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« On a failli boycotter la finale des JO »
Indomptable. À 45 ans, Patrick Mboma a vu du pays et se raconte : Cameroun, France, identité, PSG, Japon, corruption, rencontre avec la famille Kadhafi... Retraité depuis 2005, l'attaquant aux 33 buts en 56 sélections est consultant pour Canal + Afrique et passe ses diplômes d'entraîneur. À coup sûr, le périple de Mboma le Douala n'est pas terminé.
Vous avez remporté un Ballon d’or africain (2000), deux Coupes d’Afrique des nations (2000 et 2002), vous faites partie des meilleurs buteurs camerounais de l’histoire. Quel regard portez-vous sur votre carrière ?N’oublions pas les Jeux olympiques quand même !
Je vais y venir un peu plus tard.Oui c’est un titre important (rires). Ma carrière m’a donné beaucoup de satisfactions avec ce que j’ai pu accomplir avec l’équipe nationale. J’ai gagné des titres collectifs, obtenu des distinctions individuelles. J’ai été deux fois meilleur buteur de la CAN, joueur africain de l’année. Ensuite j’ai eu la chance d’évoluer sur plusieurs continents. Ça s’est souvent bien passé. Je pense au Japon, à mon titre de meilleur buteur du championnat (25 buts) avec le Gamba Osaka et à mes quatre ans en Italie.
Lors des CAN remportées, vous êtes aligné avec Samuel Eto’o. Peut-on parler d’un passage de témoin ?Nous avons été à la pointe de l’attaque, pendant plus de quatre ans. Durant cette période, il a été tout aussi prolifique que moi. Il était particulièrement précoce. Mais plutôt qu’un passage de témoin, je parlerais de collaboration efficace. Samuel a été le partenaire d’attaque avec lequel je me suis le mieux entendu sur le terrain.
Comment se matérialisait cette entente ?J’étais le point de fixation, lui me tournait autour. Grâce à nos deux gabarits et nos pieds forts différents, nous étions complémentaires. On n’avait pas à se chercher, on se comprenait et se trouvait facilement. On n’a jamais fait de plans minutieux avant d’entrer sur la pelouse. Ça a été une période très faste pour le Cameroun et je reconnais que son talent précoce m’a permis d’obtenir des succès chez les Lions.
Revenons aux Jeux. Quels souvenirs gardez-vous de ces JO 2000 remportés à Sydney ?Il y en a beaucoup. Plus de positifs que de négatifs bien-sûr, malgré cette éternelle difficulté à se faire payer les primes. On a failli boycotter la finale, mais ça s’est retourné en élément motivateur pour l’équipe. Je me souviens d’avoir hurlé l’hymne camerounais, avec la fierté d’être les premiers à donner une médaille d’or à notre pays. C’était un moment émouvant, particulier. Remporter les JO n’a jamais été l’objectif numéro 1 de ma carrière, mais au niveau de l’émotion, c’était sans doute la victoire la plus intense. On a eu beaucoup de chance dans cette compétition. On a battu le Brésil de Ronaldinho à 9 contre 11. J’ai d’ailleurs échangé mon maillot avec lui. Quitter le village avec une médaille olympique était impensable 15 jours avant. Il fallait être fou pour y croire, finalement nous avons réalisé l’exploit comme nos cousins nigérians, quatre ans auparavant.
Pouvez-vous revenir sur cette menace de boycott ?Déjà on était sur place en Australie, à l’autre bout du monde. La menace de grève a été décidée à minuit, alors que la finale était à midi. Il s’est avéré que le Cameroun avec sa magie est capable de nous dire à minuit qu’il n’y a pas d’argent et 8h du matin qu’il est tombé du ciel. La vérité c’est que j’étais dans le bluff avec nos dirigeants. J’étais un peu le porte-parole du groupe. Il y avait pas mal de joueurs qui étaient près à boycotter cette finale pour leur donner une leçon. Ça aurait été très grave pour le football camerounais, puisqu’on aurait écopé de sanctions exemplaires, et dommageable pour l’image du football africain. Et puis, je doute que le comité olympique nous aurait donné la médaille d’argent après le forfait. Aujourd’hui on ne parlerait pas de cet exploit mais du scandale que nous aurions causé. J’avais 29 ans à cette époque, les autres avaient presque tous moins de 23 ans. Ils pouvaient commettre des erreurs de jeunesse. Heureusement que nos dirigeants ont réussi à calmer les choses, même s’ils sont mauvais et que ce sont des voleurs. Les joueurs ne sont pas dupes. Ils savent compter et ne veulent pas être pris pour des idiots. Il finissent par se révolter. J’ai fait parti du mouvement, sans en être l’instigateur. Ça arrive trop souvent dans le football africain.
Le 4 octobre 2000, au Stade de France, les Lions indomptables sont menés 1-0 par les Bleus et là, vous égalisez d’un magnifique retourné. Racontez-nous l’action.Je l’ai revu une centaine de fois. Longue touche de Pierre Womé. Marco (Foé) est devant moi, joue le duel. Il n’est ni gagné ni perdu et là, j’ai une réaction plus rapide que celle de mes adversaires. Je comprends que le ballon ne va pas être dévié, il va rebondir dans la surface. Je me retrouve entre le ballon et le but, je n’ai pas pas 36 solutions, il faut tenter le retourné pour redresser la course de la balle. C’est un geste hautement instinctif, que j’ai eu la chance de maîtriser, grâce à une bonne coordination gestuelle, notamment dans les airs. Mon sens du but me permettait de savoir exactement où se situait la cage défendue par Lionel Letizi. Ça ne s’improvise pas. J’ai été chanceux de voir le ballon finir dans les filets. Au moment où je sens l’impact du pied sur la balle, je comprends que je l’ai bien frappée et que ça va aller vers le but. Quand on tente le geste, il y a un réflexe naturel, qui est de fermer les yeux et de les ré-ouvrir pour se réceptionner. Et ce n’est qu’à ce moment là qu’on voit si le ballon est au fond des filets. Mais ce n’est que dans les tribunes ou devant la télé qu’on se rend compte de la splendeur du but, car je parle de splendeur.
Avez-vous ressenti quelque chose de particulier en jouant face à la France votre terre d’accueil ?C’était le premier match France-Cameroun. On gagne les Jeux olympiques le 30 septembre et il faut jouer la France le 4 octobre en amical. Le champion du monde et d’Europe face au champion olympique et d’Afrique. Nous sommes une ancienne colonie, nous parlons tous français, nous évoluons pour la majorité en France. J’y ai grandi, dans le 93. Ça aurait du être quelque chose de particulier, mais c’était une période où on a pris l’habitude de gagner. Nous nous sentions très forts, on ne voulait pas perdre. C’était le fait de défier les champions du monde qui était important. Ils auraient pu être Français, Portugais ou Ukrainiens, peut importe, c’était les champions du monde. On s’est montré à la hauteur en ne perdant pas. (1-1 score final, ndlr)
À 2 ans et demi vous prenez l’avion avec votre famille, direction la France. Pourquoi ?Parce que je viens de l’ethnie Douala. Au début des années 1970, chez les Camerounais, nous étions ceux qui tentaient les premiers l’exil vers la France. Il n’y avait pas autant d’avions qu’aujourd’hui et c’était très cher. Quelques familles tentaient l’aventure européenne, surtout française, pour la langue. Ma famille a fait 5000 km de voyage, car professionnellement et économiquement c’était une possibilité pour mon père et ma mère. Ils avaient décidé de prendre leurs trois garçons pour aller vivre en France. Leurs emplois étaient près de Paris. Nous sommes arrivés à Montfermeil, puis à Bondy, pour de nombreuses années.
Vous vous sentez français ?Oui, je me sens français et je le suis officiellement. Je ne me sens pas français parce que j’ai le droit de vote, mais parce que je vais voter. Pas seulement pour y payer des impôts, mais pour participer à la croissance du pays. Alors oui, on pourrait me dire que mon pays de naissance en aurait plus besoin. C’est vrai, mais la France m’a rendu homme, j’aime ce pays. Le Cameroun m’a donné la vie, procuré professionnellement et émotionnellement de grandes satisfactions. Donc je me sens français, je me sens camerounais et je suis fier d’avoir cette double culture. C’est indissociable.
Vous auriez pu jouer pour l’équipe de France ?Je ne crois pas. Lorsqu’on grandit on a toujours des modèles. Mon père était le mien. Il était gardien de but. Il a joué en première division au Cameroun, puis il a continué en France dans le football d’entreprise. Il avait un album où il conservait des photos de ses plongeons. Ses amis me racontaient ses exploits, bien entendu c’était romancé, mais petit on se fait des films. On appelait mon père « le petit singe » , il faisait 1m68 mais possédait une détente exceptionnelle. Quand mon père me parlait de football et de sélection je pensais au Cameroun. J’ai grandi en étant camerounais. Je ne suis devenu français qu’à 19 ans. Tout ce qui relevait du football camerounais était important pour moi. Sportivement je me sentais camerounais. Ensuite c’est le Cameroun qui m’a appelé en premier. Je ne sais pas si la France m’aurait appelé. Peut-être que Didier Deschamps en serait capable (rires) pour revenir sur son incartade (Koulibaly, ndlr). Ça aurait été compliqué de choisir la France… mais pas impossible.
Quel regard portez-vous sur les binationaux, plus précisément ceux qui choisissent le pays de leurs parents ?C’est toujours très compliqué, c’est un sujet sur lequel je me suis parfois emporté. J’ai souvent eu des postures assez dures vis-à-vis de certains, par rapport à leur choix. Finalement il n’y a pas de règles. Chacun devrait être maître de son choix, sans la pression des familles ou du public. Là où je suis ennuyé, c’est qu’il y a trop de joueurs qui partent à cause d’un intérêt d’ordre économique, qui n’a rien à voir avec le cœur. Pour moi, la sélection c’est le cœur, la passion avant tout. Mais je pense qu’il y en a beaucoup qui trichent entre guillemets, avec l’amour qu’ils disent porter à un drapeau, alors que ce n’est qu’hypocrisie et ça, ça me déplaît. D’ailleurs, j’attends certains au tournant.
Votre père vous a déjà dit qu’il était fier de vous ?Je pense que mes parents sont fiers de leurs enfants. Étaient car j’ai perdu mon père. Malade, il est venu me voir jouer, alors que je faisais mes débuts au Paris Saint-Germain. J’étais encore externe, j’habitais loin et j’étais venu d’abord pour jouer en DH. Il est venu entre vacances et soins, en France. Il m’a vu jouer et il s’est rendu compte que le jeune qu’il voulait voir étudier, plus que jouer au football, avait des chances de réussir dans ce milieu. À ce moment là, il était fier. Malheureusement, il n’a pas eu le temps de connaître son fils professionnel. Lorsque je suis arrivé à Châteauroux en deuxième division, je l’avais déjà perdu. Mais je suis sûr qu’il était fier de moi et en tout cas, ma mère l’est toujours.
Propos recueillis par Flavien Bories