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On a maté la qualif’ de la RDC à Matonge

Par Martin Grimberghs, à Bruxelles
On a maté la qualif’ de la RDC à Matonge

Il y a des matchs plus fous que d'autres, mais il y a surtout des ambiances plus sympas que partout ailleurs. Samedi soir, dans le quartier congolais de Bruxelles, il y avait un contexte et un cadre. Une qualification dingue de la RDC pour les demi-finales de la CAN et un salon de coiffure plein à craquer. Et nous, ben on y était.

Il est 16h50 à Matonge, en République démocratique du Congo. Il est la même heure dans le quartier congolais de Bruxelles qui porte le nom de ce quartier populaire de Kinshasa, haut lieu de la vie nocturne dans la capitale de la RDC. On est donc exactement six heures avant que cette CAN 2015 n’entre dans l’histoire pour son arbitrage partisan. À cette heure-là, le salon de coiffure feutré de Madeka fait déjà le plein de supporters congolais. Le boss s’occupe de voir s’il n’est pas possible d’avoir autre chose que des commentaires en allemand pour suivre ce choc entre les deux Congo que l’on différencie souvent par leur capitale. Le Congo Brazzaville contre le Congo Kinshasa donc. Madeka fait ce qu’il peut, mais son installation satellite ne lui permet pas de trouver Eurosport en français. Ce n’est pas grave, on fera avec. À vrai dire, la plupart n’en ont pas grand-chose à faire. Les supporters, les vrais, sont déjà contents d’être arrivés à temps. Alfred, un des derniers qui ont réussi à se faufiler à une bonne place, explique sa journée agitée : « Aujourd’hui, on a deux combats à mener. Le premier, c’était tout à l’heure lors de la manifestation organisée contre le changement de la constitution voulu par notre président( Jospeh Kabila, ndlr). Les drapeaux que tu vois, on les avait surtout sortis pour la manifestation. » Le deuxième combat est sportif, mais pas pour autant anecdotique : « Kinshasa et Brazzaville, ce sont les deux capitales les plus proches du monde » , poursuit Alfred qui voit naturellement dans ce derby bien plus qu’un match de foot traditionnel. Les Congolais de Bruxelles présents dans l’atelier de Madeka ne ressemblent d’ailleurs pas franchement à des mordus de foot. Les joueurs viennent de monter sur la pelouse et il a beau y avoir une quarantaine de personnes réunies devant le mini poste de télévision accroché au mur façon chambre d’hôpital, l’activité principale du salon de coiffure redouble d’intensité. Les tondeuses s’agitent, le salon se remplit encore un peu plus, et le coup d’envoi est finalement donné. Entre deux coups de ciseaux et un passage de balai.

Un match de frère

Le match commence et les premières critiques sur le jeu développé par la RDC dans cette CAN pleuvent déjà. Mathis n’est pas le genre de supporter à pouvoir décrire le fonds de jeu de l’équipe, mais semble quand même avoir été averti de l’essentiel : « Il paraît qu’il y en a quand même quelques-uns qui sont censés savoir faire une passe. » Juste à côté, Guiy pense savoir ce qui fera la différence : « L’équipe qui gagnera le match sera celle qui aura réussi à gagner la bataille du milieu. » Pour l’instant, la bataille fait surtout rage dans le cœur du salon. Un homme manifestement plus enclin à vouloir foutre le bordel qu’à supporter les joueurs de Florent Ibengé est dégagé avant de pouvoir pourrir l’ambiance. Pas de quoi entraver la marche en avant d’Alfred venu nous demander si l’on n’a pas eu trop peur. Juste à côté de nous, Jean, drapeaux autour du cou, n’a visiblement pas tout suivi et préfère nous faire part de son propre sentiment sur le match : « Il n’y a aucune raison d’avoir peur. Leur Congo, c’est un tout petit pays. Si tu veux voir ou jouer au foot, c’est à Kinshasa que tu dois venir, pas à Brazzaville, il n’y a rien là-bas. » Le début de match donne raison à Jean. Les premières occasions sont pour la RDC. Une frappe de Bolasie, apprécié ici plus qu’ailleurs pour son originalité capillaire, une tête de Chancel Mbemba, « le Bruxellois » juste à côté, et enfin une reprise de Bokila qui finit d’interpeller la foule : « Il est croqué ou quoi celui-là ? Pourquoi il n’est pas foutu de la mettre au fond, il n’a pas envie ? » Junior sème le doute dans la masse, Rob le rassure : « T’inquiète, ça va finir par passer, on est plus forts. » En fait, Rob n’en a surtout rien à faire. Il est sans doute le seul à ne pas encore avoir daigné lever la tête vers le petit écran. « Moi, j’accompagne mon frère qui est en train de se faire couper les cheveux. Mon truc, c’est le rugby. Je ne vais pas m’éterniser ici. » À part Rob, qui s’en fout royalement, et Mathis qui s’est soudainement endormi (!), la tension monte tout de même un peu. Yves est même certain que ces occasions manquées vont faire perdre à la RDC sa « supériorité intrinsèque » . Madeka, lui, voit surtout dans cet enchaînement d’occasions ratées un manque d’entraînement. « Pourquoi il préférerait faire des passes que de tirer, sinon ? » La question méritait d’être posée. La réponse n’arrivera pas tout de suite. Toujours aussi timide devant le but, la RDC rejoint les vestiaires sur un score vierge. Contrairement à beaucoup d’autres, Junior est resté à l’intérieur le temps de la mi-temps : « Moi, je viens à chaque match et pas seulement ceux de la RDC d’ailleurs. On regarde souvent la Premier League ici. C’est l’occasion de se retrouver entre frères comme on dit. On discute, on s’emballe, on se marre quoi. »

Leroy est en demi-finale

En attendant la reprise, certains s’essaient au jeu des pronostics. Parmi eux, il y a Kayath. Un homme qui semble certain de son affaire : « Je suis le seul qui fait toujours les bons pronostics, et là, je te dis que ça va finir 2-0 pour Brazzaville. » Kayath a l’air sûr de son fait, mais cela ne semble effrayer personne. Devant la devanture du salon, c’est déjà l’heure des photos pour immortaliser ce qui restera de toute façon comme un match historique. Un peu craintif, Junior nous avertit : « Fais gaffe, il y a un sac abandonné, ça pourrait être une bombe » . Éclat de rire général. À Bruxelles, comme à Paris, on essaie comme on peut d’éviter la psychose générale malgré les alertes à la bombe devenues quotidiennes dans le centre-ville.

La deuxième mi-temps va reprendre. L’occasion pour les plus stressés de se détendre avec une bière, pour les autres avec un Red Bull. Comme Yves, la majorité préfère toutefois rester sobre : « On fera la fête après, t’inquiètes. Moi, j’ai l’anniversaire de ma copine ce soir, donc faut pas s’inquiéter. Qu’on gagne ou qu’on perdre, je serai bien obligé de faire quelque chose. » Le match a repris, et les occasions arrivent déjà. Une frappe sur la transversale de Bokila ouvre les hostilités. Tout doucement, on commence à comprendre qu’il devient peut-être risqué de passer sous la tondeuse. Deux minutes plus tard, confirmation. Doré vient d’ouvrir la marque pour le Congo Brazzaville et les insultes pleuvent sur une défense trop statique. « On leur demande juste de défendre correctement et même ça, ils n’en sont pas capables » se plaint Patou. À côté de lui, Yves pense déjà au pire : « Franchement, je veux bien perdre contre le Cap-Vert, mais pas le Congo d’en face. Ils n’ont même pas de joueurs qui évoluent à l’étranger… » Et pourtant, une parade de Mafoumbi plus tard, le deuxième but du Congo Brazzaville tombe sur une nouvelle approximation défensive. L’exode est fulgurant. En même temps que les plus fidèles se prennent la tête à deux mains, le porte-manteau se vide à une vitesse v v prime. Il faut dire que la passe en retrait de Kimwaki fait peur à (re)voir. Pire qu’une erreur, il s’agit d’un signe presque métaphorique pour Alfred : « Cette passe, elle représente l’état de forme de notre pays. C’est vraiment lamentable. » Plus porté sur le sportif, Eddy pense déjà à la revanche qu’est en train de prendre Claude Leroy sur son ancien employeur. « La Fédération congolaise de football l’a beaucoup critiqué avant le match en disant que c’était un entraîneur dépassé. Maintenant, il peut savourer son succès parce que lui, il est en demi-finale. »

Le roi du prono déchu

En fait, Claude Leroy ne l’est pas du tout. On joue bien la 65e minute de ce quart de finale, mais visiblement la RDC de Florent Ibengué n’est pas encore tout à fait morte. Un but de Mbokani va relancer tout l’intérêt de la fin de match. Une fois le ballon de l’ancien attaquant d’Anderlecht rentré, le bar se repeuple aussi vite qu’il s’était fait déserter. « C’est des choses comme ça dont on a besoin pour vibrer. Tu sais, il nous suffit parfois d’un but pour être heureux toute la nuit. » Alfred n’est pas encore aux anges, mais va déjà un peu mieux. Aussi fou que cela puisse paraître, Mathis, lui, dort encore. Plus pour longtemps. Dix minutes plus tard, Bokila envoie un missile dans le plafond de Mafoumbi et Mathis se réveille en sursaut. Le salon de coiffure vient d’exploser et avec lui, les multiprises ont rendu l’âme. D’un coup, les tondeurs de Madeka sont instantanément réduits au chômage technique. Le bordel est total, mais ne dure pas plus de deux minutes. Le temps que tout le monde se rende compte que même s’il ne reste que quinze minutes de jeu, ce n’est pas une raison pour que les artistes stoppent leur activité. Les tondeuses reprennent donc du service, mais le rythme est moins soutenu. Sur le terrain, par contre, ça ne finit pas de s’agiter. Un geste technique de Kebano maintient l’assistance en haleine avant que le coup de casque de Kimwaki ne la pousse au délire. Incapable d’imaginer « ce qu’il se passe là-bas » , tout le monde se met à chanter : « Éliminé, éliminé ! » Plus qu’une qualification, les supporters de la RDC semblent d’abord fêter l’élimination du « Congo d’en face » . Au milieu de la foule, Kayath alias « le roi des pronos » a ravalé sa fierté et saute avec tout le monde. Chaque touche de balle d’un joueur de la RDC est fêtée comme un nouveau but. Cette fois, l’ambiance ne faiblira plus jusqu’au coup de sifflet final. Mieux, dans les dernières secondes, Mbokani vient donner au score son allure définitive : 4-2 ! Les Léopards viennent de planter quatre buts en 25 minutes et ce n’est même pas une première. Alfred et Madeka sont bras dessus, bras dessous pour raconter un autre épisode improbable de l’histoire de la RDC. « En 1998, on était menés 4-1 contre le Burkina Faso à cinq minutes de la fin et on était revenu au score avant de gagner aux penaltys. » L’histoire est aussi improbable que véridique. « Faut croire que depuis, c’est devenu notre spécialité. On a toujours aimé les trucs compliqués ! » Quand on se retourne, il n’y a déjà plus personne. En quelques secondes, le salon s’est définitivement vidé et dehors, la rue est déjà entièrement bloquée. Le quartier Matonge s’apprête à faire la fête pendant la majeure partie de la nuit, mais, chez Madeka, un dernier bruit de tondeuse résiste encore aux bruits assourdissants des klaxons. Ce soir, c’est samedi soir, mais visiblement cela ne semble pas être une raison valable pour s’arrêter de bosser.

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Par Martin Grimberghs, à Bruxelles

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