chacun de ses clubs, d’Argentinos Juniors à Boca, du Barça au Napoli, tout en rappelant toutes les péripéties du Diez en éliminatoires pour l’Argentine ? Personne ou presque, parce que la télévision ne fournissait pas alors les possibilités de suivi et de précision des années 2000. Aujourd’hui, on n’a gardé que les plus beaux buts. Mais quelques chefs-d’œuvre ne peuvent représenter l’ensemble de « l’œuvre » d’un artiste, si ? Néanmoins, de façon sporadique, l’Argentine parvient à faire remonter à la surface des montages des exploits « hebdomadaires » de la carrière du numéro 10. Des images que personne n’a vues, ou que tout le monde a oubliées. Les fameux buts manqués.
Diego qui dribble une défense entière, puis tire à côté. Diego qui met des crochets pour le plaisir, sans aucun sens. Diego qui s’arrête, humilie un adversaire, revient pour l’humilier à nouveau, et repart en vainqueur, sans avoir marqué. Diego qui subit des tacles au genou, mais ne tombe jamais, ou se relève toujours. Sur ces images, il n’a pas besoin des autres, il veut même tout faire tout seul. Incontrôlable, il joue comme un chien avec son ballon. Mais un chien à l’habileté divine. On le voit là, seul, défiant des défenseurs armés jusqu’aux dents, insistant avec furie. Diego Maradona ne joue pas juste. D’ailleurs, il ne semble pas « jouer », il semble en mission : Diego part à l’abordage comme si ses pieds le démangeaient. Il ne dribble pas par envie, mais par besoin, comme une drogue. Sur ces images, on repère aussi la nature du footballeur argentin par excellence : le dribbleur naturel, défiant la terre entière, mais sans le sens du spectacle des Brésiliens. Ronaldinho jouait avec le sourire, tandis que Maradona et Messi gardent le visage fermé du sauveur solitaire, même quand ils glissent un petit pont.
Sur ces images d’un autre siècle, on voit surtout un football individuel qu’on ne reconnaît pas vraiment. En fait, on y voit un esprit. Jouer avec l’esprit, c’est jouer au fil de ses pensées. Or, une pensée, ça n’est jamais juste. Ça vient, ça part. C’est comme une idée nouvelle : ça atterrit en force, sans demander la permission, souvent au mauvais moment. Comme le besoin de tenter un petit pont. Et quand on pense, on pense dans tous les sens. Et Maradona jouait comme il pensait. Guidé par ses gambetas. Dans tous les sens, mais toujours vers l’avant. Et en le voyant jouer ainsi, ce n’est d’ailleurs pas une surprise de le voir vivre de la sorte loin des terrains.
L’esprit de Leo
Lors du Mondial brésilien, Messi a subi des critiques à la suite de ses matchs contre les Pays-Bas et l’Allemagne. En Argentine, il ne s’agissait pas de lui reprocher une occasion manquée ou un mauvais choix, mais un manque d’esprit, de présence. Dans l’axe, au milieu et en pointe, Messi s’est oublié. Il a laissé filer le temps, malgré la seconde chance de la prolongation. À la fin, il s’en est voulu. Mais dès son retour à Barcelone, Messi est revenu à droite. Dans l’axe, sa vision du jeu de Messi est telle qu’il jouera toujours, ou presque toujours juste. Sur le côté, là où tout ballon reçu est la promesse de nouvelles envolées, les lignes de passes sont coupées. Le dribble n’est plus luxe, il est nécessité. Un dribble marque souvent plus les esprits qu’un but.
Par Markus Kaufmann