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On a lu « Croire en ses rêves » d’Amandine Henry
De ses premiers pas à l'OSM Lomme à la Coupe du monde 2019, la capitaine de l'équipe de France raconte avec sincérité son parcours aux jeunes lecteurs. Une œuvre qui témoigne du caractère nécessaire aux footballeurs pour surmonter les obstacles qui les séparent de leur rêve. Amandine Henry livre ici un premier roman réussi et positif, malgré le recours à quelques facilités narratives pour soutenir son propos.
Troquer la sueur et les crampons pour l’encre et la plume. C’est l’exercice auquel s’est mesuré Amandine Henry, capitaine de l’équipe de France féminine, et accessoirement onze fois championne de France et quintuple championne d’Europe avec l’Olympique lyonnais. Avant de se lancer dans le plus grand défi de sa carrière, une Coupe du monde à domicile, le métronome des Bleues a voulu jeter un coup d’œil dans le rétro, mesurer le chemin parcouru pour arriver jusqu’ici et le raconter dans un livre. Une démarche à contre-nature pour celle qui se surnomme elle-même « Amandine-la-timide » , mais riche d’enseignements. « C’est vrai que je n’ai pas l’habitude de raconter ma vie ou d’exprimer mes sentiments. Ce que j’aime, moi, c’est le football » , assure-t-elle d’entrée, pour préciser ses intentions. Pour ses mémoires, la Nordiste a choisi la forme du journal intime. Comme le nom du premier album d’Aya Nakamura, dont Amandine Henry se dit être une grande fan. Mais surtout comme ce carnet offert par sa mère, posé sur sa table de chevet et noirci dans sa chambre d’enfant, entre les écharpes du LOSC ou les posters de Zinédine Zidane et de Fernando D’Amico.
Tout ceci renvoie au paradoxe de ce genre littéraire, qui veut que la confidence soit portée à la connaissance de tous. Une antithèse qu’ont aussi assumée des diaristes comme George Sand ou Charles Baudelaire, voire subie (Anne Frank). Mais pourquoi se lancer dans une telle entreprise ? « Puisque je n’ai rien de mieux à faire, que je suis incapable en ce moment de me livrer à aucune étude suivie, il faut que je m’amuse à réfléchir sur ma position actuelle, sur l’état de mon cœur, dans cette époque de ma vie » , écrivait le philosophe Maine de Biran à la fin du XVIIIe siècle. Pour la footballeuse, plus qu’une profonde introspection, c’est plutôt une volonté de témoignage, de transmission, de narration de sa propre expérience qui l’anime, à destination d’un lectorat bien précis : des enfants ou des jeunes adolescents (filles et garçons, assurons-le malgré les choix de l’éditeur) de 9 à 14 ans, soit l’âge d’Amandine Henry au début de cette histoire. C’est d’ailleurs le sens du conseil (ou de la prophétie) donné par Rita Henry, la maman, dès les premières pages : « Tu sais, si un jour tu deviens une grande championne, tu seras peut-être heureuse d’avoir conservé une trace de ton enfance. Et ça pourrait servir à d’autres jeunes filles talentueuses comme toi ! » Bien vu, m’man.
Le fabuleux destin d’Amandine
L’histoire, justement. Celle-ci trouve comme décor le Nord de la France et la commune de Lomme dans l’agglomération lilloise. Pas de mines à la Germinal, mais le quotidien d’une famille ordinaire et soudée, où la jeune Amandine jouit d’une enfance paisible, que seul son talent au football vient troubler. Nous sommes alors le 30 décembre 2000, la petite blonde a 11 ans et a encore des étoiles dans les yeux après le Mondial 98. Que ce soit lors des parties de foot sur le terrain derrière la maison, où « on se prend pour des joueurs connus, on refait les matchs des championnats ou de la Coupe du monde » , que ce soit dans les tribunes de Grimonprez-Jooris avec le paternel pour suivre les Dogues, ou dans les équipes jeunes de l’Iris Club de Lambersart où elle est couvée par son coach Bruno, Amandine prend conscience, au gré des compliments, des exploits et des soutiens, que sa passion peut également être sa destinée.
Une ambition qui la pousse à se mettre dans une bulle pour arriver à ses fins. Son monde de jeune fille se construit loin des préoccupations de ses camarades de classe et du reste de la société. Les garçons ont bien tenté de lui faire tourner la tête, mais ses yeux sont restés rivés vers ses objectifs. Ainsi, à la date du 11 septembre 2001, aucune mention n’est faite de l’attentat du World Trade Center, qui marquera pourtant un pays qui l’accueillera 15 ans plus tard dans son championnat. Au lieu de ça, Amandine se désole du refus du LOSC de l’accueillir dans ses sections jeunes, exclusivement réservées aux garçons. Une injustice qui constituera finalement l’essentiel de l’intérêt de ce livre. Car c’est bien la force mentale dont a fait preuve la joueuse pour arriver à se faire accepter dans ce monde du foot qui fait finalement tout le sel de cette œuvre.
La question du genre en fil rouge
En effet, la description de la condition de la jeune fille voulant devenir footballeuse est omniprésente, comme un miroir de Billy Elliot. « Le football professionnel est réservé aux garçons. Il faut que ça change. Après tout, j’arrive à courir plus vite que la plupart de mes coéquipiers, et à marquer plus de buts qu’eux » , constate-t-elle dans le premier chapitre, entre tristesse et colère. Coincée entre les garçons qui ne veulent pas lui faire la passe et les autres filles qui l’incitent à se maquiller et à porter autre chose qu’un jogging, Amandine reste accrochée à ses objectifs. « Mon rêve, c’est de devenir professionnelle pour montrer à tout le monde que les femmes peuvent joueur au foot à un haut niveau. Et je sais qu’un jour, je participerai à la Coupe du monde ! Je ne sais pas si cela existe, alors si besoin, je la créerai, cette coupe ! » Une détermination qui révèle au passage une petite méconnaissance de sa discipline, puisque la Coupe du monde féminine est organisée par la FIFA depuis 1991.
Cela dit, le message reste tout du long positif. La confiance s’accumulant, les réussites se succédant lors des tournois de détection, la reconnaissance arrivant, Amandine arrive à construire sa propre identité. Et au moment de pousser les portes de l’INF Clairefontaine, les questionnements existentiels sur le « garçon manqué » qu’elle était semble loin derrière elle. À ce moment, elle n’a plus qu’à profiter de ses rencontres avec Raymond Domenech, Zizou ou son homonyme Thierry Henry (pour ceux qui n’avaient pas remarqué ce clin d’œil du destin, l’auteur se charge d’y faire allusion une demi-douzaine de fois). Ainsi, plus que les blessures — même si un grave problème au genou aurait pu compromettre ses projets — ou l’adversité, Amandine Henry laisse entrevoir que l’obstacle le plus coriace était avant tout social et prouve donc sa force de caractère qui l’a amenée jusqu’à l’Olympique lyonnais et donc à l’équipe de France.
Un style à affirmer
Si le discours est limpide et les intentions louables, certains raccourcis laissent cependant quelques regrets. Ainsi, on aurait aimé savoir ce qu’est devenu le petit Angelo, ce garçon qui ne voulait pas lui faire de passe en U11. De la même manière, il y a une omerta sur ses failles. Par exemple, ses écarts de conduite révélés dans des documentaires (Dans le secret des Bleues, sur Téva), lorsqu’elle avait été rappelée à l’ordre à Clairefontaine pour s’être fait livrer un kebab dans sa chambre. Et si aujourd’hui elle se définit comme une adepte du shopping, on aimerait savoir comment elle est devenue entre-temps une femme coquette. C’est tout le problème de ce choix de style narratif. De plus, la promesse autobiographique est elle aussi malmenée. Écrite en collaboration avec Sophie Nanteuil, une habituée de la littérature jeunesse, cette œuvre ne permet pas de savoir si tous les mots employés sont ceux de la sportive. Pire, la frontière du réel et de la fiction est floue, et la projection sur le match d’ouverture de la Coupe du monde ne fait rien pour ôter le doute. Tant de petits défauts qui ne pourront qu’être corrigés si Amandine Henry se décide à donner une suite à ce roman. Ce qui ne serait en rien surprenant, tant on a compris qu’elle n’est pas du genre à abandonner.
Par Mathieu Rollinger
Croire en ses rêves !, d'Amandine Henry, éditions Rageot. En librairie depuis le 15 mai 2019.