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On a lu « Zéro pointé »
Depuis septembre dernier, le monde du football belge attendait impatiemment la sortie de Zéro pointé, le bulletin accablant du football belge, par les deux trublions Stéphane Pauwels et Thibaut Roland. Annoncé comme un livre coup de poing et sans langue de bois sur les maux et les coulisses du football belge, les polémistes ont en tout cas réussi leur coup, pas forcément toujours très franc.
Vous penserez, mais pourquoi ce titre si la Belgique est numéro un au classement FIFA ? Vous objecterez que les Diables rouges ne perdent pas souvent un match de qualifications pour une Coupe du monde ou un Euro ces dernières années : aucune défaite avant de se rendre au Brésil en 2014 et une seule défaite 1-0 contre le pays de Galles en juin dernier (pour 7 victoires et 2 nuls) sur le chemin de l’Euro 2016. Vous vous souviendrez même que les hommes de Marc Wilmots sont arrivés en quarts du dernier Mondial et ne se sont inclinés que face à un futur finaliste (défaite 0-1 face à l’Argentine), comme nos Bleus. Vous constaterez devant votre écran que les joueurs belges sont présents dans les meilleures écuries européennes et que l’avenir s’annonce donc plutôt radieux à quelques mois d’un Euro 2016 pour lequel la Belgique fera partie des favoris.
Ce n’est pourtant pas l’avis des deux journalistes Stéphane Pauwels et Thibaut Roland, qui après avoir oscillé entre le management sportif et le monde des médias franco-belges, ne sont pas si optimistes que nombre de leurs concitoyens flamands et wallons. Pour exprimer leurs réticences, ils vont, à travers cet ouvrage, jouer les professeurs et proposer une série de cours plus inquiétants les uns que les autres (géographie, français, néerlandais, maths, économie et communication) pour justifier cette note finale, présentée comme « un signal d’alarme et un cri du cœur destiné à ouvrir le débat » .
Buzz l’éclair et affaires de racisme
Dans Zéro pointé, on a donc aimé les révélations sur les dessous, forcément pas très glorieux du football belge. Révélations parfois amusantes, souvent étonnantes et polémiques, un peu trop même au goût de certains des protagonistes du livre. À tel point que l’ouvrage a été interdit par la justice liégeoise dans le cadre d’une plainte de Franco Iovino, un agent de joueurs taxé de racisme envers le joueur de Charleroi Dieumerci Ndongala, à propos duquel il aurait dit : « C’est un black. Tu ne peux pas lui faire confiance. Il va aussi t’entuber. Ne perds pas ton temps avec ce dossier. C’est toujours pareil avec les noirs. Qu’il aille se faire foutre. Tu fais tout pour eux et ils parviennent encore à te tromper. » Mais la plainte de Iovino ne visait que deux magasins dans lequel le livre était vendu, et pas l’éditeur, Luc Pire. Le bouquin a donc pu être vendu partout ailleurs que dans ces deux magasins en Belgique…
On a pu découvrir une série de personnages plus truculents les uns que les autres, toujours dépeints avec un humour corrosif. En commençant par le président de l’Union belge de football François De Keersmaecker : « Clown au nez rouge, petit rat d’opéra persuadé d’avoir inventé la nouvelle Flûte enchantée, conducteur d’une limousine alors que ses capacités ne devraient même pas l’autoriser à conduire une Lada, le président est une farce que personne n’a encore réussi à attraper. » La palme du meilleur agent revient sans aucune contestation possible à l’Irano-Franco-Belge Mogi Bayat, celui qui a piégé Iovino pour lui piquer son poulain Ndongala, « (…)perpétuellement en action, justifiant à la moindre occasion son surnom de « Buzz l’éclair ».Un qualificatif que les agents Didier Frenay et Franco Iovino furent amenés à lui donner pour des raisons professionnelles et suite à des affaires plus privées. Au boulot comme ailleurs, Mogi n’a jamais l’habitude de traîner. » Mais apparemment, il ne va plus traîner très longtemps en Belgique, puisque, « selon (nos) sources, le dossier de Mogi serait en effet entre les mains du FBI.(…)Mogi Bayat finira-t-il par tomber à cause des enquêteurs américains ? En véritable acteur de western, en bon héros de blockbuster, « Buzz l’éclair » n’aurait pas pu rêver d’une plus belle fin. » Incroyable mais belge ! Comme Peter Maes, un autre personnage haut en couleur, coach à Lokeren, puis à Genk, « dont l’aspect anti-francophone ou anti-black semble difficile à masquer » , et pourtant « aujourd’hui(…)adoré par toute la Flandre. » What else ?
El Ghanassy le flambeur, l’Union belge le moqueur
On a également bien ri en lisant le récit du concours de celui qui aura la plus grosse… capacité financière à faire la fête entre l’international italien Balotelli et le joueur belge El Ghanazzy : « Yassine El Ghanassy appartient à cet égard à la catégorie des cas graves. Doté d’un talent fou(…), il n’a jamais vécu que pour et par l’argent. Et lorsque celui-ci vint à manquer, Yassine se mit à l’inventer. Tombé à l’été 2014 dans le même hôtel que Mario Balotelli, El Ghanassy tenta de rivaliser avec l’international italien au moment d’effectuer les plus folles soirées. Magnums à gogo, tables arrosées, dizaines de milliers d’euros jetés par les fenêtres… Pas de quoi effrayer un Balotelli au salaire annuel net chiffré en millions. Pas de quoi calmer non plus un Yassine dont les émoluments tenaient pourtant à quatre ou cinq centaines de milliers d’euros brut par mois (la moitié en net). »
On a compris que les tensions entre Flamands et Wallons n’allaient pas trouver dans le sport un modèle de sortie de crise à travers le traitement du cas d’Enzo Scifo. En effet, le classieux meneur de jeu des Diables rouges et de l’ASM dans les eighties a cristallisé autour de sa personne les limites et les errements de la Fédération belge au moment où il aurait dû être appelé à des fonctions plus importantes sur un banc national : « Du haut de leur piédestal, certains membres de l’Union belge se décidèrent subitement à jouer la carte communautaire. Enzo Scifo ? Oui, pourquoi pas. Mais parle-t-il correctement le Néerlandais ? » , s’amusaient les vieux piliers de comptoir de la Fédération, devenue plus proche du café du commerce que d’une véritable institution. Le pauvre Enzo se retrouve donc victime des égarements de l’Union belge et des paroles non tenues de ses dirigeants. Mais cela semble normal, car « à l’Union belge de football, il existe un sport que l’on maîtrise mieux que le ballon rond : le foutage de gueule » .
Le plaidoyer pour un renouveau du football belge
On s’est senti perdu en cours de maths (mais c’est un sentiment normal, non ?) en essayant de comprendre les tours de passe-passe autour des transferts belges de l’ancien attaquant du RC Lens David Pollet : « Incroyable mais vrai. En 18 mois, plus de 4 millions d’euros auront donc circulé entre Charleroi, Anderlecht et La Gantoise autour du seul Pollet. Il fut un temps où Jésus multipliait les pains. Plus modestement, David Pollet multiplie les transferts et les millions sans que personne ne s’étonne de rien. Le Christ avait fait l’objet d’un nouveau Testament, réservons donc au moins au cas David Pollet le droit à un questionnement. » On a souri à la remise des bulletins et à la lecture des appréciations bien senties sur les protagonistes principaux de cette classe si particulière. Le sélectionneur se verra auréolé d’un petit : « Marc devrait se montrer davantage à l’écoute des autres élèves et des professeurs. Ses bonnes évaluations ne l’autorisent pas à devenir le monsieur « je sais tout » de la classe. » Pour Enzo Scifo, « le conseil salue l’initiative d’Enzo concernant son choix de suivre des cours complémentaires en néerlandais, mais cette matière ne pourra de toute façon pas décider de son avenir » . De bout en bout, toujours de l’humour et du second degré pour dénoncer les vicissitudes du football belge.
Enfin, on a apprécié le Plaidoyer pour un renouveau du football belge qui propose, sans prétention, un règlement en dix points « qui pourrait changer les choses à défaut de tout régler » . Un dernier chapitre plutôt intéressant, avec de vraies bonnes idées, mais qui aurait sans doute mérité quelques pages supplémentaires. En attendant une refonte totale, ce plaidoyer a au moins le mérite de proposer des pistes de réflexion sur des sujets sensibles et vitaux à court terme pour le football belge comme la surveillance des transferts, la gestion des jeunes et des clubs, la réorganisation du championnat et de la coupe, la transparence des comptes… Comme quoi, la polémique peut aussi être constructive.
Par Benjamin Laguerre
Zéro pointé, le bulletin accablant du football belge, de Stéphane Pauwels et Thibaut Roland, Lucpire éditions, 159 pages, Décembre 2015, 18 euros.